Loin des droits, tout près des marchés.

[Riccardo Petrella – Professeur émérite de l’UCL, Agora des Habitants de la Terre]

Les Etats -Unis de Trump ont tout essayé pout faire échouer la 75ème ’Assemblée Générale de l’ONU et ainsi hypothéquer le devenir des Nations Unies. La Chine de XI Jinping, en déclarant de manière inattendue le 24 septembre que son pays venait d’approuver la décision d’atteindre la neutralité carbone en 2060, a sauvé un peu l’AG et ouvert pour l’ONU une nouvelle voie d’espoir pour le futur, notamment la possible relance des Accords de Paris. Heureusement, car, de leur côté, les puissants maîtres globaux du monde du business et de la finance n’ont donné aucune preuve de vouloir s’éloigner si peu que ce soit de leur « business as usual ».  Sur le front de la lutte contre la pandémie Covid-19, ils ont maintenu leur crédo (Money First, Market First, Stakeholders First) en obtenant ces dernières semaines des milliards de dollars sous forme d’Advanced Market Commitments des vaccins (encore en conception !) de la part des Etats en rivalité entre eux pour soutenir « leurs champions » multinationaux !. Ce qui explique que l’AG n’a pas réussi à organiser une session spéciale sur le Covid-19. On s’est limité à écouter ou lire les analyses et les propositions présentées par chaque Etat et les autres membres de l’Assemblée. Pas de débats. Enfin, on peut affirmer que l’audace n’a pas été non plus au rendez-vous au sein du grand magma majoritaire du « bonisme » politique et social mondial. Sa soumission à la vision économique libériste capitaliste de la société reste dominante. Il faut attendre maintenant la tenue de la session spéciale sur le Covid-19. Le lundi 5 octobre, la présidence de l’AG a confirmé sa tenue en souhaitant qu’elle puisse avoir lieu avant la fin de l’année, mais les dates restent à fixer.

En raison de la puissance dévastatrice de la pandémie, l’AG de l’ONU devait être une occasion unique pour un déploiement de pensées, propositions et décisions audacieuses. Eh bien, jusqu’à présent, les peuples du monde ont eu d’abord droit au beau spectacle des feux d’artifice des nationalismes « vaccinaux »(First my people). Les propositions en faveur d’une forte coopération mondiale n’ont pas récolté le grand enthousiasme qu’il fallait. Le multilatéralisme inter-national comme modèle de régulation des grands problèmes mondiaux s’est révélé , une fois de plus, inadéquat, très fragile. L’argument utilisé par le Secrétaire général de l’ONU lors d’une déclaration de dernière instance, le 25 septembre, en faveur d’une forte coopération mondiale contre la pandémie («  Nous n’avons pas besoin d’un gouvernement mondial mais d’un multilatéralisme renforcé ») n’a pas produit l’effet espéré.

En fait, l’esprit qui a soufflé sur cette phase de l’Assemblée Générale de l’ONU a été marqué par trois principes inspirateurs, mystificateurs :

  1. la stratégie de l’accès équitable et à prix abordable « pour tous » aux biens et services vitaux, appliquée sans aucune nuance au domaine de la santé et, donc, à la lutte contre le Covid-19 . Pourtant, depuis 30 ans, cette stratégie n’a été capable de résoudre aucune des profondes inégalités mondiales et intra-nationales dans le droit à la santé, à l’eau, à l’alimentation, au logement…. . Comment ose-t-on continuer à la proposer ?
  2. le maintien du principe de la privatisation à but lucratif des brevets sur le vivant (notamment les vaccins) et de l’ensemble des services de santé. Loin d’être la solution des problèmes, les brevets ont démontré être à la source des problèmes, en tant qu’ une des causes principales de l’expropriation privée de la vie dans l’intérêt des plus riches, de l’asservissement de la recherche et de l’innovation à l’argent et à la puissance militaire, de la faiblesse et soumission des pouvoirs politiques publics aux pouvoirs des grandes corporations et cartels pharmaceutiques et agro-chimiques mondiaux ;
  3. l’ouverture à une apparente reconnaissance de la santé, des vaccins en particulier, en tant que « biens publics mondiaux » grâce à une mutation mystificatrice du sens à donner au concept de « bien public » et de « bien public mondial » à laquelle le système onusien a contribué , dès les années 2000, conformément à l’esprit du temps dominé par la « gouvernance économique mondiale ».

Que pensent les « climatologues » sociaux ? Un renversement de souffle est-il prévisible ? En tout cas, je pense, qu’il vaut la peine que les habitants de la terre essayent de le provoquer.

Bruxelles, le 6 octobre 2020


Commentaires

  1. Michel Regnier dit :

    Tout cela est assez désespérant pour ne pas dire déprimant. Jamais rien de nouveau, ni sous le soleil ni sous les embruns ! A tous les niveaux de pouvoir, nos chers élus censés nous représenter n’ont d’autres préoccupations que leur propre carrière, en plus de favoriser sans faille l’accroissement des gigantesques et obscènes profits des multinationales, au mépris total de leurs citoyens ainsi que de l’urgence climatique et environnementale. Puis la pratique généralisée des “revolving doors”, en passe de devenir la norme, pour abolir définitivement l’opprobre sur les “conflits d’intérêt”…

    “En raison de la puissance dévastatrice de la pandémie”: cette crise sanitaire est cependant une véritable aubaine pour les grands acteurs du privé, puisqu’ils sont les principaux bénéficiaires des pléthoriques “aides” mobilisées par l’UE et les États ; ce qui ne les empêche pas de licencier massivement, ni de verser de copieux dividendes à leurs actionnaires. Tout en “optimisant” les impôts au maximum évidemment, pratique entièrement légale et légitimée par les susdits dirigeants, leur féaux complices entièrement soumis.

    J’ai tendance à penser que le pouvoir de nuisance de nos politicien(ne)s surpasse absolument tout, en fait ce sont même nos meilleurs ennemis puisqu’ils nous livrent sans broncher ni état d’âme à la monstrueuse voracité des consortiums privés ; à peu de choses près, leurs seules compétences résiduelles sont le code de la route et l’imposition impitoyable des petits gueuropéens… Les marchés doivent coûte que coûte être libres et rassurés, tandis qu’il est souhaitable que les petits clampins soient effrayés, encadrés, réprimés et soumis à une propagande idoine et intensive.

    Parce que le vrai pouvoir appartient maintenant aux oligarques sur lesquels les dirigeants n’ont plus la moindre prise, et en fait c’est exactement l’inverse, ce qui hélas explique pourquoi les causes sociales et climatiques n’ont pour l’instant aucune chance de progresser et encore moins d’aboutir. Voir aussi l’impact actuel de la Vox Populi…

    Enfin je lis que “… la décision d’atteindre la neutralité carbone en 2060…” en parlant de la Chine : c’est absolument merveilleux, sinon que ce sera environ trente ans trop tard ; un tout petit bémol juste pour le plaisir de mégoter, bien sûr !

Laisser une réponse

A la une !