[ Paul LOOTENS – 17 février 2020]

Dans le prolongement de sa contribution « Retrouver le chemin d’un syndicalisme offensif » au dossier Syndicalisme : un mouvement social sous pression du n°104 de la revue POLITIQUE (mai 2018), Paul Lootens (FGTB) apporte une contribution syndicale à l’un des débats fondamentaux sous-jacents aux actuelles discussions fédérales.

Il est midi moins une pour l’unité du pays. Les nationalistes du nord du pays semblent vouloir appuyer sur l’accélérateur du séparatisme. Ils recouvrent actuellement leur volonté de séparatisme par d’autres concepts : confédéralisme, scission de la sécurité sociale, etc. Mais c’est bien de séparatisme dont il s’agit. Il y a apparemment, au nord comme au sud du pays, des amateurs de ce genre de propos, des oreilles qui se laissent séduire par un discours bien rôdé et parfois tentant de soi-disant lendemains qui chantent.
Face à ce danger, nous, syndicalistes, devons réagir. Car le monde du travail n’a « rien de rien » – comme dirait le Grand Jacques – à gagner dans cette folie institutionnelle. Cela ne suffira pas de marquer son opposition aux plans funestes des nationalistes et séparatistes de tous poils. Non, il va falloir agir ! Car comme disait Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire »1.
Un train pour comprendre la folie séparatiste
Nous pourrions prendre 1001 exemples pour démontrer les conséquences néfastes d’une division du pays. Nous en choisissons un qui regroupe les différentes dimensions du danger séparatiste.
Pour les séparatistes, il faudrait scinder la SNCB en compagnies de transports régionales. Mais quelles seraient les conséquences d’un tel projet ? Esquissons-en quelques-unes. Scinder, c’est accélérer la privatisation du chemin de fer. Les nationalistes veulent utiliser le levier du séparatisme pour accélérer le processus de privatisation. Comme ils avancent à grands pas dans la privatisation de De Lijn au nord du pays.
Scinder, c’est moins de sécurité. Comme en témoignent les différents accidents de train de ces dernières années. Les enquêtes ont montré les graves problèmes de communication entre Infrabel et la SNCB, dus à la scission de notre rail entre infrastructures et roulants. Au lieu d’avoir une communication simple et fluide au sein d’une seule société, nous avons aujourd’hui une communication complexe entre deux sociétés aux cultures d’entreprise toujours plus divergentes. Plus de scission aggraverait ce problème.
Scinder, c’est moins de ponctualité. Comme en témoigne l’exemple du rail britannique. Les divisions rendent plus complexe l’organisation du chemin de fer comme un tout agissant de manière cohérente selon un plan coordonné. Scinder, ce sont des tarifs à la hausse.
Scinder, ce sont des grilles tarifaires différentes selon les compagnies dans un même (petit) pays, avec une augmentation des prix comme c’est le cas au Royaume-Uni depuis la libéralisation du rail.
Scinder, cela voudrait dire de moins bonnes conditions de travail car mise en concurrence des travailleurs des différentes compagnies. Scinder, ce serait la fin de l’unité des cheminots et de leur force de frappe. Un objectif recherché depuis longtemps par le gouvernement. Affaiblir ce qui constitue une des locomotives du mouvement social. Rappelons-nous l’impact de la grève du chemin de fer lors des journées de grève générale.
Scinder, c’est la fin d’une famille qui s’est construite une identité en faisant tourner les chemins de fer de ce pays. Une identité en offrant un service public à la population. Une identité construite aussi dans la résistance commune des cheminots pendant la guerre. Une identité commune dans les nombreuses luttes sectorielles et interprofessionnelles menées ensemble.
Cet exemple concret aide à comprendre en quoi la scission serait une catastrophe à tous les niveaux. Elle nous coûterait cher, elle serait la base de la casse des services publics, elle serait inefficace (retard, sécurité, confort …), elle rendrait le monde du travail plus faible et divisé face à un patronat toujours plus uni tant au niveau national qu’international et, finalement, elle nous priverait de ce qui a formé notre identité. Il s’agit d’un exemple qui regroupe différentes facettes de ce que signifie la scission, qu’on peut retrouver soit partiellement, soit intégralement.
Les syndicats, une des premières cibles des séparatistes
Dans leur projet de scission, les séparatistes font face à des nœuds qu’ils cherchent à défaire par tous les moyens : unité de la sécurité sociale, unité des chemins de fer, la position de Bruxelles au centre du pays, unité de la justice, etc. Parmi tous ces nœuds, il y a un nœud agissant, un nœud qui représente une force sociale incroyable. Et ce nœud, ce sont les organisations syndicales. C’est pourquoi, aux yeux des séparatistes, tout doit être fait pour les affaiblir et les diviser. On ne compte plus les projets de loi, ces derniers mois encore, visant à imposer une personnalité juridique aux syndicats, à limiter drastiquement le droit de grève, à affaiblir la protection des délégués…
En tant que syndicalistes, l’unité du pays nous concerne au premier chef. L’unité de la sécurité sociale et, plus largement, l’unité du pays.
Ce sont en grande partie les travailleurs, travailleuses et les syndicats qui ont construit l’histoire sociale de notre pays, qui ont obtenu les premières lois sociales, qui ont sorti les enfants des mines, qui sont morts pour le progrès social et le suffrage universel, qui ont résisté face à l’occupant, qui ont bâti notre sécurité sociale… Comme chaque année nous allons commémorer les martyrs ouvriers le 27 mars à Roux (1886)2, le 18 avril à Borgerhout (1893) et le même jour à Louvain (1902). Tout cela fait partie de l’identité du monde du travail de notre pays : la Belgique.
Ce sont les ouvriers du textile gantois qui ont lancé le mouvement syndical dans notre pays, ce sont les luttes des ouvriers mineurs et des verriers du Hainaut qui ont été à la base des premières lois sociales, ce sont les dockers d’Anvers, qui ont déclenché la grande grève de 1936, ce sont les sidérurgistes liégeois qui ont été à l’avant-garde de la grève de 60-61, et ce sont les travailleurs des quatre coins du pays qui font barrage à la pension à points, qui réclament un salaire minimum à 14€/heure, un travail et un salaire décent pour les blouses blanches et les travailleuses dans les titres-services ou qui ont récemment réaffirmé leur volonté de maintenir une sécurité sociale forte.
Ensemble, ces hommes et ces femmes ont construit l’identité du monde du travail en Belgique. Nous ne devons pas laisser les séparatistes de tout bord casser cette identité et cette longue histoire commune.
Et c’est d’autant plus vrai que les combats de demain nécessiteront des rapports de force plurilingues et multinationaux face au capital européen. La Belgique a la responsabilité de jouer un rôle d’exemple et de moteur en la matière, en restant unie, et certainement pas un
contre-exemple en se divisant.
Ensemble, nous, syndicalistes du Nord comme du Sud, ne soyons pas de ceux qui regardent sans rien faire, faisons barrage aux séparatistes et réveillons ceux qui pensent encore que notre pays n’est pas au bord de la faille. L’unité est la seule arme de solidarité et de lutte contre la pauvreté et pour la protection des droits durement acquis. C’est ensemble, main dans la main, travailleurs et travailleuses de Wallonie, Flandre et Bruxelles que nous construirons un monde meilleur pour nos enfants !


1. Albert Einstein, Comment je vois le monde, 1934. ↵
2. Le « Collectif 1886 » organise, avec la FGTB et la CSC Charleroi, une marche à Roux le 27 mars 2020, suivie d’une exposition à la Ruche Verrière (ancien local de la Nouvelle union verrière) à Lodelinsart du 27 mars au 1 avril 2020.

Paul LOOTENS
Ancien président fédéral de la Centrale Générale de la FGTB. Co-auteur du livre “Tous ensemble, réflexions sur l’avenir des syndicats” (Couleur Livres, 2008).


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