Les paradis fiscaux : Yves et Didier, pas de demi mesures

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy a lancé une offensive contre les banques qui ont recours à des paradis fiscaux. Il a dit qu’il n’était pas normal que des banques dont les emprunts sont garantis par l’état continuent à opérer à partir de paradis fiscaux. Dominique Strauss-Kahn, président du FMI, propose de s’attaquer aux paradis fiscaux et le Premier Ministre français François Fillon est d’avis que « les trous noirs tels que centres offshore doivent disparaître. »

Aux Etats-Unis, Barack Obama a déposé au Sénat une proposition de loi du nom de « Stop Tax Haven Abuse ». On aura compris : il est temps d’en finir une fois pour toutes avec les paradis fiscaux. Maintenant se pose la question de savoir si les Libéraux belges feront plus que se contenter simplement de demi-mesures. Pour le sp.a, un nouveau système financier n’est pas viable si on n’élimine pas les cancers de l’ancien système. Nous voulons un monde sans paradis fiscaux.

Pourquoi s’attaquer aux paradis fiscaux ? De riches particuliers et de grandes entreprises recourent à des paradis fiscaux pour éluder ou échapper aux impôts. C’est une atteinte à la justice fiscale : tandis que les riches et les puissants échappent à leurs obligations fiscales, ceux qui payent les impôts avec lesquels les pouvoirs publics financent leurs dépenses payent les pots cassés. Les paradis fiscaux ne sont pas seulement intéressants à cause de leurs taux d’imposition très bas, mais aussi parce qu’il n’y a presque pas de régulation. Quant à la transparence, elle est inexistante car ils refusent de fournir des renseignements aux autorités d’autres pays. En d’autres mots, on y fait ce qu’on veut. Ce faisant, les paradis fiscaux facilitent la création de structures financières complexes et très risquées telles que les Special Investment Vehicles. Ces fonds investissent avec comme garantie de l’argent emprunté.

Elles n’apparaissent pas dans les bilans pour ne pas les « polluer ». Beaucoup de banques, comme Bear Stearns, Northern Rock et Fortis ont caché pendant beaucoup trop longtemps des pertes gigantesques en opérant par l’intermédiaire de paradis fiscaux. Les paradis fiscaux ont donc leur part de responsabilité dans la crise financière actuelle. Une troisième raison de s’attaquer aux paradis fiscaux est qu’ils permettent à des dictateurs et à leur entourage de détourner des milliards de dollars provenant de l’aide internationale et d’autres revenus et de les planquer sur des comptes numérotés où il est pratiquement impossible de les récupérer. John Christensen donne l’exemple suivant : « Le dictateur Abacha avait donné ordre à la Banque Centrale du Nigeria de transférer chaque jour quinze millions de dollars sur son compte suisse. » Un détournement à cette échelle est selon Christensen impossible sans une infrastructure de spécialistes financiers dans des paradis fiscaux, qui gagnent de l’argent en offrant une interface entre la criminalité et les systèmes financiers normaux. Selon Christensen,une centaine de banques réparties sur le monde entier étaient impliquées dans les détournements d’Abacha, parmi lesquels de grands noms, tels Citigroup, BNP Paribas et Credit Suisse. Raymond Baker du Center for International Policy, dit que chaque année cinquante milliards de dollars provenant des pays du Tiers Monde aboutissent dans les paradis fiscaux.

 

Quelle est l’étendue du problème ? Le scandale du Liechtenstein, début de cette année, a fait comprendre au grand public que la problématique des paradis fiscaux est beaucoup plus importante qu’on ne le croyait généralement. La justice allemande a enquêté chez au moins 700 riches Allemands qui avaient planqué au Liechtenstein quelques milliards d’euros à l’abri du fisc. L’importance de cette affaire a ouvert les yeux à beaucoup de gens et malgré tout ce n’est que la pointe de l’iceberg. Tax Justice Network estime, sur la base de données de la Bank for International Settlements et de Mc Kinsey & Company, qu’en 2005 plus de 11.500 milliards de dollars US a trouvé refuge « offshore » et donc à l’abri du fisc. Cela représente environ 1/3 du PNB du monde. Il y a aussi de plus en plus d’indices qui montrent qu’en Belgique aussi on se sert à grande échelle de paradis fiscaux. Depuis novembre 2005, VLM

organise à partir de Bruxelles et d’Anvers des vols journaliers vers l’île de Man. Ce paradis fiscal bien connu compte 76.000 habitants et plus de 30.000 entreprises enregistrées. Sur les comptes bancaires il y a à peu près 46 milliards d’euros d’épargne. Une enquête de la SOMO, la Stichting Onderzoek Multinationale Ondernemingen (Fondation pour l’enquête sur les entreprises multinationales) a révélé que Fortis comptait fin 2007 plus de 700 filiales dans les paradis fiscaux, la KBC 33 et ING 16. Puis il y a encore ce chiffre effarant : au dernier trimestre de 2005, les crédits accordés par des banques belges à des sociétés dans le paradis fiscal qu’est Jersey : 22,2 milliards d’euros. C’est plus que les crédits accordés à des sociétés dans n’importe quel autre pays.

La problématique des paradis fiscaux n’est donc pas marginale, au contraire, et il y a beaucoup de raisons de s’attaquer aux paradis fiscaux. Le cancer des paradis fiscaux a métastasé le noyau même du système financier international. Comme nous l’avons déjà dit, pour le sp.a, un nouveau système financier n’est pas faisable sans éliminer les cancers de l’ancien système. La question est de savoir si les libéraux veulent aller plus loin que de recourir simplement à des demi-mesures.

Un premier test sera la levée du secret bancaire. A l’initiative de l’Allemagne et de la France, il y a eu mardi passé à Paris une concertation entre 17 pays au sujet de la lutte contre les paradis fiscaux. L’OCDE doit pour l’année prochaine revoir sa liste noire des paradis fiscaux. Peer Steinbrück, le ministre allemand des finances, est d’avis que la Suisse doit figurer sur la liste noire à cause de son manque de coopération. D’après le ministre français de budget Eric Woerth, le secret bancaire a atteint ses limites. Il trouve « significatif » que la Suisse était absente à la réunion. Le Luxembourg et l’Autriche n’y étaient pas non plus. La Belgique, elle, y était. La question est de savoir quelle a été la position prise au nom de la Belgique par le secrétaire d’état Clerfayt (MR). Les libéraux veulent-ils réellement, dans le cadre de la directive sur l’épargne, abandonner le précompte et donc échanger des données bancaires avec d’autres pays ? Si nous voulons que les paradis fiscaux deviennent plus transparents, la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche devront d’abord lever le secret bancaire. Dans ce domaine, la Belgique peut jouer un rôle crucial. Le ministre Reynders et ses amis libéraux devront jouer cartes sur table et ne pourront pas continuer à se cacher derrière le Luxembourg et l’Autriche.

Deuxième test : pas de traités de double imposition avec les paradis fiscaux. Il y a dix ans déjà que l’OCDE a fait un certain nombre de recommandations pour combattre l’utilisation des paradis fiscaux. L’OCDE met surtout l’accent sur l’échange international d’informations. Elle déconseille aux pays de conclure des traités de double imposition avec des paradis fiscaux et recommande de conclure plutôt des traités d’échange d’informations. Mais que fait Reynders ? Il tente de faire adopter par le gouvernement différents traités de double imposition avec des paradis fiscaux tels que Macao, les Seychelles et l’île de Man. Aucun état membre de l’OCDE ne conclut d’une façon aussi systématique des traités d’imposition avec des paradis fiscaux. Au sein de l’OCDE on se demande quelle mouche a piqué la Belgique. Un traité de double imposition vise à éviter une double imposition. En concluant de tels traités de double imposition on n’évite pas la double imposition, on évite l’imposition tout court. Toute notion d’éthique est étrangère au ministre Reynders et à ses amis libéraux. Dans quelques semaines, une délégation belge part au Soudan pour conclure un contrat. Qu’ont-ils à faire dans ce pays ? J’ai dit plus haut quel rôle détestable jouent les paradis fiscaux dans le sous-développement de certains pays. De façon indirecte, la Belgique légitime un gouvernement qui est responsable de ce qui se passe au Darfour. Les traités belges avec des paradis fiscaux permettent que l’argent sale de gens comme Omar Al-Bashir peut être planqué dans des paradis fiscaux. Et cela, alors que le MR compte aussi dans ses rangs le Ministère de la Coopération.

Troisième test : exécuter une résolution de la Chambre. Le ministre Reynders ne continue pas seulement à conclure des traités de double imposition avec des paradis fiscaux, il ne tient aucun compte des recommandations de la Chambre. Il y a deux ans, la Chambre a adopté une de mes résolutions à propos des paradis fiscaux,et ce après que le sp.a ait mis beaucoup d’eau dans son vin. Le MR et une majorité du VLD ont approuvé cette résolution. Le CD&V s’est abstenu. Dans cette résolution il a été demandé au gouvernement d’exécuter un certain nombre de recommandations. C’est ainsi que nous demandons de commander, à l’instar de la France et des Etats-Unis, une étude indépendante sur l’utilisation des paradis fiscaux à partir de la Belgique. En outre nous demandons la création au sein de l’administration fiscale d’une unité spécialisée pour s’attaquer à l’évasion fiscale par le biais des paradis fiscaux. Cette unité spécialisée doit faire un relevé des constructions fiscales ayant recours à des paradis fiscaux et développer des mesures pour combattre de telles constructions. De plus, elle doit mettre en place des systèmes permettant d’identifier les personnes qui recourent à des paradis fiscaux. En Irlande, on a créé un tel service et en un an cela a rapporté 650 millions d’euros. Mais la résolution adoptée par la Chambre n’a pas encore été implémentée. Encore une preuve du manque de volonté de Reynders de s’attaquer aux paradis fiscaux et à ceux qui s’en servent. Je suis curieux de savoir si la crise financière et les nombreux appels visant à s’attaquer aux paradis fiscaux auront une quelconque influence sur les libéraux.

Enfin, il y a encore le quatrième et dernier test : les libéraux et les chrétiens-démocrates seront-ils d’accord d’instituer une commission parlementaire qui devrait se pencher sur la crise financière ? Cette commission d’enquête devra aux yeux du sp.a aussi se pencher sur la question de savoir de quelle manière et dans quelle mesure nos banques recourent à des paradis fiscaux. Il faut qu’on connaisse le fin fond de l’affaire. Que Reynders et Leterme veulent étouffer cette affaire ne présage rien de bon.

(Texte français) puis :

Suite de la citation de Christensen : « …Dans cette affaire, il ne s’agit pas seulement des paradis fiscaux. Les paradis fiscaux jouent un rôle majeur dans le manque de confiance dans le secteur financier. Ils dissimulent la propriété et la responsabilité. »

Cela devient de plus en plus intéressant : la Hollande vise entre autres la Belgique. De Jager plaide pour qu’on s’attaque de façon énergique aux pays qui permettent le secret bancaire.

Bulletin d’informations /21 – 10 – 2008/ Communications fiscales internationales

Des pays comme le Liechtenstein et la Suisse doivent le plus rapidement possible lever leur secret bancaire. Il devrait y avoir un échange complet d’informations fiscales. C’est ce qu’a plaidé aujourd’hui à Paris le secrétaire d’état aux finances Jan Kees de Jager lors d’une réunion au sujet de l’évasion fiscale et de l’échange d’informations. De Jager : « Il est inacceptable que nous plaidions dans le monde entier pour un échange d’informations, alors qu’à quelques heures d’ici en voiture, il y des pays qui font toujours la sourde oreille. »

Il a annoncé qu’à brève échéance il déposerait une proposition de loi qui empêchera que des biens puissent être soustraits au fisc par le biais d’un trust. Cela permettra de diminuer les tarifs de droits de succession.

Lors de la conférence organisée par les ministres des finances de France et d’Allemagne, vingt pays ont parlé de l’échange d’informations de données fiscales et de la directive européenne relative au taux d’intérêt de l’épargne. Il fut question de l’élargissement de la directive. On ne devrait pas seulement échanger des informations au sujet des taux d’intérêt, mais aussi au sujet des sommes déposées sur les comptes. On devrait également étendre les données relatives aux personnes physiques aux personnes morales, telles que des fondations et des sociétés.

 

Dirk Van der Maelen

(traduction – novembre 2008)

 

 


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