Un million et demi de Belges (1 sur 7) vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 860 euros par mois. Budget 2008 : à peine 300 millions d’euros dégagés pour des politiques sociales, mais un nouveau cadeau fiscal pour les entreprises, via les intérêts notionnels, pour une somme globale évaluée à 2 400 millions d’euros. C’est 8 fois plus pour les patrons et actionnaires ! Accord gouvernemental Leterme 1er : l’ensemble des décisions et propositions est évalué à quelque 13 milliards d’euros. Où trouver l’argent ? C’est le grand flou !

Une des solutions : la justice fiscale, levier pour le financement de services publics et la redistribution des richesses en faveur de l’immense majorité de la population qui les produit par son travail.

Denis Horman

Fiscalité et redistribution des richesses

La justice fiscale se définit très différemment selon les personnes, les classes sociales, les appartenances politiques…Derrière la question de la fiscalité, apparaît celle de notre conception de la relation entre collectivité et individu, et, plus généralement celle du « comment vivre ensemble ». Pour les (néo)libéraux et les défenseurs résolus du système capitaliste, pouvoir, initiative et contrôle collectifs – fondements du processus démocratique – sont une limitation contraignante de la liberté individuelle. Une liberté qui s’entend en fait comme la recherche du profit individuel sur le ‘marché’. Place à l’initiative individuelle, au talent personnel, à la débrouillardise, à la totale liberté accordée aux capitaux de circuler, à la « liberté d’établissement » qui donne la possibilité au capital de s’installer là où les conditions lui sont le plus favorables, etc.! Les différents traités européens, assumés sans état d’âme aussi bien par le MR, le parti socialiste, le CDH, que les écolos, ne consacrent-ils pas la prééminence de « l’initiative privée », de la « concurrence libre et non faussée », auxquelles tout doit être subordonné.

Et, tant qu’on y est, l’accumulation de richesses entre les mains d’une minorité, groupes économico -financiers et ménages fortunés-, n’est-elles pas la simple manifestation de l’esprit d’initiative et de l’inébranlable détermination à réussir ?

On en viendrait à oublier que toute richesse, bâtie sur la production de biens et services, est produite par les travailleurs et les travailleuses. Que les avoirs financiers des belges (patrimoines mobiliers) représentent aujourd’hui 300% du Produit Intérieur brut (PIB). C’est le pourcentage le plus important de l’Europe des 27 par tête d’habitant. Que la progression de ces patrimoines a été constante ces 20 dernières années, passant de quelque 500 milliards d’euros en 1995 à plus de 800 milliards à l’heure actuelle (richesse globale des Belges en Belgique et hors frontières)[1]. Mais que cette richesse, produite par les travailleurs, est concentrée dans les mains d’un petit nombre de ménages qui en disposent à leur guise : 10% des Belges possèdent plus de 50% des richesses et 1,6% de la population en détient 1/5ème.

Ce ne sont pas les moyens financiers qui manquent pour permettre à l’Etat de remplir une des ses principales missions : garantir des services publics efficaces, démocratiques, à la portée de tous (éducation, enseignement, transports publics, infrastructures, services sociaux, logements sociaux, sécurité sociale, etc).

La mise en place d’une fiscalité juste, via les impôts directs (impôt des personnes physiques et impôt sur les sociétés) peut, sans conteste, conférer à l’Etat les moyens de financer les services publics et garantir une redistribution des richesses réduisant les inégalités et la pauvreté.

Une fiscalité juste implique à la fois l’égalité devant l’impôt (celui-ci doit toucher tous les revenus et tous les patrimoines) et la progressivité de l’impôt (le taux de l’impôt doit être proportionnel aux facultés contributives).

Tous égaux devant l’impôt ?

« On paie trop d’impôts » ! « Stop à la « rage taxatoire » ! « C’est toujours les mêmes qui sont taxés ; alors, si je peux frauder, je ne vais pas m’en priver » !

Pourtant, selon la Constitution belge (article 172), « il ne peut être établi de privilèges en matière d’impôt ».

La réalité est toute autre : 40% des recettes fiscales proviennent des revenus du travail et à peine 3,06% des revenus mobiliers (financiers)[2].

En Belgique, il n’y a pas d’impôt sur les patrimoines financiers et leurs revenus. Il existe bien un précompte mobilier (15% sur les intérêts des comptes bancaires et obligations ; 25% sur les dividendes distribués par les sociétés ; alors qu’en 2006, le taux de taxation effectif du travail s’élevait à 43,8%). De plus, le précompte mobilier est libératoire depuis 1982 : les revenus financiers ne sont pas ajoutés aux autres revenus pour la déclaration d’impôt (pas de globalisation des revenus pour la déclaration annuelle). Concrètement, ils ne doivent pas être déclarés à l’impôt de personnes physiques.

En Belgique, il n’y a pas non plus d’impôt sur la fortune, pas d’impôt sur les plus-values financières (sociétés et particuliers). Et pour couronner le tout, nous avons le secret bancaire fiscal. Ce secret, n’en déplaise à notre Ministre des Finances, Didier Reynders[3], est inscrit en toute lettre à l’article 318 du Code des impôts sur les revenus : « L’administration n’est pas autorisée à recueillir dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d’épargne, des renseignements en vue de l’imposition de leurs clients ».

De ce fait, il n’existe pas de cadastre des patrimoines mobiliers (financiers). Il n’y a aucune obligation pour les banques d’établir annuellement une liste nominative des bénéficiaires de revenus financiers, avec en prime la discrétion la plus totale sur la fraude fiscale (évaluée à 20 milliards d’euros par an) et l’évasion de capitaux (un quart du patrimoine financier belge serait à l’étranger). Ainsi, des sommes considérables d’argent échappent quasi totalement à l’impôt.

Quant à sa progressivité, elle a été bien mal menée, ces 20 dernières années, à travers les différentes réformes fiscales concernant l’impôt des personnes physiques (IPP) et des sociétés (ISOC).

La disparition des plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu (IPP), avec le démantèlement des deux tranches les plus élevées (55% et 52,5%) a surtout été appréciée par les hauts revenus. Mais les revenus imposables, qui dépassent 31 700 euros (revenus 2006), sont déjà taxés au taux le plus élevé, soit 50%.

Le taux d’imposition nominal (taux affiché), levé sur les bénéfices des entreprises, est passé de 45%, en 1996, à moins de 25% aujourd’hui, avec les intérêts notionnels[4]. Quant au taux réel (effectivement payé), il n’était déjà plus que de 23,9% en 2001 et bien moindre encore dans certains secteurs (2,3% pour les holdings ; 3,1% pour l’eau et l’électricité et de 8,5% pour les banques et compagnies d’assurance)[5].

Tandis que les contributions des sociétés à l’impôt et à la sécurité sociale ne cessent de diminuer, leurs bénéfices après impôt (résultat net) ont fait un bon spectaculaire ces dernières années : une augmentation de 14% en 2006 et de 250% depuis 2002[6].

Baisser les impôts sur les revenus professionnels…sans mettre en péril les dépenses sociales de l’Etat

S’il n’y a pas de cadastre sur les patrimoines financiers et la fortune, il en existe bien un sur les salaires, les allocations de chômage, les pensions, les indemnités maladie…

Ce qui nous amène à la conclusion vérifiée dans les faits et les chiffres : ce sont les travailleurs, salariées et appointés, secteurs privé et du public, ainsi que les allocataires sociaux qui financent la grande part des finances publiques via l’impôt direct.

Des travailleurs qui, nous en convenons, paient trop vite trop d’impôts.

La première tranche d’imposition sur les plus bas revenus reste fixée à 25% : un salarié commence à payer de l’impôt dès …623 euros brut par mois (7 476 euros/an). Et celui qui gagne 1 500 euros bruts est déjà soumis au taux marginal de 45%[7].

Dès lors, relever la quotité exemptée d’impôt, alléger le prélèvement fiscal sur les tranches de revenus les plus basses – ce que prône également Didier Reynders -, voilà bien une mesure bien- venue et qui pourrait être neutre sur le plan budgétaire, une mesure qui ne mettrait pas en péril les dépenses sociales de l’Etat. A condition que d’autres facultés contributives soient réellement sollicitées : hauts revenus, dividendes, plus-values boursières, bénéfices des sociétés, grosses fortunes… !

Il va sans dire qu’une telle réforme, qui s’appuie d’ailleurs sur une des recommandations de l’accord gouvernemental[8], va à l’encontre des réformes fiscales impulsées jusqu’à présent par notre ministre des Finances, et ratifiées par les gouvernements successifs et la majorité parlementaire.

Trois revendications pour un impôt…juste

Le Réseau pour la justice fiscale, côté francophone (RJF : une 40aine d’organisations dont les syndicats FGTB et CSC) et la Financieel Actie Netwerk, côté néerlandophone (FAN) mènent ensemble une campagne pour une réforme en profondeur de la fiscalité directe basée sur la justice fiscale.

Trois revendications prioritaires sont au coeur de cette démarche : la levée du secret bancaire fiscal, un cadastre des patrimoine financiers et un impôt sur la fortune.

La levée du secret bancaire fiscal est un préalable pour répertorier les patrimoines mobiliers et les revenus financiers et garantir ainsi une juste perception de l’impôt. C’est aussi un préalable pour mener une lutte efficace contre la fraude et l’évasion fiscales.

Dans son rapport 2007, intitulé « taxation du travail, emploi et compétitivité », le Conseil supérieur des Finances estime que le secret bancaire fiscal est de plus en plus anachronique en comparaison internationale. Il précise que « la Belgique est un des rares pays de l’Union européenne (3 sur 27) de l’OCDE (4 sur 30) à s’accrocher à l’utilisation fiscale du secret bancaire ». Notons également que la Belgique est un des rares pays de l’UE (avec le Luxembourg et l’Autriche) à avoir, jusqu’à présent, refusé l’échange d’informations entre pays sur les intérêts de l’épargne des non résidents.

Une proposition de loi pour la suppression du secret bancaire fiscal peut se résumer à un texte très court. Il s’agit de démanteler l’article 318 du Code des impôts sur les revenus et l’article 62bis du Code de la TVA qui limitent les pouvoirs d’investigation des administrations fiscales auprès des banques. Cela consiste en l’obligation pour les banques et autres intermédiaires financiers d’établir annuellement une liste nominative des bénéficiaires d’intérêts, de dividendes, de plus-values et autres revenus financiers ; l’obligation de fournir les informations sur les ouvertures, les modifications et les fermetures de comptes bancaires en vue d’établir un répertoire national de ces comptes bancaires ; l’obligation de déclarer toutes les sorties de capitaux de Belgique avec l’identification du donneur d’ordre.

Un impôt sur la fortune totalement justifié !

Avec les syndicats et l’ensemble des organisations des deux réseaux, RJF et FAN, nous faisons également campagne pour un impôt sur la fortune.

En France par exemple, le taux d’imposition sur les tranches de fortune nette imposable (barème 2008) va de 0,55% (770 000 à 1 240 000 euros) à 1,80% (au-delà de 16 020 000 euros). Le rendement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est relativement faible. Il a quand même généré 10,3 milliards d’euros de recettes entre 1997 et 2001[9].

Nous proposons un impôt progressif sur les fortunes (patrimoines) de plus d’1 million d’euros. Certains calculs indiquent qu’un impôt de 2% sur les fortunes de plus d’1 million d’euros rapporterait 6,8 milliards d’euros[10].

Un tel impôt est complètement justifié : fiscalement, économiquement et moralement !

Les facultés contributives de cette couche la plus riche de la population ont été fort peu sollicitées depuis longtemps. C’est le moins qu’on puisse dire ! La plupart des fortunes ont été bâties sur l’exploitation des travailleurs producteurs des richesses, mais également sur la spéculation sur les marchés financiers…Et, last but not least, les plus riches s’enrichissent sur la dette publique. Pendant qu’elles s’adonnent à l’évasion et à la fraude fiscale, les grosses fortunes (institutions financières et individus) encaissent depuis plus de vingt ans les intérêts substantiels de leurs placements garantis sur le marché des titres de la dette publique. Une dette publique qui est en grande partie le résultat de la défiscalisation progressive de cette couche la plus riche (sociétés et personnes) et de rentrées fiscales tout à fait en de ça des possibilités financières dans le pays (à cause du secret bancaire sur les patrimoines et les revenus financiers). Le remboursement des intérêts de la dette publique, au profit des plus riches et au détriment des services publics est le deuxième poste dans les dépenses de l’Etat. En 2006, ces intérêts atteignaient la somme de 11, 85 milliards d’euros, soit 3,78% du PIB.

Une telle situation plaide pour un impôt exceptionnel (one shot) sur la fortune. Mesure qui permettrait de diminuer drastiquement le stock de la dette publique et la charge des intérêts qui grèvent lourdement le budget de l’Etat fédéral.

Un impôt annuel sur la fortune contribuerait à mieux satisfaire les besoins fondamentaux de couches de la population touchées par la précarité et la pauvreté.

Un dossier : Vive l’impôt…juste !

Edité par les Equipes Populaires, avec le soutien de l’UNSP, du MOC, de la FGTB wallonne et d’ATTAC.

Appui à la campagne du RJF et du FAN

(commande : equipes.populaires@e-p.be)


[1] Source Banque Nationale de Belgique, L’Echo, suppl. 22 mars 2008).

[2] Focus Trends-Tendances, 17 novembre 2005.

[3] « Je rappelle toujours, au cas où certains l’oublieraient, qu’en Belgique le secret bancaire n’existe pas ». Didiers Reynders, RTBF, 20-9-2001.

[4] C’est un avantage fiscal pour toutes les entreprises, leur permettant de déduire de leur base imposable un intérêt fictif calculé sur leurs fonds propres. Ce nouveau cadeau fiscal est évalué, pour l’année 2007, à quelque 2 milliards 400 millions d’euros (en perte d’impôt pour les finances publiques).

[5] Calculs effectués par le quotidien Le Soir, 19-4-2001.

[6] Note de la FGTB nationale : revendications de la FGTB en vue d’augmenter le pouvoir d’achat.

[7] Carte blanche du Mouvement du 15 décembre, le Soir du 7/3/2008.

[8] « En ce qui concerne la perception des impôts et l’offre en matière de protection sociale, une application correcte et équitable de la réglementation est essentielle. Le gouvernement veillera scrupuleusement à ce que tous les contribuables et tous les ayant droits soient traités équitablement et que la législation fiscale et la législation sociale soient appliquées uniformément ».

[9] Marco Van Hees, Didier Reynders, l’homme qui parle à l’oreille des riches, Ed. Aden, 2008, p. 80.

[10] Calculs de M.V.H.


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