[Christiane Herman]

La photo de gauche montre un tilleul, celle de droite un bouleau sur fond d’épicéas. La charpente du tilleul est visible par transparence, tandis que celle du bouleau n’est visible qu’à un endroit où il a perdu sa frondaison. Le jeune tilleul a une enveloppe générale, une silhouette régulière, tandis que celle du bouleau est brouillonne à souhait et ce n’est pas seulement une question d’âge entre les deux arbres.


Près du tilleul, le piquet de clôture fait plus d’1m, ce qui donne environ 8m de haut pour ce tilleul. Après un tronc de 2 m de haut sa charpente se continue par deux axes formant une mauvaise fourche. Pour ce tilleul, les deux axes de la fourche ont une croissance verticale, symétrie radiale et diminution brusque du diamètre à la base de la fourche par rapport à celui du tronc A1 (axe d’ordre un). Ils seront nommé A1′ car il s’agit d’une réitération traumatique – ces deux axes réitèrent un « comportement de tronc », mais ne sont pas directement en contact avec le système racinaire ! Cette malformation se répète plus d’une fois sur les 2 axes et leurs branches font un angle aigu à leur insertion, donnant à l’ensemble de l’arbre un aspect de « balai de sorcière ». Mais le jeune arbre, être unitaire, n’avait qu’un seul bourgeon apical directeur de sa croissance en hauteur. Ce seul bourgeon apical dominait les bourgeons apicaux des petites branches A2, celles-ci croissaient alors à l’horizontale, donc pas de fourche, et constituaient le houppier temporaire de l’arbre, celui qui s’élague naturellement, surtout en forêt. Ce n’est que bien plus tard que l’arbre devient un être coloniaire, lors que son bourgeon A1 perd sa dominance sur les bourgeons apicaux des jeunes branches maîtresses de sa couronne, branches à croissance verticale que le botaniste qualifie de réitérations totales, ou A1’. En effet ces bourgeons apicaux A1’ sont chacun à l’origine d’une nouvelle unité architecturale qui travaille un peu pour elle. Cette hiérarchie entre les axes permettra à l’arbre, face à une suite d’années climatiques défavorables, de « fractionner sa mort », c’est-à-dire de faire mourir une branche pour que les autres résistent. Une partie de la résilience des arbres est le fait de cette coexistence d’axes de niveaux hiérarchiques, de développements, localisations, âges et durées de vie différents. Seuls des causes extérieures font mourir les arbres, dont l’homme.
Le problème des fourches est que ces deux axes sont en compétition l’un avec l’autre et à leur base il y a de l’écorce comprimée qui fragilise leur attache à l’ensemble. Des dizaines d’années plus tard il y aura arrachement d’une des deux branches avec plaie qui se continue sur le tronc.
L’arbre est incapable de sortir seul du traumatisme de sa transplantation. Quelle que soit la hauteur du plant à la transplantation, le fait de chipoter aux racines se répercute immanquablement sur le bourgeon apical de son axe vertical. Deux ou trois ans après la transplantation, le suivi consiste à lui rendre un seul bourgeon A1 directeur (inspection pied par pied, et intervention avec deux doigts, ou avec sécateur, minimum deux, trois passages).
Pour en revenir à la photo, remarquez aussi les extrémités des branches basses horizontales à droite et l’aspect hirsute du sommet de l’arbre…
L’arbre se construit sur du déjà construit, comme l’empilement des poupées russes, la dernière est la plus jeune et se superpose à la précédente. Il suit un modèle fractale de développement « belote et rebelote et rerebelote, A1, A1’, A1’’, …). C’est pourquoi on peut même lire sa hauteur à la transplantation même des dizaines d’années plus tard !


Quant au bouleau, il peine suite à des années de climat difficile à vivre pour des êtres fixés et il le montre par sa façon de décroître qui n’est autre que de l’élagage naturel. Il développe des paquets de brindilles sans ramifications, brindilles qui se casseront à cause du vent, laissant attachés au tronc des morceaux de branches mortes qui tomberont des années plus tard.

Il y a 600 millions d’années eut lieu l’explosion cambrienne – le début des « Temps géologiques », où l’on voit les formes de vie exploser dans le milieu aquatique marin alors que les formes de vie terrestres visibles à l’œil nu, n’apparaîtront que 200 millions d’années plus tard ! Ceci signe la différence entre les conditions de vie stable du milieu aquatique et celles bien plus variables du milieu terrestre (disponibilité en eau, température, climats..) bien plus difficile à vivre qu’en milieu stable. Les plantes, par définition terrestres, ont développé toutes sortes de stratégies pour s’adapter aux conditions de vie variables. Autonomes et fixées, elles savent aussi attendre, font des réserves, savent croître, décroître, se renouveler, fractionner leur mort et modifier leurs milieux de vie, mais « jamais seules 1  », elles « fabriquent » l’humus qui retient l’eau (capacité de rétention), mais aussi la perméabilité et donc l’approvisionnement des nappes phréatiques, elles protègent les sols et les retiennent, elles produisent de la nouvelle eau 2 et humidifient l’atmosphère mais aussi font de l’ombre, freinent le vent, réfléchissent la lumière, produisent l’oxygène atmosphérique et captent le carbone de l’air pour l’incorporer dans le cycle de la vie…  au point que la couverture végétale, temporisatrice du climat, constitue l’essentiel de la rugosité du paysage. Temporiser, c’est atténuer les extrêmes. N’est-ce pas ce que l’on cherche face au changement climatique ?
À chaque plante sa méthode d’adaptation à la variabilité climatique, pensez-y en pelant un oignon, une carotte… Le conseil de Francis Hallé pour comprendre votre arbre, dessinez-le en commençant de haut en bas, donc là où il est toujours jeune d’un an vers là où il est le plus vieux.

1 Marc-André Selosse, Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, Postface de Francis Hallé, Actes Sud, 2017.
2 Ernst Zürcher, Les arbres entre visible et invisible. S’étonner, comprendre, agir. Préface de Francis Hallé, Postface de Bruno Sirven, Actes Sud, 2016.


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