[Par Marianne Rathmes]

Deux petits livres d’Éric Vuillard, d’une écriture légère, parfois pleine d’humour, toujours belle et juste.

Les récits de Vuillard explorent des aspects souvent méconnus de notre histoire, depuis Conquistadors (2009) jusqu’à Une sortie honorable (2022), sur la guerre d’Indochine. Ces deux ci se situent en Allemagne à des époques différentes, mais quels que soient le temps et le lieu l’auteur nous fait sentir la pertinence contemporaine de ce qu’il raconte.

 La Guerre des Pauvres (Actes Sud, collection Un endroit où aller, 2019, 68 pages).

 « Les exaspérés sont ainsi, ils jaillissent un beau jour de la tête des peuples comme les fantômes sortent des murs. » L’auteur nous raconte l’histoire de Thomas Müntzer, dont le père fut pendu vers 1500 pour des raisons inconnues, sur ordre du Comte de Stolberg.

50 ans plus tôt on avait inventé l’imprimerie et le petit Thomas lisait la Bible.

L’invention de l’imprimerie et la traduction de la Bible en allemand seront une fenêtre ouverte sur la corruption du clergé. Des prédicateurs tels que Müntzer vont s’emparer de cette question. Ils lisent Erasme, Nicolas de Cue, Jan Hus. Beaucoup d’anonymes, des gens simples, des paysans sillonnent les routes afin de faire connaître leurs revendications sociales. La Réforme aussi est là et des émeutes populaires se propagent en Europe, des combats rarement victorieux et réprimés par les princes. A noter que Luther restait un conservateur convaincu et était opposé à tout changement social. La fin de Thomas Müntzer est peu connue. On sait qu’il fut torturé puis décapité à l’âge de 35 ans.

« La jeunesse est sans fin, le secret de notre égalité immortel et la solitude fabuleuse. Le martyre est un piège pour ceux que l’on opprime, seule est souhaitable la victoire. Je la raconterai. »

L’Ordre du Jour(Actes Sud, collection Un endroit où aller, 2017, Prix Goncourt, 150 pages)

Le 20 février 1933 se tient à Berlin une réunion secrète entre les plus grands industriels allemands et les hauts dignitaires nazis. Ils doivent trouver un moyen de financer la prochaine campagne électorale. Toute la finance et l’industrie (Krupp, Opel, Siemens, BASF, AEG, Telefunken…) sont présents ce jour-là. Ils sont toujours là aujourd’hui, plus que jamais, ce sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d’entretien, nos radios-réveils, l’assurance de notre maison, la pile de notre montre. Chez ces gens-là, l’argent permet toujours de se tirer d’un mauvais pas !

Afin d’augmenter son « espace vital », Hitler comptait commencer en douceur par l’annexion de l’Autriche, son pays natal. Seules quelques puissances étrangères s’opposèrent un premier temps à ce projet. Mais Lord Halifax, alors président du Conseil privé de Sa Majesté, crut bon de se rendre à Berlin à titre personnel et sur invitation d’Hermann Goering. Il ne voit rien, ne comprend rien, se laisse manipuler comme un débutant ou plus probablement ne veut rien voir. Il laissera entendre à Hitler que « les prétentions allemandes sur l’Autriche et une partie de la Tchécoslovaquie ne semblaient pas illégitimes au gouvernement de Sa Majesté pourvu que cela se déroule dans la paix et la concertation. » «  Ce n’est pas la gaffe d’un vieil étourdi, c’est une cécité sociale : la morgue. » Naturellement Hitler n’en restera pas là, il veut envahir petit à petit toute l’Europe.

Pendant ce temps-là le nazisme avançait à découvert (exposition sur le thème du Juif éternel, ouverture de Dachau, stérilisation des malades mentaux et bien d’autres choses). Tout était visible pour qui voulait voir !

Tout au long de ce petit livre, nous assistons aux marchandages des vies humaines pour de vulgaires intérêts politiques et financiers. « Le plus souvent, ce qui semble irrésistible, ce ne sont pas les circonstances, mais nos accommodements et les compromis des puissants. »


  • Publié : 2 ans ago on 18 février 2022
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  • Dernière modification : février 18, 2022 @ 2:10 pm
  • Catégorie : Livres

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