[Une analyse de Elie SADIGH]

1. La théorie monétaire dominante et le fonctionnement actuel du système monétaire national et du système monétaire et financier international

1.1. La théorie monétaire des néoclassiques

Les néoclassiques considèrent et étudient la monnaie comme un bien. Au niveau national, ils proposent de déterminer le pouvoir d’achat de la monnaie (sa valeur ou son prix) sur le marché en fonction de sa quantité par rapport à la quantité des autres biens qui entrent dans les transactions. Au niveau international, ils proposent de déterminer le taux de change (le prix ou la valeur) de chaque monnaie en fonction de son offre et de sa demande, comme pour une marchandise. En considérant que la monnaie a un pouvoir d’achat, ils confondent monnaie et revenu monétaire.

Or, la monnaie, en tant que numéraire ou équivalent général, n’a ni valeur ni prix ni pouvoir d’achat. Ce n’est pas la monnaie qui a un pouvoir d’achat sur les produits ou un droit légitime sur les produits, c’est le revenu monétaire.

1.2. Le fonctionnement du système bancaire

Jusqu’à présent, l’émission de la monnaie est régie par des règles arbitraires. Ainsi, dans une économie salariale, les banques ne distinguent pas entre monnaie émise destinée à monétiser la production dans l’acte de paiement des salaires et monnaie émise destinée directement au marché des produits. Dans le premier cas, la monnaie devient un revenu monétaire qui représente le droit légitime sur les produits. Dans le second cas, la monnaie exerce un pouvoir d’achat illégitime sur les produits.

En outre, la banque centrale contrôle la quantité de monnaie émise par les banques, mais pas sa destination. Elle n’écarte donc pas la cause des achats illégitimes.

1.3. La liquidité internationale apparaît lorsque la monnaie d’un pays joue le rôle de monnaie internationale.

Le dollar américain, monnaie nationale, joue le rôle de monnaie internationale. Cela a pour conséquence néfaste que les États-Unis ont la possibilité de financer le déficit de leur balance commerciale et même le déficit de leur balance des payements par leur propre monnaie. Cette façon de financer ces déficits est à l’origine de l’apparition de la liquidité internationale.

La liquidité internationale n’apparaît pas lorsque la règle suivante du fonctionnement normal des échanges internationaux est respectée : “les achats nets d’un pays ou d’un ensemble de pays doivent être financés par les ventes nettes d’autres pays”.

Le montant de dollars américains détenu par les non-résidents américains représente le montant de la liquidité internationale. Il représente le montant de la dette extérieure cumulée des États-Unis. Dans le cadre de la détermination actuelle des taux de change, les placements et les déplacements de la liquidité internationale, d’un pays vers d’autres pays, font varier les taux de change des monnaies des pays concernés. La liquidité internationale facilite et favorise les placements sur le marché financier international des spéculateurs, des tricheurs fiscaux, des mafieux, des criminels, etc. Elle se trouve être à l’origine des crises financières planétaires. En outre, les États-Unis ont la possibilité de pénaliser les pays qui utilisent les dollars américains et dont ils n’approuvent pas la politique.

1.4. L’euro, la monnaie unique d’un ensemble de pays

Sans prendre certaines mesures et précautions nécessaires, les dirigeants de plusieurs pays de l’Union Européenne ont accepté l’euro comme monnaie unique.

Au moment de l’entrée en vigueur de l’euro, les taux de conversion des monnaies, tels qu’ils étaient fixés, n’aboutissaient pas à une égalité entre les valeurs des produits au stade de la production d’un pays à l’autre. Cela a favorisé les délocalisations des entreprises des pays dont les monnaies étaient surévaluées vers les pays dont les monnaies étaient sous-évaluées.

En outre, depuis l’entrée en vigueur de l’euro, l’absence d’une même politique économique, d’une même politique salariale, d’une même politique sociale et d’une même politique fiscale au sein des différents pays de l’Union européenne engendre une concurrence inégale entre les produits des pays membres de la zone euro.

L’inégalité entre les pouvoirs d’achat des revenus du travail d’un pays à l’autre et l’absence de convergence des politiques économiques, salariales, sociales et fiscales des différents pays mettent en danger l’avenir de la zone euro.

1.5. La libre circulation des capitaux financiers

La libre circulation des capitaux financiers est une anomalie. En effet, le revenu monétaire formé dans chaque pays doit être destiné à être dépensé sur le marché des produits de chaque pays considéré, afin que ses entreprises récupèrent le montant de monnaie qui leur a permis de monétiser la production dans l’acte de paiement des salaires. L’épargne représente une partie du revenu monétaire formé à la production. Elle est donc destinée à être dépensée sur le marché des produits du pays considéré. Le profit aussi représente une partie du revenu monétaire formé à la production, captée par les entreprises. Il est aussi destiné à être dépensé sur le marché des produits du pays considéré. L’une des causes de l’apparition de l’insuffisance de la demande globale dans un pays est le fait que des capitaux financiers (épargne et profit) de ce pays sont placés dans d’autres pays. L’une des causes de l’apparition de l’inflation-déséquilibre et donc des achats illégitimes dans un pays est le fait que des capitaux financiers d’autres pays sont placés dans ce pays.

2. Avantages attribués aux cryptomonnaies

Les partisans des cryptomonnaies les vantent en avançant comme les arguments suivants :

  • Les cryptomonnaies fonctionnent de manière décentralisée, c’est-à-dire sans tierces personnes intermédiaires comme les banques, dont certaines ont failli lors de la dernière crise financière.
  • La plupart des cryptomonnaies ne sont contrôlées ni par les États ni par les Banques centrales.
  • Les cryptomonnaies utilisent les nouvelles technologies, ce qui rend les paiements et les transferts de capitaux financiers plus faciles, plus rapides et moins coûteux qu’avec les monnaies bancaires.
  • Les cryptomonnaies sont universelles, car elles peuvent être utilisées à l’intérieur des pays, entre les pays et de par le monde.

Ces affirmations appellent les remarques suivantes, qui concernent également la monnaie :

1° La forme corporelle ou incorporelle des cryptomonnaies, l’utilisation d’Internet et de la blockchain n’ont d’effet ni sur leur analyse, ni sur leurs rôles, ni sur les règles qui doivent régir leur émission.

2° Le contrôle de l’émission des cryptomonnaies est nécessaire pour vérifier que :

  • les organismes émetteurs n’émettent pas de cryptomonnaies pour eux-mêmes ;
  • dans une économie salariale, les cryptomonnaies sont émises uniquement pour assurer le paiement de tous les salaires ;
  • dans une économie artisanale, les cryptomonnaies sont introduites uniquement par les artisans pour financer le paiement des prix d’achat de produits d’autres artisans et s’assurer que les achats nets sont financés par les ventes nettes.

3° Une cryptomonnaie ne doit pas être utilisée, à la fois, dans un pays, dans un ensemble de pays et de par le monde.

3.  Problèmes posés par les cryptomonnaies

Les cryptomonnaies, conventionnellement admises comme moyen de paiement, posent plusieurs problèmes.

  1. Les émissions de cryptomonnaies ne connaissent pas de contrôle de la part d’un organisme neutre pouvant vérifier l’application des règles de l’émission de monnaie dans l’économie salariale, dans l’économie artisanale et dans l’économie internationale.
  2. L’achat de cryptomonnaies grâce à un dépôt bancaire aboutit à un doublement de la masse monétaire : un dépôt bancaire au nom de l’organisme d’émission subsiste après la vente et ce dépôt bancaire n’est pas bloqué. Cette situation d’inflation-déséquilibre engendre des achats illégitimes.
  3. Quelques organismes émetteurs de cryptomonnaies proposent un taux de change fixe à raison d’une unité monétaire de cryptomonnaie pour une unité de monnaie de tel pays. Mais la plupart des organismes émetteurs prennent en compte les taux de change déterminés par l’offre et la demande de la monnaie de chaque pays. Or, les taux de change ainsi déterminés sont arbitraires.
  4. Le change des monnaies de certains pays en cryptomonnaies auxquelles les organismes émetteurs veulent donner un rôle supranational ou universel n’est pas compatible avec le fonctionnement normal des économies nationales ni de l’économie internationale. En effet, le revenu monétaire formé dans un pays est destiné à être dépensé dans ce pays et la monnaie internationale doit être distincte de toutes les monnaies nationales ou régionales (cf. article 39).
  5. L’utilisation des cryptomonnaies de par le monde ne permet pas davantage d’assurer la réalisation des échanges dans l’équivalence puisque les taux de change ne sont pas déterminés actuellement dans le respect de la parité des pouvoirs d’achat.
  6. 6° Les cryptomonnaies facilitent encore plus l’évasion des capitaux financiers car les organismes émetteurs des cryptomonnaies échappent au contrôle des États et des banques centrales.
  7. Certains organismes émetteurs de cryptomonnaies revendiquent comme objectif l’inclusion financière de nombreuses personnes ne bénéficiant pas actuellement des services bancaires. Mais cette inclusion se fait dans le non-respect des règles de l’économie salariale, de l’économie artisanale et de l’économie internationale. En outre, cela laisse croire que les banques ne sont pas une nécessité et fait apparaître l’un des objectifs des organismes émetteurs de cryptomonnaies : remplacer à terme les guichets des banques et par la suite les banques elles-mêmes.
  8. Certains organismes émetteurs de cryptomonnaies disposent d’une réserve financière. Si cette réserve est convertie en actifs financiers, les détenteurs de cryptomonnaies devront subir l’éventuelle crise de liquidité résultant de l’impossibilité de vendre immédiatement ces actifs financiers en cas de demande de conversion de cryptomonnaies en monnaie. Les détenteurs de cryptomonnaies dont l’organisme émetteur qui ne dispose pas de réserve fait défaut ne pourront pas bénéficier de la garantie des dépôts bancaires ou du secours des banques centrales.
  9. A supposer que les cryptomonnaies soient émises conformément aux règles de l’économie salariale, de l’économie artisanale et de l’économie internationale, les banques risquent d’être mises en difficulté car elles perdraient leurs sources de revenus.

4. Conclusion

La conception de la monnaie des néoclassiques, le non-respect des règles de l’émission de la monnaie par le système bancaire, le rôle de monnaie internationale donné au dollar américain, l’utilisation de l’euro comme monnaie unique par plusieurs pays sans précautions et la libre circulation des capitaux financiers ont laissé la voie ouverte aux cryptomonnaies qui présentent les mêmes défauts. C’est aussi pour cela que la lutte entre la monnaie et les cryptomonnaies se déroule dans le champ technologique et que la réponse donnée par les banques centrales est la monnaie digitale des banques centrales, banques qui utilisent les mêmes techniques que les cryptomonnaies, ce qui ne résout en rien le problème de la méconnaissance des rôles de la monnaie.


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