Jean-Claude PAYE, sociologue

Guerre entre les paradis fiscaux comme la Suisse et les centres “offshore” contrôlés par les Etats-Unis. Les attaques étasuniennes contre UBS visent à ce que les capitaux s’investissent dans la zone dollar.

Constatant les déficits abyssaux de la balance commerciale et du budget de l’Etat étasunien, de nombreux économistes annoncent une fin proche de la domination du dollar comme monnaie internationale. Cependant, les choses s’avèrent plus complexes. La monnaie n’est pas seulement une unité de compte et un instrument de réserve, c’est aussi un moyen d’action, une marque de la puissance politique. Elle est constitutive de la forme d’Etat. Le dollar n’est pas seulement la monnaie de l’Etat national étasunien, mais aussi de la fonction impériale de ce dernier.

Affaibli au niveau strictement économique, le dollar dispose de la force politique de l’Etat américain pour essayer de maintenir ses prérogatives mondiales. C’est dans ce cadre de maintien de l’hégémonie de la monnaie américaine, en obligeant les capitaux à se placer dans sa zone économique, qu’il faut lire l’opération actuelle de restructuration du système financier international, dont l’attaque contre la banque suisse UBS est une opération majeure.

Ce 19 août 2009, UBS et le fisc américain ont signé un accord qui met fin momentanément à l’affaire de fraude fiscale qui les opposait. Il permet à la banque d’échapper à un procès. Cependant, UBS doit donner les noms de quelque 4 450 titulaires de comptes de contribuables américains soupçonnés de fraude fiscale. Ces données seront transmises par la voie officielle de l’entraide administrative. Les autorités helvétiques ont ainsi légalisé le nouveau rapport de forces et le fisc américain a obtenu leur aval afin d’enquêter sur d’autres banques suisses. La suppression de la distinction fraude-évasion fiscale, opérée par la Confédération pour sortir de la liste grise des paradis fiscaux établie par l’OCDE, offre de nouvelles perspectives aux demandes des administrations fiscales étrangères. Les autorités suisses cherchent avant tout à empêcher les “pêches au filet”, c’est-à-dire l’obtention d’informations sur base de simples soupçons et non en fonction de renseignements précis, par exemples les noms des fraudeurs, les sociétés impliquées, des numéros de comptes, etc. Cependant, à ce niveau rien n’est définitivement fixé. Comme depuis le début de cette affaire, tout va se jouer au rapport de forces.

En fait, ce nouvel accord entre UBS et l’administration américaine va servir d’étalon pour définir la taille des mailles du filet avec lequel le fisc américain va partir à la pêche aux fraudeurs et cela dans l’ensemble de la place financière helvétique et ensuite dans les pays tiers.

L’accord de février 2009, par lequel la banque UBS a d’abord accepté, au mépris du droit helvétique, de livrer à la justice américaine le nom d’environ 250 clients, qu’elle avait aidés à échapper au fisc US, n’avait pas arrêté la justice américaine. A peine l’accord était-il signé, que celle-ci avait exigé qu’UBS lui livre l’identité de quelque 52 000 clients américains titulaires de “comptes secrets illégaux“. Le nouvel accord suspend ces exigences. Il est, à première vue et contre toute attente, particulièrement favorable à la banque suisse.

UBS, qui s’était déjà acquittée d’une amende de 780 millions de dollars en février ne devra pas payer de pénalités supplémentaires. Cela fait exception à la pratique habituelle du fisc américain. Plus surprenant encore : il est stipulé que si, après un an, la banque n’a pas respecté ses engagements, aucune sanction financière ne pourra être prise contre elle. On ne peut comprendre une telle attitude de l’administration US que si l’on pose l’hypothèse que le fisc étasunien ne veut pas créer de difficultés financières à la banque. Il n’a, en effet, pas intérêt à tuer un cheval de Troie, qui, jusqu’à présent, l’a si bien servi et surtout qui peut lui être encore très utile. UBS est très dépendant du marché américain et est ainsi particulièrement vulnérable aux pressions du fisc US. C’est moins le cas en ce qui concerne les autres banques helvétiques. Le déroulement de cette affaire nous indique que l’on doit ainsi s’attendre à de nouvelles attaques étasuniennes contre la place financière suisse.

L’action de l’administration étasunienne contre cette banque helvétique est l’utilisation d’une opération contre l’évasion fiscale de ses nationaux, afin de modifier, à son avantage, les règles de fonctionnement du système bancaire mondial.

La réponse positive d’UBS aux injonctions du fisc US, ainsi que la légitimation de cette remise d’informations par les autorités de contrôle helvétiques, placent l’administration américaine dans une position qui lui permet de formuler constamment des nouvelles exigences. La souveraineté américaine se définit, non seulement comme capacité à poser l’exception et à établir un état d’exception permanent en posant toujours de nouvelles demandes, mais surtout à en faire la base sur laquelle se reconstruit un nouvel ordre juridique international.

La création d’un pur rapport de forces n’est jamais qu’une première forme d’action. Les autorités américaines ont ensuite la capacité de faire légitimer, par toutes les parties, les nouveaux droits qu’elles se sont accordé.

Cette nouvelle souveraineté américaine s’inscrit dans une réorganisation du système financier international en leur faveur. A travers la lutte contre la fraude fiscale, cette opération distingue les “paradis fiscaux”, dont la Suisse ferait partie, des centres “offshore”, généralement entièrement contrôlées par les autorités étasuniennes, dont la technique d’évasion fiscale est basée sur les “trusts”. Ces derniers, coûteux à mettre en place, permettent une opacité fiscale bien plus grande que la technique du secret bancaire.

La place helvétique détient encore 27 % du marché offshore, celui des capitaux placés en dehors de leur pays d’origine. Elle est ainsi la principale concurrente des centres financiers anglo-saxons. Les attaques contre la place suisse sont un moyen de lutter contre le déclin du dollar, en obligeant les capitaux à s’investir dans la zone de cette monnaie, tout en garantissant aux plus hauts revenus le moyen d’échapper à toute imposition fiscale.

Le G 20 de Londres, en avril 2009 (1), nous montre cependant que la mainmise américaine sur le système financier international ne sera que partielle. La place de Singapour, qui est appelée à se développer fortement et susceptible de récupérer une partie des capitaux quittant la Suisse, est parvenue à maintenir ses prérogatives face à l’offensive US.

http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/532497/la-banque-ubs-et-l-hegemonie-du-dollar.html

( 01/10/09)


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