Planter un arbre en ville, ce n’est pas du gâteau !
Pour rappel, voici des précautions à prendre pour les fosses de plantation et la transplantation proprement dite. Le mélange terre-pierres est composé de : 40% de terre végétale, 60% de pierres. La taille des granulats est primordiale : comprise entre 20 mm et 40 mm (grave 20/40). Leur nature est secondaire. Ce mélange doit être homogène et préparé antérieurement; la mise en place doit avoir lieu 6 mois avant la plantation afin d’éviter des poches d’air ou d’eau stagnante vite toxiques par manque d’O2 ! Ce système fut élaboré en France en 1986 par le laboratoire des Ponts et Chaussées d’Angers à la demande du service des Espaces Verts de la ville d’Angers. Le mélange terre-pierres assure l’enracinement des plantes et des arbres dans des espaces où la circulation automobile et pédestre peut être intense. Les pierres forment un squelette auto-bloqué portant, entre lesquelles la « terre végétale » non compactée est le support de la colonisation racinaire. Il faut prévoir une fosse de 60% plus grande car la rétention de l’eau est réduite par la présence des pierres. La solution «urbaniste » (Bruxelles) de remplacer les pierres par des boules d’argex de taille appropriée, ne peut convenir pour un arbre ; sa stabilité est due à la masse de son système racinaire et de la terre qu’il enserre, face au bras de levier que constitue sa partie aérienne au prise avec le vent. Le modèle mécanique d’un arbre est celui d’un voilier avec voiles et quille (voir Mattek). N’oublions pas auparavant de « casser le fond de forme », autrement dit, d’avoir supprimé l’aspect lisse et compacté de la fosse (côtés et fond) obtenu avec nos tractopelles afin que les futures petites racines puissent s’étendre au-delà de la fosse. De plus, il ne faut jamais de plantation d’arbre « sur dalle », car avec le temps la masse de l’arbre devient énorme ! Une astuce de l’homme de terrain est de placer au fond de la fosse une vieille peau de mouton. Elle dégagerait des auxines qui favorisent le développement racinaire.
Quand au plant, il devrait être le plus jeune possible pour minimiser le traumatisme de sa transplantation ; d’une espèce longévive, si possible capable de refaire un pivot[1]; pas de tuteur et si nécessaire, le plant attaché le plus bas possible afin de forcer la plante à s’ancrer[2]. Par contre, il faut prévoir de solides pare-chocs ou poteaux de signalisation sans quoi tout ce qui précède peut être anéanti en un instant.
« à l’inverse de la sylviculture, l’arboriculture fruitière et l’arboriculture urbaine éduquent les tiges par pied, et non par peuplement… » Andrée Corvol[3].
De toute façon, il s’agit de prévoir un contrat long terme (min. 10 ans) avec un jardinier en charge du SUIVI – les « pincements » et tailles de reformation pour rendre la dominance au seul bourgeon apical de l’axe vertical durant l’édification de l’arbre (stade 1 à 6 de l’échelle de P. Raimbault, voir site « plantearbre »), car l’arbre est incapable de surmonter seul le traumatisme de sa transplantation. Ce jardinier serait également en charge du couvert du terrain pendant l’installation de l’arbre (pas de pelouse – le béton vert, ni couverture plastique ou autres géotextiles, ni plantes grimpantes, mais des cartons, des fleurs annuelles). En d’autres termes, tout le devenir de l’arbre repose sur les compétences et le gardiennage du jardinier, dont le travail d’éducation de l’arbre serait reconnu par ce contrat long terme et sans lequel nous n’obtiendrons que des arbres « balai de sorcière », dont la longueur du manche est la hauteur du plant à la transplantation et le houppier composé de réitérations traumatiques totales, sans hiérarchie entre les axes, ainsi donc un arbre mécaniquement faible (fourches), incapable d’élagage naturel – sa façon de décroître, une partie de sa capacité d’adaptation au milieu, face aux variations climatiques, notamment la pluviosité ; un arbre qui, dès le départ, aura perdu, un tiers de sa hauteur potentielle et les trois quart de sa longévité !
Cette chaine de précautions nous donne une idée de la valeur monétaire d’un arbre de ville. Il nous faut établir un devis détaillé des coûts qu’engendre une telle transplantation en milieu urbain, afin que l’on puisse se servir de cette évaluation auprès des autorités et des services des travaux des villes et villages pour défendre les arbres déjà installés depuis plus de 10-15 ans et ainsi argumenter que c’est une arnaque absolue de remplacer un arbre de ville installé depuis plus de 10 ans par des sujets issus de pépinière et déjà marqués dans leur système racinaire par les brutalités subies dans ces pépinières et lors de leur transplantation, brutalités qui se répercutent nécessairement dans leur partie aérienne et sur leur longévité. Pour le politique et les « aménageurs », ce qui compte, c’est le coût et le nombre ; ainsi devraient «sortir » des inventaires les arbres n’ayant pas 10-15 ans d’installation et les « brosses à cabinet » qui ne jouent même plus pour le stockage du CO2 puisqu’ils ne grandissent ni ne grossissent plus et par conséquent ont un bilan zéro quant à la production d’oxygène, d’eau et perchoir pour les oiseaux.
Va-t-il nous falloir nous réjouir de cocotiers en plastique avec lesquels il suffira de brancher la prise pour nos illuminations de fin d’année et de la création de nouveaux jobs : laveurs de cocotier ?
« Un important principe – à la fois peu connu et totalement tragique – contrôle la structure de presque tous les systèmes complexes. Il affirme que la construction est un processus lent qui se développe à tout petits pas, tandis que la destruction se suffit d’un instant, dit Stephen Jay Gould. J’ai désigné ce principe sous le nom de Grande Asymétrie, avec majuscules pour souligner sa triste généralité.
Aucun arbre n’y échappe : n’importe quel simple d’esprit, armé d’une tronçonneuse, abat en un quart d’heure un Meranti haut comme les tours de Notre-Dame ou un Alerce vieux de vingt-cinq siècles ; le tout au bénéfice d’un affairiste sans scrupules assis dans son bureau à l’autre bout du monde, et qui n’a aucune idée de ce qu’est un arbre. »
Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre,
Actes Sud, 2005, p.24.
[1] Dans les livres, on présente l’épicéa comme une essence à système racinaire traçant. C’est faux ! Qu’un « épicéa transplanté » ait un système racinaire traçant, d’accord ! Qu’il soit incapable de refaire un pivot, comme il est incapable de rejeter de souche, là aussi, nous sommes d’accord ! Mais croire qu’une espèce de montagne peut se passer de pivot, c’est oublier les pentes sur lesquels il s’accroche et dont il freine l’érosion. [2] Réaction en réponse au vent, réaction caractéristique du vivant qui réagit en s’adaptant à la situation ! [3] Caroline Mollie, Des arbres dans la ville ; L’urbanisme végétal, Actes Sud / Cité verte, 2009.