Chaque révolution technologique amène son lot de craintes quant aux emplois qui vont disparaître, évoluer ou être créés. Si la robotisation a fait craindre le pire, l’OCDE constate que le niveau de chômage est pourtant à son niveau le plus bas depuis la fin des années 70. Si de nombreux emplois ont disparu au profit du travail robotisé, de nouveaux types d’emplois ont donc été créés. Les robots ont le plus souvent ôté le travail à des travailleurs peu qualifiés qui bien souvent ont dû se reconvertir, lorsqu’ils en avaient la possibilité, pour continuer à travailler. Dans le meilleur des cas, l’entreprise a gardé une partie de ses travailleurs et les a formés pour occuper un nouveau poste en lien avec la robotisation.

Mais qu’en est-il de l’intelligence artificielle ? Va-t-elle faire disparaître un grand nombre d’emplois ? Lesquels ? Va-t-elle en créer de nouveaux ? Pourra-t-on se reconvertir facilement pour s’adapter aux mutations induites ?

Si la plupart s’accordent sur le fait que l’intelligence artificielle va remplacer (et remplace déjà) en partie le travail humain, les chercheurs ne sont pas toujours d’accord sur le type d’emploi qui va disparaître. D’après une étude publiée dans la revue Science, l’intelligence artificielle impacterait d’abord les emplois plus qualifiés et donc les hauts revenus. Le modèle GPT-4-LLM, associé à une étude humaine, a lui-même prédit que l’intelligence artificielle pourrait réduire de moitié les tâches de 18,5 % des professions, avec une qualité équivalente. Il s’agit principalement de professions avec un haut niveau de qualification. Citons à titre d’exemple les architectes de base de données, les ingénieurs en informatique, les experts dans le domaine des Big Data, les analystes financiers ou encore des experts en données biomédicales.

A l’inverse, pour le LaborIA (programme français de recherche sur les impacts de l’IA, créé par le Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités) et pour Cédric Villani (mathématicien), les professions qui seront les plus impactées par l’IA seront les moins qualifiées, celles qui comportent des tâches répétitives (complexes ou non) que l’on peut facilement automatiser : ouvriers non qualifiés dans l’industrie, manutention, agents d’entretien ou caissiers. Et la machine est déjà bien en marche ! Prenons l’exemple de ces femmes qui pour tenter de survivre cueillaient des feuilles de thé pour un salaire de misère. Du jour au lendemain, on leur a demandé de ne plus se présenter au travail car un robot alimenté par l’IA était aujourd’hui capable de mieux faire leur travail qu’elles et allait donc les remplacer. Des projets similaires sont pléthore dans le monde agricole, comme au Chili où l’entreprise Unifrutti utilise des drones pour la cueillette de différentes variétés de fruits ou encore tous les projets de l’entreprise FFRobotics.

Nous voyons que les prédictions quant aux types d’emplois qui vont être le plus impactés sont loin d’être cohérentes. Il en va de même quant à l’ampleur de cet impact, donc au nombre d’emplois qui vont être touchés. En effet, si pour le rapport français de la Commission Intelligence Artificielle du 13 mars, « Les emplois directement remplaçables par l’IA ne représenteraient que 5 % des emplois d’un pays comme la France », d’après une étude de McKinsey, 60 % des métiers pourraient être impactés par l’automatisation, d’ici 2030. Et d’après une étude d’Antonin Bergeaud (HEC), l’automatisation concerne environ 20 % des travailleurs. Enfin, pour d’autres optimistes (lemondeinformatique.fr), l’IA est destinée à créer bien plus d’emplois qu’elle ne va en détruire, elle devrait même créer 500 millions d’emplois d’ici 2033.

Nous l’avons vu, lorsque nous voulons évaluer l’impact de l’IA sur l’emploi, nous naviguons en eaux troubles, comme c’est aussi le cas dans ses rapports avec l’éthique ou la vie privée par exemple. Mais nous fonçons tête baissée ! Ce qui est certain par contre, c’est que le développement très rapide de l’IA que nous connaissons depuis plusieurs années va induire une mutation du monde du travail. Un rapport du forum économique de Davos, indiquait déjà en 2016 que 65 % des enfants qui entraient à cette époque à l’école primaire occuperaient plus tard des emplois qui n’existaient pas encore. Et de nombreux chercheurs s’accordent à dire que ces nouveaux emplois nécessiteront plus de qualification, de compétences mais aussi plus de responsabilités. Et l’IA transformera aussi beaucoup l’organisation du travail et pourrait engendrer une perte d’autonomie du salarié et automatiser des contrôles de plus en plus insidieux, auxquels des risques psychosociaux pourraient être associés. Mais ceci est encore une autre joyeuseté de l’intelligence artificielle dont nous parlerons peut-être dans un prochain épisode.


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