[Riccardo Petrella, Professeur émérite, Université de Louvain(B)]

Un des background papers de la conférence

L’approche

Je réponds avec plaisir à la sollicitation amicale de Roberto Savio. Sur le sujet de l’intelligence artificielle, je suis un observateur sans expertise à faire valoir. Les réflexions qui suivent sont celles d’un économiste politique qui ne peut se dispenser d’examiner les conditions dans lesquelles s’opèrent les bouleversements en cours provoqués par le développement et la diffusion de l’Intelligence Artificielle (IA) et leurs conséquences dans tous les domaines de la vie (sociétés humaines et monde naturel).

Précisons tout de suite la boîte à outils.

Pour un économiste politique, l’économie est l’ensemble des règles relatives au lieu de vie(du grec oikos : lieu de vie et nomos : règle) identifié, comme cadre de référence institutionnel/juridique, à la polis (la cité, aujourd’hui nous dirions “État”).

Dans l’esprit de cette définition, l’économie politique a pour objet d’analyse certains éléments structurels dont les interrelations, le plus souvent imbriquées, délimitent et structurent le monde politico-économique des sociétés humaines.

Les éléments pris en considération sont :

– les lieux de vie,

– les habitants,

– les ressources et les biens communs indispensables à la vie

– les valeurs fondatrices,

– les règles

– les régulateurs.

Le but de mon exercice est d’examiner la relation entre un nouveau macro-phénomène – l’IA – et un système sociétal construit au cours des cent dernières années, donc assez conséquent, complexe et aussi solide (ce qui ne veut pas dire dénué de tensions, de querelles, de crises, de conflits) qui a généré l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas de considérer l’IA comme le facteur qui influence la société, mais de le faire en tenant compte du fait que la société est le contexte qui a incubé, fait naître et grandir le phénomène.

Deuxième précision, j’utilise le concept d’Intelligence Artificielle dans son expression élémentaire, c’est-à-dire : l’ensemble des processus et des méthodes/outils visant à développer des connaissances et des technologies destinées à donner une capacité de réflexion (intelligence) aux machines produites par les sociétés actuelles de plus en plus basées sur la connaissance. Même si certains courants pensent qu’il s’agit là d’une conception réductrice de l’IA, il me semble que ce qui suit permet de réfléchir et de poser quelques questions de base.

Le premier groupe d’éléments nous amène à examiner les principaux champs d’action de l’IA. Le second nous conduira au cœur du sens et du pouvoir de l’IA.

Première partie. Les principaux champs d’interaction de l’IA

1. Le lieu de vie

Il n’y a pas si longtemps encore, le lieu de vie était unanimement représenté par la Nature. L’éco-nomie et l’éco-logie (le discours sur le lieu de vie) auraient donc dû s’accorder harmonieusement. La nature reste toujours le lieu de lvie, mais elle a été de plus en plus modifiée et artificialisée, surtout au cours des 150 dernières années par les travaux de l’homme, en termes d’infrastructures et d’exploitation : déforestation, contamination des sols et des océans, pollution de l’eau et de l’air, pesticides, rejets industriels, construction de grands barrages (plus de 20 000), plus de 80 millions de km de routes et d’autoroutes, développement urbain gigantesque et chaotique (en 2022, 2,3 milliards de personnes vivent dans 990 grandes agglomérations seulement).

À tel point que, selon de nombreux chercheurs, l’action de l’homme sur la vie terrestre au cours des 70 dernières années nous a fait entrer dans une phase connue sous le nom d’Anthropocène. Dans cette phase, les changements qui ont eu lieu et qui ont lieu sur la vie de la planète sont principalement dus à l’action humaine et de moins en moins à la nature elle-même. C’est pourquoi on parle de plus en plus de développement durable, de re-naturalisation de la nature, de restauration de la Terre, de reconversion écologique. Bien sûr, il aurait été préférable d’en parler avec des couleurs et des tonalités plus belles et plus joyeuses….. Il n’en reste pas moins que la relation entre l’homme et la nature a été altérée dans le sens d’une réduction de la dépendance de l’homme à l’égard du milieu naturel accompagnée d’une domination inappropriée et prédatrice de l’homme sur la nature. Une “libération” qui a déplacé la dépendance de l’homme vers un autre versant, celui de la technologie et de la finance.

Aujourd’hui, la place de la vie est de plus en plus délimitée et définie par la technologisation, et l’artificialisation correspondante, de la vie selon des critères d’efficacité et de rentabilité financière. Plus les machines deviennent puissantes en termes de traitement des données et de leur gestion “économique”, plus la pression de la rentabilité financière s’est imposée dans les allées du pouvoir. Le patron de Black Rock, le fonds d’investissement privé le plus puissant du monde, a un pouvoir de contrôle sur plus de 19 000 entreprises et compte bien plus – du moins nos gouvernants le font-ils compter – que des dizaines de milliers de communes/autorités locales dans le monde. Ainsi, progressivement, la nature est devenue un objet, un ensemble de ressources productives à exploiter et, au cours des 50 dernières années, elle a été marchandisée, monétisée, privatisée, réduite à un ensemble de biens de consommation (ou de services). Au cours de la dernière décennie, elle a même été transformée en “actifs financiers”, en une catégorie spécifique du système capitaliste, à savoir un capital naturel, un actif financier. Ces processus ont été rendus possibles à l’échelle mondiale grâce à des systèmes de machines capables de traiter d’immenses montagnes de données et de transactions financières et de faire des choix (penser) au millionième de seconde !

La financiarisation de la nature, consacrée en décembre 2022 lors de la COP15-Biodiversité à Montréal, ne semble pas avoir soulevé de débat majeur à l’échelle mondiale. La financiarisation de la nature semble être acceptée comme un fait naturel sous l’exploit technologique de la smart finance, un objet d’admiration. Il en va de même pour la logistique, qui permet la révolution des containers, après celle de l’informatique, transportés par des navires pouvant contenir 3000 containers embarqués et débarqués dans des ports sans fin, par exemple Rotterdam, par des infrastructures gigantesques, en très peu de jours, et qui permet de réduire le coût unitaire des produits transférés d’un continent à l’autre à des niveaux très bas.

Nous touchons ainsi au deuxième aspect majeur de la mutation de l’espace de vie. Celui-ci n’est plus à dominante “locale” (la “polis”) ni “nationale” (l’État) mais “mondiale”. C’est-à-dire que le marché, considéré par la pensée politico-économique dominante comme la forme et l’organisation symbolique et “naturelle” du lieu de vie, n’est plus seulement ou principalement local, régional, national, mais est “global”.

La mondialisation de l’économie a été et reste, certes, la mondialisation des “marchés” (des produits, des services, de la finance, et en particulier des “processus” technologisés) et des “pouvoirs” liés aux marchés. Mais elle est aussi devenue une mondialisation des stratégies et des choix, c’est-à-dire de la réflexion sur les valeurs de l’économie et de la politique.

La mondialisation ne signifie pas la dé-territorialisation et la délocalisation des lieux de vie, mais c’est une reconfiguration profonde de l’oikos du fait de la globalisation de l’intelligence des systèmes technologiques qui permettent aux groupes dominants de mettre en œuvre des stratégies et des choix à l’échelle mondiale, au plus près de leurs intérêts.

Au final, le lieu de vie est devenu l’ensemble des réseaux de systèmes de big data sur la vie qui sous-tendent les nouveaux processus de transformation de l’existant en biens (et services) agricoles, industriels, tertiaires et financiers « faits par et dans le monde » à tous les niveaux du marché, selon les objectifs et priorités des groupes sociaux les plus puissants de la finance et de la technologie. Il existe donc des entreprises « mondiales » telles qu’Amazon, Veolia-Suez, Toyota Google, Crédit Suisse, Black Rock, Bayer-Monsanto…. qui, avec les autres entreprises mondiales, se sont arrogées la tâche d’assurer la « gouvernance économique mondiale », mais il n’y a pas de pouvoirs publics mondiaux de « gouvernement mondial ». Le pouvoir politique mondial de l’ONU reste très limité et soumis à la volonté des États, en particulier des plus puissants d’entre eux. Dans l’état actuel des choses, au lieu d’éco-nomie, on devrait parler de data-nomie ou de net-nomie.

Question 1 . Rien n’indique, dans l’état actuel des choses, que les processus décrits tendent à s’atténuer ou à prendre d’autres voies. . Quelle position adopter ? Par rapport à quoi et à qui ?

2. Les habitants

Les habitants de la Terre ont également changé. Les questions, les défis et les enjeux sont nombreux et complexes. Ne pouvant les aborder tous, je me limiterai aux plu saillants.

Le premier concerne l’explosion, depuis les années 1980, des inégalités entre les êtres humains, les groupes sociaux, les communautés humaines et les peuples. Loin de diminuer, la paupérisation s’est accrue et aggravée socialement et humainement. Inutile de rappeler l’avalanche de données sur le sujet. Ce phénomène est étroitement lié à la logique de conception, de production, d’utilisation, de distribution et d’épargne de la richesse inhérente à un système économique injuste aujourd’hui dominant, le système capitaliste de marché. Dans le système mondial actuel, la richesse est conçue et produite dans le but de la faire fructifier selon les objectifs et les valeurs des groupes dominants, qui sont notamment d’augmenter le ROI (Return On Investment) et le RONA (Return On Net Asset),

Aujourd’hui, les détenteurs de la propriété et du contrôle des ressources productives, en particulier des “machines” de plus en plus puissantes et intelligentes auxquelles on attribue la plus grande contribution à l’augmentation de la productivité totale, s’arrogent le droit de s’emparer de la plus grande part de la richesse produite. Il en va de même pour les principes régissant les choix d’épargne et d’investissement. Certes, la diffusion de l’IA a joué le rôle de l’huile jetée sur le feu. Elle a intensifié et accéléré les processus de paupérisation.

Beaucoup sont amenés à proposer l’équation suivante : dans la situation actuelle, ceteris paribus, plus d’IA = plus d’inégalités = plus d’appauvrissement/exclusion pour la majorité de la population mondiale. L’inégalité face au droit à la vie et à une existence digne pour tous (aujourd’hui encore, selon l’OMS, près de 4 milliards de personnes n’ont accès à aucune couverture sanitaire et risquent de devenir 5 milliards dans les 20 prochaines années) constitue le problème mondial fondamental le plus dramatique, avec la prédominance persistante de la guerre sur la paix.

Question 2. Au-delà des distinctions et des nuances, l’équation ci-dessus est-elle pertinente, correcte ?

Le deuxième enjeu saillant concerne le travail humain et sa relation avec la technologie. On se souvient des débats qui ont éclaté il y a un siècle à propos des chaînes de montage et qui ont repris dans les années 1960 avec le développement massif de l’automatisation industrielle et au milieu des années 1970 avec la robotisation. Par rapport au passé, les débats d’aujourd’hui semblent beaucoup moins denses, moins participatifs et moins dramatiques. C’est comme si les gens, en particulier ceux des pays technologiquement “riches” et “développés”, avaient métabolisé la réduction massive du travail humain organisé et l’atomisation de la question au niveau d’un problème individuel et “local” comme inévitable. L’évaluation du calcul des gains et des pertes résultant des transformations du rôle et de la nature du travail humain en relation avec les développements technologiques, en particulier chez les jeunes générations, semble être déléguée aux individus et aux groupes sociaux impliqués dans la production de richesses et non plus aux autorités publiques et à la communauté dans son ensemble. Les machines intelligentes sont vigoureusement promues par les groupes dominants et acceptées, plus ou moins, par les travailleurs dont la résistance, à l’exception de quelques victoires “locales” importantes, ne semble pas posséder la force atteinte dans le passé.

Et pourtant, l’une des fonctions principales de l’IA est d’accélérer et d’intensifier les processus de substitution du travail en vue de son remplacement total par des machines dans toutes les fonctions qui peuvent être assurées, parce qu’elles peuvent être formalisées, par des machines pensantes plus efficaces dans l’intérêt du capital investi et des parties prenantes. Bien sûr, il n’y a pas de complot, pas d’agenda caché. Tout se fait au grand jour et avec des objectifs clairs à court et à long terme. La distinction proposée par les promoteurs de l’AI entre la perte quantitative d’emplois aujourd’hui mais l’amélioration qualitative des emplois qui subsistent, à tous les niveaux, et l’émergence à moyen et long terme de nouveaux emplois quantitativement significatifs ne semble pas avoir été validée au cours des vingt dernières années.

Au contraire, la plausibilité de l’hypothèse selon laquelle la diffusion de l’IA accentuera le fossé entre les “ressources” humaines (sic !) dotées de qualifications et de compétences en matière d’IA et celles, de plus en plus nombreuses, qui ne sont pas adaptées aux besoins des nouveaux systèmes économiques “basés sur l’IA” a été largement confirmée… A moins que….. les pouvoirs publics des pays les plus avancés dans le développement et l’application de l’IA ne décident, en coopération

a) de redéfinir les objectifs du développement de l’IA, et

b) d’orienter le rythme et la densité du déploiement de l’IA dans tous les domaines en fonction du calendrier et de l’ampleur des programmes de formation et d’éducation de dizaines de millions de personnes dans le monde, afin de leur permettre de participer activement au développement de la net-nomie.

Ce qui, en soi, semble peu probable, alors que, comme on l’a dit, la question du travail humain, étroitement liée à l’inégalité et au droit à la vie, est la question fondamentale à résoudre.

Question 3 : Est-il possible d’imaginer l’élaboration par les pouvoirs publics (par exemple au sein de l’UN/IT, mais avec des compétences et des ressources adéquates) de plans “nationaux” et “internationaux” pour régir les processus de formation et d’éducation destinés à la population en âge de travailler afin d’éviter de rester des “ressources humaines” sous le joug de l’économie intelligente, mais de devenir des sujets actifs de nouvelles formes d’économie ? Est-il possible d’éviter la prédominance des stratégies d’adaptation et d’acceptation ?

Une dernière dimension à prendre en compte concerne le vieillissement de la population, notamment dans les pays développés comme le Japon, l’Italie, la Corée du Sud, la Belgique…. Dans ces pays, on s’attend déjà à une pénurie croissante de “ressources humaines” (le nombre de personnes âgées dépasse celui des jeunes). “L’importation d’immigrants n’est pas une solution souhaitée dans de nombreux pays. Leurs dirigeants, au lieu d’ouvrir de nouvelles portes, construisent de plus en plus de murs. Les États-Unis, pays à l’avant-garde de la société ouverte et de l’intelligence artificielle, ont presque terminé la construction du mur le plus long et le plus haut du monde, d’une longueur de 3 340 km (d’un océan à l’autre), contre l'”invasion” des Latino-Américains. Un scandale dont on parle peu, et pour cause !

D’où l’expansion rapide des robots et autres machines intelligentes, notamment dans le domaine de la santé et des services aux personnes âgées, malades, en situation de pauvreté, laissées pour compte. Cette solution semble de plus en plus hypothétisée et adoptée avec l’assentiment quasi général des populations des pays cités. Les doutes quant à la pertinence de sa généralisation sont pourtant importants, notamment en raison de la déshumanisation croissante des relations entre les personnes dans des domaines où, justement, ce qui compte le plus, ce sont les relations humaines et sociales, le sens de l’humanité, la dignité des personnes. Est-il possible que nos sociétés soient redevenues incapables de surmonter les temps de l’esclavage sans tomber dans les temps de l’inhumain, croyant qu’elles ne peuvent résoudre les problèmes humains et sociaux qu’avec des moyens technologiques (et de l’argent) ?

Question 4.: D’après ce qui ressort des pages précédentes, la question est de savoir si le développement actuel de l’IA est le début d’une longue transformation consciente des groupes sociaux dominants, technologiquement et financièrement plus fortunés, vers des formes moins humaines qui seraient post-humaines. La question est posée depuis des décennies. Le phénomène commence à prendre des connotations concrètes assez robustes dans ce sens. Ce qui importe, c’est que les mutations perturbent la vie de la nature et la vie des communautés humaines. Pour s’en préoccuper, il n’est pas nécessaire d’attendre la société post-humaine, en se consacrant entre-temps à l’élaboration de scénarios. Il suffit de regarder de près le présent. Il suffit de comprendre.

3. Les ressources et les biens communs indispensables à la vie. La question des droits universels à la vie. Le rôle de la connaissance

Examinons maintenant un autre aspect fondamental : le statut et la fonction des biens communs publics mondiaux essentiels à la vie dans le contexte de sociétés hautement technologisées et artificialisées. Et ce, en relation avec la concrétisation des droits universels à la vie.

Jusqu’au début des années 1970, il était presque universellement admis que certains biens naturels et artificiels, matériels et immatériels, parce qu’ils étaient essentiels à la vie, étaient considérés comme des biens communs, appartenant à tous, à la communauté humaine, le “patrimoine” de la vie, de l’humanité, et dont l’intégrité, la préservation, la défense et l’entretien incombaient collectivement à tous, dans la solidarité (du concept juridique latin “in solido”, dans la totalité, l’intégralité). Ils étaient donc considérés comme des biens communs publics, partie intégrante de la res publica, en dehors de la sphère des relations privées. Soumis à la “propriété publique collective”, leur gouvernance (protection, finalité, usage, valorisation, contrôle, sanctions…) relevait directement des institutions politiques publiques via les représentants élus des citoyens. Les coûts élevés du système étaient couverts par les finances publiques, par le budget de l’État, par une fiscalité progressive et redistributive. Il s’agissait de biens publics, expression d’une recherche de justice sociale effective fondée sur la gratuité des droits à la vie (c’est-à-dire non pas l’absence de coûts, mais la prise en charge des coûts par la collectivité). Grâce à la gratuité des droits, le revenu réel des personnes était composé du revenu monétaire (salaire) + le revenu social (la valeur de la disponibilité des biens communs publics).

Enfin, il s’agissait de biens communs mondiaux pour tous, même si la pratique la plus courante consistait à les considérer comme des biens communautaires locaux, en particulier des biens “nationaux”, de la nation, du peuple. Leur “mondialité” était abstraite, purement rhétorique.

Tout a été bouleversé très vite : l’eau, les semences et les aliments, l’air, l’énergie solaire, les forêts, l’espace urbain, la santé, l’éducation, les transports collectifs, les connaissances… tout a été marchandisé, monétisé, privatisé. réduit à des produits industriels et commerciaux. Leurs “marchés”, du national au mondial, ont été libéralisés et dérégulés. Tout s’est retrouvé en Bourse, à la merci des mécanismes turbulents des marchés spéculatifs mondiaux.

L’un des principaux arguments (mystificateurs) utilisés par les promoteurs de ces processus a été le suivant : les nouvelles technologies changent la nature et le rôle des biens communs de plus en plus produits par la science et la technologie par de grandes sociétés multinationales privées pour les marchés mondiaux et la consommation de masse. Les acteurs privés sont les principaux créateurs d’une nouvelle économie en constante évolution, animée par l’esprit de compétitivité et la lutte pour la conquête des marchés. Dans ce contexte, le rôle direct de l’État, des pouvoirs publics, est de moins en moins nécessaire, voire un obstacle à l’innovation. L’entreprise, la finance, le marché doivent être de plus en plus libres, autorégulés, librement responsables.

Plus les machines intelligentes peuplent le monde, plus les processus de marchandisation, de monétisation et de privatisation s’installent et plus les fondements des droits universels à la vie s’effritent. Les groupes sociaux dominants ont réussi à faire admettre à la majorité de la population que tout droit avait un coût et que l’État n’était plus en mesure de l’assumer. Pourquoi ? Parce qu’il ne le pouvait pas ? Selon les groupes dominants, il ne le pouvait pas parce que la prise en charge par l’Etat impliquait le maintien d’une fiscalité publique progressive et redistributive, inacceptable pour les classes aisées et les entreprises car considérée comme prédatrice de leur richesse et destructrice de profit. Et ils ont si bien réussi à convaincre les populations d’accepter que si elles veulent avoir accès à l’eau potable, à la santé, aux transports publics, à la collecte des déchets et à leur traitement écologique, aux télécommunications, au savoir et à l’éducation, au logement…… elles doivent payer un prix “abordable” qui permette un profit raisonnable pour que des entreprises privées puissent être intéressées à investir dans ces secteurs. Pas d’hôpitaux sans profit, pas de robinets sans profit, pas de trains sans profit, pas de maisons ni d’universités sans profit !

Le coup de grâce a été donné par la financiarisation des biens publics communs indispensables à la vie. Leur financiarisation accentue les processus d’abandon des pouvoirs de régulation par les autorités publiques et la définition de leur valeur uniquement en termes économico-financiers, c’est-à-dire leur prix. La valeur de la vie n’est plus définie par le marché mais principalement par le prix fixé par les marchés boursiers, ce qui, s’agissant de biens et services essentiels à la vie, n’a pas de sens.

Le concept même de “bien commun” est utilisé dans le sens de biens dont la propriété peut être confisquée, même à des fins lucratives, par des sujets collectifs ayant des intérêts particuliers qui excluent ceux qui n’appartiennent pas à leur groupe (coopératives de pêcheurs, consortiums d’agriculteurs, fondations, groupes économiques de citoyens, entreprises privées de délégation publique de services….). Récemment, il y a eu une tendance à interpréter un “bien commun” (ou service) comme étant “en commun” (fours communaux, jardins urbains…), mais toujours détenu par des entités privées particulières.

Le principal effet dévastateur sur les relations humaines et sociales est sous nos yeux : l’abandon du principe des droits universels à et de la vie. Progressivement, la construction sociale sur laquelle reposait l’architecture de la société/état de droit a été démolie, démantelée jusqu’à la décomposition.

Les biens communs essentiels et les droits universels à la vie formaient un couple inséparable, un lien d’une valeur fondamentale pour le vivre ensemble à tous les niveaux. Au fur et à mesure que les différents biens communs disparaissaient, les droits universels pour tous subissaient le même sort. Les biens sont restés indispensables à la vie mais n’appartiennent plus au monde des droits et de la justice, de la res publlca, des citoyens. Ils appartiennent au monde des utilités à conquérir et à dominer pour l’enrichissement et le pouvoir, ou à acquérir pour sa propre survie et ses besoins individuels dans la rivalité et la compétition/guerre avec d’autres candidats acheteurs. Or, comme on peut s’y attendre, à une époque comme la nôtre de raréfaction économique et technologique des biens essentiels, c’est celui qui a le plus grand pouvoir d’achat qui l’emporte. Aujourd’hui, ce n’est pas tant le fait d’avoir des droits que d’avoir un pouvoir d’achat élevé qui compte.

La communauté internationale a inscrit la fin du droit universel à la vie et l’imposition de l’accès marchand dans l’Agenda de l’ONU – Objectifs de développement durable 2015-2030. L’Agenda ne parle plus de droit à l’eau pour tous mais d’accès à l’eau sur une base équitable et abordable. Il en va de même pour le droit à la santé, au transport collectif, au logement, à l’éducation et à la connaissance. La connaissance est le cas le plus emblématique même s’il n’a pas la richesse émotionnelle immédiate ni le caractère concret du cas de l’eau, source fondamentale de la vie, et de la vie elle-même.

Question 5. Comment interpréter le démantèlement de la combinaison des biens communs publics mondiaux et des droits universels à la vie à l’ère d’une société qui se veut une ” société de la connaissance ” ? Qu’est-ce que cela signifie dans ce contexte ? Un trésor de big data pour mieux enrichir et dominer ? Que signifie la “société de la connaissance” pour une humanité de 8 milliards d’individus ? Est-il possible de vivre ensemble sans elle ?

Deuxième partie. Le sens et le pouvoir de l’IA.

4. Les valeurs

Pour entrer immédiatement dans le vif du sujet, prenons l’exemple de la connaissance, l’un des biens communs mondiaux les plus marquants de l’histoire de l’humanité. Comprendre la fonction accordée au savoir par les groupes dominants, c’est comprendre les valeurs qui inspirent leurs visions et conceptions de la vie, du monde.

C’est dans le contexte décrit jusqu’ici que nos sociétés ont accompli l’un des actes de rupture des valeurs éthiques, humaines et sociales les plus délétères de l’histoire récente : la marchandisation et la privatisation du savoir, un acte jusqu’alors considéré comme inadmissible à tous points de vue.

Même la connaissance a été considérée pendant des siècles comme un bien commun, voire le bien commun par excellence parce qu’elle est l’expression existentielle de la vie, de Dieu, de l’humanité. Se connaître soi-même, (re)connaître l’autre, c’est le point de départ de la vie sociale, de l’intelligence collective.

Or, en 1990, à la suite d’une décision de la Cour suprême des États-Unis, tout cela a été balayé : l’instance américaine a décidé unilatéralement d’autoriser le brevetage du vivant, étendu dans les années suivantes au monde de l’intelligence artificielle, introduisant de nouvelles dimensions au concept de propriété intellectuelle privée. Il ne s’agit pas ici d’examiner si la Cour Suprême a pris une décision fondée et juste ou non. Le fait est que, à l’image des groupes de pouvoir dominants dans une société qui idolâtrait et continue d’idolâtrer la liberté d’agir, la liberté de l’entrepreneur considéré comme le sujet le plus actif de la création de richesse, la Cour s’est sentie obligée de renforcer, de récompenser et de protéger cette liberté en accordant le droit à la propriété intellectuelle, à des fins lucratives. Elle l’a fait pour plusieurs raisons : premièrement, en assimilant l’innovation scientifique et technologique à la créativité de l’inventeur et de l’artiste (écrivain, musicien, peintre, cinéaste…) protégée par le droit d’auteur. Ensuite, étant donné que les connaissances scientifiques et les technologies les plus avancées sont de plus en plus à la base du développement et de la puissance économique, politique et militaire, et que les États-Unis sont la première puissance mondiale, la Cour a estimé qu’il convenait, dans l’intérêt de son propre pays, de protéger les positions conquises par les scientifiques et les entrepreneurs américains en donnant toute sa légitimité aux droits privés de propriété intellectuelle.

Je me souviens qu’au début des années 90 (à l’époque, je dirigeais le programme FAST-Forecasting and Assessment in Science and Technology à la Commission européenne), la Commission a demandé aux principales académies des sciences de l’Union de préparer un rapport d’évaluation en vue d’une directive-cadre européenne sur la brevetabilité du vivant. Ensemble, les académies ont présenté un rapport dans lequel elles déclarent que la brevetabilité du vivant soulève de nombreuses questions controversées et qu’en principe, il n’est pas bon de légaliser les brevets mais que, compte tenu de la décision prise par les États-Unis, il convient que l’Union légalise également la propriété intellectuelle privée sur le vivant, faute de quoi une agriculture, une industrie chimique et une industrie pharmaceutique autonomes et indépendantes disparaîtraient en quelques années. La souveraineté économique de l’Europe est en jeu. Les pays européens deviennent des colonies américaines !

La directive européenne, approuvée en 1998, légalise le brevetage du vivant à des fins lucratives, pour des raisons dictées essentiellement par des “impératifs” économiques, industriels et commerciaux, au nom de la compétitivité mondiale. Il s’agit là d’un aspect essentiel, souvent oublié et sous-estimé.

La décision de la Cour américaine n’a pas suscité beaucoup de résistance de la part des groupes sociaux dominants dans les autres pays “développés” de l’Occident. Selon toute vraisemblance, compte tenu des fortes interdépendances entre leurs économies et leurs rapports de force, ils n’avaient pas d’autre choix. Ailleurs, dans des pays comme la Chine, l’Inde, la Russie et le monde arabe, les groupes dirigeants se sont adaptés en renforçant la défense de leurs “actifs” et en investissant de plus en plus dans le contrôle de marchés stratégiquement importants (en particulier sur le marché des matières premières dites “rares”). D’où un nouvel élan en faveur de la compétitivité et des stratégies de guerre économique et technologique.

On l’a vu une fois de plus dans le cas de la “lutte” contre la pandémie de Covid-19. Le rôle des États a été partout subordonné au service de leurs multinationales. Ils ont peu coopéré entre eux. Aucune multinationale n’a répondu à l’invitation du DG de l’OMS de mettre en commun des informations de recherche. Les citoyens ont été réduits à de simples consommateurs de vaccins et autres moyens thérapeutiques. La production et la distribution des vaccins ont été largement financées par les Etats et sources de profit pour les firmes avant même leur “mise en vente”. En tant que détenteurs de brevets, dans un contexte de discrédit public total des brevets d’autres pays (Chine, Russie, Cuba…), les multinationales pharmaceutiques, notamment américaines, ont accumulé des milliards de profits. Et, contrairement à ce que les Etats et les entreprises ont claironné (« Personne ne sera laissé de côté » ), des centaines et des centaines de millions d’êtres humains ont été laissés pour compte. Les universités sont encore plus soumises aux intérêts des entreprises. La recherche “publique” a été réduite à un outil précieux pour les entreprises.

Question 6. Le brevetage des êtres vivants et de l’intelligence artificielle a poussé le monde encore plus loin sur la voie de la rivalité, du conflit et de l’affaiblissement des institutions politiques mondiales multilatérales. Les raisons humaines, sociales, environnementales pèsent de moins en moins sur les décisions des groupes sociaux dominants au niveau “national” et international. Le gouvernement de la vie est de plus en plus entre les mains des détenteurs de brevets Jamais auparavant une décision telle que le brevetage des espèces vivantes et de l’intelligence artificielle n’avait eu un effet aussi dévastateur sur le “gouvernement de la vie” qu’aujourd’hui, coïncidant également avec la manipulation irrationnelle de la vie par la finance prédatrice. Comment se fait-il que le monde universitaire, la recherche académique, ne semble plus s’interroger sur la brevetabilité du vivant et de l’IA ? Peut-on considérer que la question des brevets est close à jamais ?

Il existe aujourd’hui plus de 120 000 brevets délivrés, répartis dans deux grands domaines : le vivant et l’intelligence artificielle. Selon l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, une agence de l’ONU), les Etats-Unis sont en tête des brevets obtenus, suivis par le Japon, la Corée du Sud et la Chine, notamment dans le domaine de l’IA. Ces dernières années, le nombre de brevets accordés sur l’IA a augmenté rapidement, en particulier dans le domaine de la robotique (terme général) pour des applications à des fins militaires et, accessoirement, à des fins industrielles/services (produits pharmaceutiques et services de santé, distribution, transport, finance). Dans le domaine de la robotique à des fins militaires, les brevets sur la vision robotique prévalent (les robots soldats doivent bien voir pour tuer l’ennemi !) et l’autonomisation des machines (atteindrons-nous le stade où les robots soldats seront capables de choisir qui, où et quand tuer, détruire ?) Même si les machines seront de plus en plus au autonomes par rapport aux constructeurs (les humains), la culture ( les valeurs), inculquée aux machines sera, en l’état actuel des choses, une culture économico-utilitaire combinée à une culture de lutte pour le pouvoir et la suprématie. La finance et la guerre se réclament toutes deux de la connaissance et de la propriété intellectuelle privée…. !

Les grands leaders des nouvelles technologies de l’information et de l’IA, considérés comme des figures mythiques (aussi parce qu’ils sont systématiquement parmi les plus riches du monde), Bill Gates, Steve Jobs, Jo Bezos, Henry Schmidt, Elon Musk et, récemment, Sam Altam, père d’OpenAI et de ChatGPT, ont déclaré sans équivoque qu’ils sont capitalistes, fiers de l’être, et convaincus que le capitalisme est le meilleur système pour tirer le meilleur parti des ressources de la planète et de la créativité humaine. Une déclaration tout à fait libre et “légitime”, mais qui a pesé structurellement, au niveau des valeurs, sur le développement de la nouvelle “économie de la connaissance”. Sam Altam a même soutenu que l’IA fera naître un nouveau capitalisme. C’est dire que, à l’heure actuelle, la société IA pourrait être vraisemblablement post-humaine, certainement elle ne sera pas post-capitaliste.

C’est pourquoi le problème clé à résoudre, contrairement à une opinion largement répandue, n’est pas essentiellement celui de l’utilisation des technologies de l’IA et du passage d’usages indésirables, inacceptables et injustes à des usages souhaitables, acceptables et bons, mais celui de la conception et des finalités de l’IA.

La « régulation » publique doit intervenir sur les principes sous-jacents et aux racines plutôt que sur les applications et les résultats. Il s’agit, pour donner un exemple, d’abolir les brevets et la notion de droit privé de propriété intellectuelle, de définir et de réglementer la nature re de « la création » liée à l’IA, par qui, pour qui, et comment..au service de la société, de la communauté de vie de la planète, des générations futures ?

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Question 7. Pourquoi nos sociétés acceptent-elles d’autoriser des brevets destinés ou susceptibles d’être utilisés pour améliorer la vision robotique des robots-soldats ? Il en va de même pour la finance au millionième de seconde, c’est-à-dire en dehors des temps humains et sociaux. Pourquoi avons-nous accepté le refus américain de fixer une durée minimale de la propriété des actifs financiers ? Et pourquoi ne pas établir des règles financières et développer des systèmes d’IA qui permettent à la société de démanteler tous les systèmes d’évasion fiscale dans les paradis fiscaux ?

5. Les règles, les régulateurs

Après ce qui précède, il est plus facile d’établir une courte “liste” des règles qui régissent actuellement la conception et le développement de l’IA.

1. Prédominance d’une vision techno-scientifique déterministe de la vie et du “développement” des sociétés humaines selon laquelle les changements significatifs commencent avec les découvertes scientifiques et la production de nouvelles connaissances. Dans le cadre de cette vision, la connaissance est assimilée à la science, ce qui est mystificateur et réducteur.

2. De la science, on passe à l’innovation technologique. Celle-ci est considérée comme la mère du progrès et du développement économique. L’innovation génère de nouveaux processus de production, de nouveaux produits, de nouveaux services, et donc de nouvelles opportunités de richesse.

3. L’innovation, en particulier l’IA, est source de liberté car elle augmente la richesse. Par conséquent, plus il y a de développement économique, dit-on, plus il y a de possibilités de développement social, et donc, dit-on, de développement humain.

4. D’où l’impératif technologique : tout ce qui est techniquement possible doit être fait. Il n’y a pas d’innovation sans risque, il n’y a pas de progrès économique et social sans conflit, sans perdant.

5. Les innovateurs sont principalement des entreprises privées. Aujourd’hui, les nouveaux « créateurs » sont les entreprises qui possèdent la science et la technologie. Leurs dirigeants/fondateurs, parce qu’ils ont su créer de nouveaux produits et services “révolutionnaires”, sont les nouveaux leaders mondiaux. Le leadership sur la vie et sur les autres découle d’un leadership technologique capable d’attirer la grande finance mondiale. La richesse résulte du mariage de la technologie et de la finance.

6. il n’est pas surprenant que les porteurs de la technologie et de la finances affirment que l’économie capitaliste est la forme d’organisation la plus efficace et la plus cohérente de la société. Les déclarations personnelles ci-dessus mentionnées sur le capitalisme et le capitaliste sont dramatiquement éloquentes. La culture, l’idéologie sous-jacente qui inspire la conception et la production de systèmes intelligents est aujourd’hui le système de pensée (de valeurs) capitaliste. Un petit exemple personnel. Lorsque Deepl, le système de traduction automatique le plus performant à ce jour, traduit un texte dans lequel je parle de “gouvernement », il traduit le plus souvent par “gouvernance”. Il s’agit d’une notion reprise et forgée par le milieu financier dès les années ’70, et que la classe politique semble avoir accepté d’utiliser à la place de « gouvernement ».

7. La force et la spécificité de l’économie capitaliste résident dans sa capacité à réagir et à s’adapter grâce à la triple flexibilité du marché, de la technologie et de la finance. Le marché et la finance, en particulier, sont les mécanismes qui permettent à l’économie capitaliste d’exploiter les ressources disponibles dans l’intérêt du capital tout en créant de nouvelles ressources de plus en plus immatérielles, artificielles, puissantes et à haute valeur ajoutée (financière).

8. Le droit à la liberté d’entreprise et le droit à la propriété privée sont les pierres angulaires de la société capitaliste. Ils sous-tendent la responsabilité mondiale, sociale et environnementale des entreprises capitalistes.

9. La compétitivité est la clé du salut, de la survie et de la puissance. Seuls les plus forts survivront”. Être compétitif dans le domaine de l’IA est une condition nécessaire et indispensable pour l’avenir et la suprématie. C’est pourquoi les États-Unis ont lancé en octobre dernier une véritable guerre technologique contre la Chine, qu’ils considèrent comme la menace la plus sérieuse pour leur suprématie mondiale.

10. Les brevets – la propriété intellectuelle privée de la connaissance – sont un outil puissant pour préserver et étendre les positions sur les marchés et dans la finance.

11. Le rôle de l’État est de créer l’environnement politique le plus favorable à l’initiative privée et de favoriser une coopération efficace entre le public et le privé, c’est-à-dire de mettre le public au service du privé.

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12. La gouvernance économique est le système qui permet le mieux à toutes les parties prenantes, du niveau local au niveau mondial, de participer à la “gestion” des ressources de la planète.

13. Les inégalités sont inévitables car elles reflètent les différences de capacité d’initiative et d’adaptation des personnes, des groupes sociaux et des peuples. Si elles augmentent et s’aggravent, ce n’est pas la faute du système mais celle de la réticence au changement, de la lourdeur des règles, de la mauvaise gestion des opportunités existantes. La technologie et l’IA n’ont rien à voir avec cela ; au contraire, elles sont la solution.

Et, last but not least

14. Le marché est le lieu naturel où se définit la valeur de toute forme de vie, le prix.

La meilleure régulation de la finance et de la technologie est celle de la responsabilité des entreprises. L’analyse de l’impact environnemental, économique et social des nouvelles technologies, en particulier de l’IA, doit faire l’objet d’une étroite coopération public-privé.

Conclusion

Je n’ai aucune difficulté à dire que je partage peu, voire pas du tout, les valeurs et les règles énoncées ci-dessus. Il s’agit d’un système de valeurs et de règles qui est structurellement prédateur de la vie et des droits à la vie. Un système incapable de prononcer les mots égalité, fraternité, paix, sobriété, sagesse, amour.

A mon avis, au vu de l’état actuel des choses, seul un renversement du système peut libérer le monde de l’injustice, de la domination et de la guerre.

Un renversement qui doit venir du soulèvement des forces externes et internes au système. En ce qui concerne les forces internes, de même qu’à l’époque de la révolution industrielle, ce sont les travailleurs, au niveau de l’usine, qui ont dû se battre et ont réussi à obtenir des bouleversements majeurs et un certain renversement du système, de même aujourd’hui, à l’ère de la révolution de la science et de la technologie “intelligentes”, la révolte doit venir des scientifiques dans les universités, dans les usines de l’IA, dans les bureaux des conseils IA, dans les réseaux d’entreprises de haute technologie. L’émergence récente d’un mouvement “Scientists’ Rebellion” peut être l’un des foyers de résistance et d’action pour un véritable bouleversement. Il va de soi que la révolte mentionnée doit être accompagnée par un soutien fort des pointes avancées de la société civile engagée.

Question 8. De quoi parlons-nous, de demain ou d’aujourd’hui ? Je préfère aujourd’hui aussi parce que l’avenir existe dans nos têtes, y compris ce que nous mettons dans les têtes des machines intelligentes.

Fontaine de Vaucluse, 16 mars 2023.


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