Une guerre qui viole le droit international, une agression sanglante et absurde (si les troupes russes devaient conquérir l’ensemble du territoire, elles ne seraient jamais que des forces d’occupation honnies). Oui, même si l’Ukraine violait les accords de Minsk, qui garantissent notamment l’autonomie linguistique, et si les tirs de l’armée ukrainienne sur le Donbass s’étaient intensifiés pendant la semaine précédant le 24 février. Suite aux bombardements qui ciblent des objectifs civils autant que militaires, un quart de la population ukrainienne est déjà déplacée, dont plus de deux millions hors frontières (là ce sont des migrants reçus partout à bras ouverts : eux fuient les bombes russes, pas des combats provoqués par une intervention occidentale ou une famine qu’induisent nos traités de commerce). Résistance héroïque. Hommage au courage du président Zelenski ? Mais prenons garde à la pensée binaire que génère toute situation de guerre. Pour sauvegarder la possibilité d’un avenir de paix, prenons en compte les erreurs possibles du passé, comme nous y invitent Anne Morelli (investig’action) et Andreï Makine (Figaro), entre autres. L’invasion de l’Ukraine était annoncée, et évitable. Il aurait fallu, dès 1991, prendre la voie d’une Europe unie, ‘de l’Atlantique à l’Oural’, démanteler l’OTAN, alliance militaire qui n’avait plus de raison d’être, au lieu de la renforcer et de l’étendre à l’Est jusqu’aux frontières de la Russie. Ce n’est pas la seule explication, mais le sentiment d’insécurité est exploité dans la propagande russe, de même que le précédent de l’agression des pays de l’OTAN en Yougoslavie en 1991. Arrêter la guerre, oui, tout de suite, retirer les troupes russes, reconnaître l’indépendance des républiques de Donetsk et Lougansk, et négocier un accord de paix et de sécurité pour l’ensemble de l’Europe, y compris la Russie…
Il nous semble nécessaire de relire les Principes élémentaires de propagande de guerre d’Anne Morelli (2001). Elle y illustre chacun des dix principes : (1) ce n’est pas nous qui voulons la guerre ; (2) l’ennemi en est seul responsable ; (3) le chef du camp adverse est l’incarnation du diable (et sans doute fou de surcroît) ; (4) nous défendons une noble cause (la démocratie, la souveraineté territoriale, le droit des minorités…) ; (5) là où l’ennemi provoque sciemment des atrocités, nos bavures sont involontaires ; (6) l’ennemi utilise des armes non autorisées ; (7) nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes ;(8) les artistes et intellectuels soutiennent notre cause ; (9) notre cause a un caractère sacré (Gott mit uns) ; (10) quiconque émet des réserves est un traître.
Un point de vue russe sur la guerre en Ukraine et l’invasion de Poutine
Nous résumons ici un texte envoyé par un espérantiste russe habitant Rostov, près du Donbass. Sa perception de la guerre est très proche de la version officielle et n’est pas partagée par toute la population russe. Rappelons les milliers de manifestants, violemment réprimés, les universitaires qui s’expriment contre la guerre au risque de se retrouver en prison, les opposants qui finissent empoisonnés, emprisonnés ou les deux…
Nous publions ces lignes parce que la négociation d’une paix durable exige d’entendre les points de vue des deux parties.
I. Il ne s’agirait pas d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine, mais d’un réaménagement de l’ordre mondial. Les objectifs russes annoncés sont
• arrêter la guerre dans le Donbass, qui dure depuis 2014 et où les accords de Minsk 2 ne sont pas respectés ;
• arrêter la militarisation de l’Ukraine et empêcher sa collaboration militaire avec l’OTAN (objectif mentionné dans le préambule de la loi fondamentale) ;
• éradiquer le nationalisme et le nazisme ukrainien (plusieurs héros nationaux sont des bandits nazis ; des groupes néonazis sont incorporés dans l’armée officielle).
II. La première victime de la guerre est la vérité.
Aujourd’hui la plus grande partie des moyens de communication de masse est aux mains de l’Occident. Selon le représentant de la Russie à l’ONU, plus de 1,2 millions d’informations falsifiées ou frauduleuses contre la Russie ont été diffusées depuis le 24 février. Des médias prestigieux comme la BBC publient des témoignages peu fiables sous couvert d’« informations non vérifiées ». Les réseaux sociaux présentent tout de manière positive pour l’Ukraine et bloquent les infos de Russie. En Russie, nous avions accès aux infos en russe de Current time (USA), radio Svoboda, BBC, Deutsche Welle, Euronews,… Mais leurs rédactions se sont arrêtées suite à la promulgation de la loi contre les fausses informations.
III. Chronique des évènements 2013-2022
– 2013 : le président ukrainien Ianoukovitch hésite à signer un accord d’Association entre l’Ukraine et l’UE… Commencent alors les manifestations de masse sur la place Maïdan avec l’appui de la sous-secrétaire d’état aux affaires étrangères Victoria Nuland.
– Le 24 février 2014, Ianoukovitch signe un accord annonçant des élections, avalisé par la Pologne, la France et l’Allemagne. Le lendemain a lieu un coup d’Etat armé. Poutine appelle à une solution pacifique. Le président s’enfuit.
– Parmi les décisions prises par les gouvernements suivants, interdiction du recours à la langue russe comme langue régionale (dans l’enseignement, dans les médias, dans l’administration, même dans la vie quotidienne, sous peine de perdre ses droits), or la Crimée et le Donbass ont toujours été russophones et de culture russe.
Des référendums organisés en Crimée et dans les oblasts de Donetsk et Lougansk demandent leur autonomie et le rattachement à la Russie. Au lieu de dialoguer, depuis 2014, le gouvernement ukrainien a lancé une guerre civile qui a déjà fait 13 à 14 mille morts. Les occidentaux n’ont rien fait pour que l’Ukraine respecte les accords de Minsk.
Fin 2021, l’Ukraine a massé ses troupes sur la frontière du Donetsk et l’OTAN a envoyé des armes et des instructeurs.
En février 2022, Poutine, après 7 ans de dialogue infructueux, a annoncé qu’il envisageait une indépendance des républiques du Donetsk et de Lougansk et a dénoncé le génocide qui a lieu dans les deux républiques. Mais les attaques se sont multipliées et le 19 février, à la conférence internationale sur la sécurité collective, le président Zelenski s’est fait applaudir quand il a dénoncé les agressions russes et parlé de l’arme nucléaire.
IV. Histoire : comment s’est construite l’Ukraine actuelle ?
Dans le principal service de la sécurité ukrainien, tout un étage est occupé par la CIA ; les Ukrainiens n’ont pas le droit d’entrer sans permission spéciale. La présence de partis et mouvements d’extrême droite au parlement et même à des postes de décision explique la dérive nationaliste antirusse.
Multiculturalisme
Pour des raisons historiques, l’Ukraine est multiculturelle. A côté des russophones il y a des minorités hongroises, roumaines, bulgares. Dans ce pays, construire la paix n’est possible qu’en accordant une certaine autonomie (au minimum linguistique et culturelle, peut-être politique et économique). Mais le pays a décidé de construire un Etat uni-national et unilingue au lieu de réfléchir à différentes formes de fédéralisme dans la neutralité.