A propos de l’utilité sociale des experts- comptables et conseillers fiscaux : sortir des malentendus !
A l’occasion de son discours du 1er mai, Paul Magnette -président du PS- brocardait les experts–comptables et conseillers fiscaux qui demandent des honoraires plantureux pour des prestations qui contribuent à priver les caisses de l’État de recettes fiscales permettantd’organiser les services à la collectivité.
La réaction ne s’est pas fait attendre : quelle levée de boucliers ! Dans les jours qui ont suivi, différents représentants des experts–comptables et conseillers fiscaux publiaient des articles indiquant qu’il se trompait lourdement et qu’il était bien injuste face à des professionnels qui seraient les « gardiens de l’économie et de l’emploi » !
Comment s’y retrouver ? Tentative d’éclairage :
Mais que font au juste les experts comptables et conseillers fiscaux ? La plus grande majorité gère, en interne ou en externe, la comptabilité des indépendants ainsi que des PME et les conseillent. Une minorité joue dans une autre catégorie et, sous couvert de l’appartenance au même ordre professionnel (IEC : Institut des Experts-comptables et des conseils fiscaux) met ses « talents » au service de riches clients et de grosses entreprises pour échafauder des montages complexes qui ont pour unique but de leur éviter tout ou partie des impôts dont ils devraient s’acquitter.
Raison garder !
La réaction de quelques experts-comptables et conseillers fiscaux a consisté à se présenter comme des « gardiens de l’économie et de l’emploi » en illustrant ces propos de quelques chiffres destinés à apparaître comme imparables. Ainsi Emmanuel Degrève fait-il remarquer au président du PS que sa profession participe à « collecter chaque année (base 2018), 70 milliards en impôts sur les revenus, 31 milliards en TVA et 6 milliards en droits et taxes indirectes diverses. Le produit de notre assistance participe finalement donc bien au succès de vos politiques publiques, ou du moins de vos recettes publiques ». Utiliser de tels arguments revient à considérer que le monde économique n’est décidément que vertu et peuplé d’anges gardiens : les secrétariats sociaux qui calculent pour le compte des employeurs les cotisations sociales à payer à l’ONSS et le précompte professionnel salarié à payer à l’administration fiscale, les entreprises petites et moyennes qui prélèvent sur le salaire de leurs employés leur précompte professionnel pour le reverser à l’Etat et ne nous arrêtons pas là pendant que l’on y est : les multinationales qui elles aussi sont les agents de recouvrement de l’impôt de leurs salariés, alors qu’elles-mêmes ne paient pas l’impôt société qu’elles devraient payer (un comble tout de même, celui du braconnier qui se fait aussi garde-chasse).
Pour sortir de la confusion, faire le ménage en interne ! et sortir les fisco-trafiquants.
Combien de professionnels inscrits à l’Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux (IEC) ? 6.220 en tant que personnes physiques et 3.827 en tant que sociétés. Qu’y a-t-il de commun entre ceux qui traitent de la comptabilité des indépendants et des PME, l’immense majorité et les quelques-uns que l’on retrouve parmi les 3.827 sociétés inscrites à l’IEC ? Et parmi ces quelques-uns, quatre seulement quatre, les fameux « Big Four » (Deloitte, PwC, EY, KPMG) qui sont les plus grands organisateurs mondiaux de l’évasion fiscale, présents dans tous les paradis fiscaux de la planète et y entretenant des effectifs pléthoriques. Et combien facturent-ils ces « Big Four » à leurs clients pour ne pas connaître des taux d’imposition société que les indépendants et PME connaissent le plus souvent et qui pour eux sont inacceptables ? des tarifs horaires évoqués par Paul Magnette, voire dans certains cas beaucoup plus ! L’un des nombreux experts-comptables à avoir pris la plume pour s’indigner que l’on puisse évoquer de tels tarifs terminait ainsi son ouvrage : « La confusion que vous faites est la conséquence d’agissements de certains avec des titres de consultants non reconnus légalement ».
Mais ces « Big Four » vous côtoient au sein du même Institut (ils contribuent même à fortement concentrer votre profession), ont les mêmes titres « légaux » que vous, Monsieur l’Expert-comptable et s’engagent même, par votre appartenance commune à respecter votre déontologie « qui distingue l’expert-comptable et le conseil fiscal d’une autre entreprise qui ne serait pas soumise à nos réglementations professionnelles. La déontologie n’est pas prévue dans l’intérêt du client ou du professionnel mais dans celle de l’intérêt général ». L’intérêt général, dites-vous ? L’intérêt général, tous ces scandales dévoilés par les Offshoreleaks en 2013, Luxleaks en 2014, Swissleaks en 2015, Panama Papers en 2016, Paradise Papers en 2017, Dubaï Papers en 2018 ? Tout l’inverse : un pillage systématique des ressources collectives de la société. PwC en première ligne dans le scandale des Luxleaks est bien membre de votre Institut, n’est-ce pas ?
Bataille de chiffres : réponse du berger à la bergère !
Si deux chiffres seulement étaient à retenir, nous préférerions ceux-ci : 30 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles perdues par l’Etat Belge pour cause d’évasion fiscale et 172 milliards d’euros (plus de 36% du PIB belge 2019) de paiements effectués en 2018 déclarés en 2019 par 790 entreprises belges vers 30 paradis fiscaux. Et ces milliards, toutes chances que certains de vos membres (les « Big Four » notamment) aient eu à en connaître. On trouve chez ces derniers ceux qui ne sont pas chez vous : les avocats fiscalistes et les réviseurs d’entreprises qui avec certains de vos experts-comptables orchestrent l’évasion fiscale.
Se manifester puissamment contre un système qui ruine les États et la démocratie.
La pandémie du COVID-19, dit coronavirus, a tragiquement mis en lumière le coût humain du désinvestissement dans les systèmes de soins de santé. Celui-ci tient en dernière instance aux politiques d’austérité qui, depuis des décennies, mettent à mal nos services publics sous prétexte de raréfaction des richesses alors même que celles-ci n’ont jamais été aussi abondantes ! Cette pénurie de façade porte un nom : l’évasion fiscale. Elle est rendue possible par ceux qui contribuent à la mettre en œuvre : certains avocats fiscalistes, experts-comptables et réviseurs d’entreprises.
Sans eux, l’évasion fiscale est impossible. Frappée par la mise en évidence crue de leur rôle précis dans le scandale des DUBAÏ PAPERS révélé par un journaliste1, ATTAC2 a saisi les Ordres Professionnels de trois d’entre eux en portant plainte à leur encontre3. Des citoyens l’ont fait aussi. D’ores et déjà, l’Ordre des Avocats et des Experts-comptables ont jugé ces plaintes recevables et ouvert une enquête.
La société civile devrait saisir cette occasion unique de se manifester puissamment contre un système qui ruine les États et la démocratie. Car les scandales médiatiques d’évasion fiscale ont beau se multiplier depuis quelques années4, les mobilisations gouvernementales à ce sujet sont plus que timorées.
De l’illégitimité à l’illégalité : faire bouger les lignes !
A ce jour, une partie de l’évasion fiscale est « légale » au sens où elle utilise des mécanismes qui sont autorisés par la loi.
Mais il ne faut pas confondre légalité et légitimité comme le rappelait très bien Felipe Van Keirsbilck5 dans une conférence6 sur la question : le travail des enfants et le non-droit de vote des femmes ont été légaux, même s’ils étaient illégitimes. La frontière entre l’illégitimité et l’illégalité n’est pas statique, elle évolue au fil du temps et des sociétés. Et le but de cette action de plaintes déontologiques proposée par ATTAC est celui-là : faire réfléchir et réagir un maximum de citoyens et organisations pour qu’ensemble nous nous mettions en mouvement et déplacions les frontières entre l’illégitimité et l’illégalité : que dorénavant, l’évasion fiscale ne soit plus simplement illégitime mais qu’elle devienne illégale.
Et donc, Messieurs les représentants des experts–comptables, oui : il y a différentes sortes d’experts-comptables et de conseillers fiscaux. Si vous voulez ne pas être confondus avec les industriels de l’évasion fiscale et quelques artisans de luxe qui y participent également, démarquez-vous d’eux et ne cautionnez pas ce type d’agissement !
Christian Savestre et Fred Mawet, Citoyens, membres d’ATTAC.
1 Frédéric Loore – premières publications dans Paris Match le 16 octobre 2019
2 Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne
3 http://bxl2.attac.be/plaintes
4 En savoir plus ? lire https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_mars_2020_-_evasion_fiscale.pdf
5 Felipe Van Keirsbilck est Secrétaire général de la CNE