[Une analyse de Josiane MARQUET]

Créé en 2015 par ATTAC Charleroi, le « Groupe de résistance au TTIP » s’appelle désormais collectif « Libre&change » (https://www.facebook.com/Collectif-Libre-Change-1887377321564829/) afin d’ouvrir la réflexion à l’ensemble des traités de ce type et notamment en quoi ils bafouent les principes démocratiques. Mais qu’est-ce que la démocratie, notion éminemment relative et assez récente, même en Europe ?

Si nous pensons à la vie dans la cité, la démocratie, ce n’est pas seulement la possibilité de voter, ni la liberté, ce sont des droits à respecter et à faire respecter, c’est la transparence dans les décisions, de manière à permettre à chacun de comprendre et donc de participer, sans oublier la séparation des pouvoirs (exécutif, judiciaire et législatif) dans l’indépendance et le contrôle réciproque dont parle Montesquieu.

La démocratie est une notion mouvante suivant les époques et les lieux. Pour la plupart d’entre nous, elle se résume à organiser des élections ; cependant la méfiance envers le monde politique est largement répandue (et souvent, hélas, justifiée). Nos mandataires sont élus pour prendre des décisions dans l’intérêt général, pas seulement en fonction d’un programme électoral, et moins encore d’intérêts particuliers représentés par des groupes de pression.

Si personne ne se déclare ouvertement anti-démocratique, si plusieurs initiatives cherchent à en améliorer le modèle et si nombre de plaintes et scandales sont liés à l’exercice réussi de la démocratie, autant de signes de bonne santé, néanmoins, bien des problèmes viennent également l’affaiblir. Ainsi, en dépit de manifestations de protestation, les citoyens ne voient quand même imposer des mesures profondément antisociales. Notons aussi qu’imposer la démocratie, comme en Irak ou en Allemagne de l’Est peut avoir des conséquences désastreuses.
La démocratie libérale veut imposer la démocratie (à l’occidentale) dans tous les domaines sauf quand il s’agit d’économie ! Elle veut faire croire que le DROIT et la LOI n’y sont pas affaire de justice mais de rapports économiques. Et c’est ainsi que nous passons de la logique de gouvernement à la logique de GOUVERNANCE des experts et que la croyance en l’efficacité économique prime sur les autres notions et l’esprit critique.

Si nous en venons à analyser les traités internationaux à l’aune de la démocratie, il nous faut revisiter la priorité des principes : la démocratie devrait être en premier lieu transparente pour que tous puissent comprendre ; elle doit être rigoureuse en droit et accepter la participation des citoyens.

Prenons comme exemple le CETA (accord économique bilatéral entre l’Union européenne et le Canada). Conçu en 2009, comprenant 20 pages en 2009 et 230 avec plus de 1300 annexes en 2014, cet accord a été négocié dans le plus grand secret pendant 5 ans pour être adopté partiellement et provisoirement le 21 septembre 2017 à Bruxelles. Si on analyse les rapports de force entre ces deux entités, distantes de 5500 km, entre Paris et Montréal, plus d 8000 km entre Varsovie et Vancouver (bonjour le kérosène !), le Canada représente 10 millions de km2 et 37 millions d’habitants tandis que l’U E est moitié plus petite mais compte 500 millions d’habitants.

Cet accord est un accord dit « de nouvelle génération », c’est-à-dire que, outre diminuer les frais de douane et supprimer les obstacles tarifaires, il s’attaque aux obstacles non-tarifaires, autrement dit, aux législations en vigueur qui pourraient être plus « contraignantes que nécessaires ». C’est d’ailleurs parce qu’il dépasse le critère économique que le CETA est considéré comme traité « mixte », ce qui rend obligatoire sa validation par les parlements des États concernés et pas seulement par un vote du Parlement européen.
En 2016, sous la pression de groupes comme ATTAC, le Parlement wallon a lu et analysé les textes, et a décidé de ne pas signer, principalement en raison de la clause d’arbitrage privé, qui donne tout pouvoir aux multinationales. (Voir le livre de Paul Magnette, CETA Quand l’UE déraille.) En France, fin 2019, l’accord n’était toujours pas ratifié par le Sénat. (L’arbitrage privé permet aux multinationales de sécuriser leurs investissements en attaquant un État si jamais elles estiment que leurs profits pourraient être limités à cause d’une législation trop contraignante !)

Qui perd ? Qui gagne ? Il avait été calculé par l’UE que le PIB pourrait augmenter de 0,08%. Par ailleurs les frais de douane représentent moins de 2 % de frais sur certains produits. Il s’agit donc d’une perte de 2 % de taxes perçues par les États … au profit du chiffre d’affaire des multinationales, ce qui creusera encore les inégalités et réduira les moyens d’agir des États,

Quelles sont les règles les plus dangereuses ?

En premier donc, l’ISDS devenu grâce à la mobilisation ICS (pour le CETA), un tribunal spécial d’arbitrage qui permet d’attaquer les États (voir plus haut) et dont les juges experts sont recrutés par l’UE (ce qui n’était pas le cas dans l’ISDS où les experts restaient « privés » mais restent issu du milieu des avocats d’affaire et donc en relations avec les multinationales.

En deuxième lieu, la règle du « cliquet », qui interdit tout retour en arrière : une règle décidée, bonne ou mauvaise, ne pourra ultérieurement être ni supprimée ni amendée, même en cas de changement de gouvernement. Le principe de coopérations réglementaires prévoit que dans l’avenir d’autres secteurs puissent être ajoutés aux négociations (de libéralisation) SANS qu’un nouveau passage par l’aval des parlements soit nécessaire !

La liste ‘négative’ fixe les secteurs qui seraient « hors marché » et donc hors CETA. Les listes négatives consacrent le fait que, « par défaut », tout est privatisable,alors que précédemment les accords nommaient ce à quoi ils « s’attaquait », le reste par défaut était protégé. Ce qui ne serait pas privatisé par cet accord sera toujours à la merci des accords ACS (Accord sur le commerce des services) de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).
De plus, toutes les nouvelles inventions et services seront automatiquement privatisés. Pourraient en être exemptés les produits d’Origine Contrôlée. Ouf !

Bref, tout pour la compétitivité… des entreprises avec l’aval de la concurrence forcenée entre États.

Le CETA favorise-t-il la lutte contre le changement climatique ? Que nenni ! Le Canada est sorti du protocole de Kyoto en 2011 et depuis la mise en application « provisoire » du CETA, un bond de deux points des émissions de CO2 a été observé. Dans le texte de l’accord, les mots climat et biodiversité ne sont pas mentionnés une seule fois, alors que le mot concurrence y figure plus 100 fois.

Le traité de libre-échange de l’UE avec le MERCOSUR, lui, bat de l’aile depuis l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro. Pour nos agriculteurs, mais aussi pour les populations d’Amérique latine, il faut espérer qu’il ne retrouve pas la santé !

Entre-temps, en évitant les clauses qui rendent obligatoires les ratifications par les différents parlements, deux traités de ce type ont été signés avec l’UE, l’un avec Singapour, l’autre avec le Japon. S’ils sont moins graves, que ce soit pour la démocratie ou pour l’économie, ils restent de mauvais traités, loin d’une économie au service des gens et respectueuse de l’environnement.

Quelques questions suffisent à déterminer su un accord est ou non dangereux pour la démocratie. Comprend-il des règles contraignantes en matière de protection de règles sociales, droit du travail,… et de protection de l’environnement ? Si oui, c’est bon. Comprend-il des listes négatives et/ou la possibilité de coopérations renforcées qui permettent une extension des secteurs à privatiser ? Si oui, c’est mauvais. Prévoie-t-il un « tribunal » spécial d’arbitrage économique/commercial qui se substitue à la justice ? Alors aussi, très mauvais.

Pour ATTAC comme pour le collectif « libre&change », chaque accord dit « de libre échange » est le symptôme d’une économie où des intérêts privés priment sur le vivant et sur l’intérêt général.


Laisser une réponse

A la une !