[Par Josiane Marquet]
La cause est entendue : la recherche de rendement rapide qu’implique le capitalisme est incompatible avec la survie des sols, donc la survie des humains. Encore est-il nécessaire d’écouter les explications de deux spécialistes, en l’occurrence Vanessa martin, biologiste et exploitante agricole, et Gwen Delhaye, ingénieure agronome et professeure dans la section Transition en Sciences agronomiques à l’Institut Provincial de l’Enseignement agronomique de la Reid.
La première nous parle de la santé des sols, qui dépend d’une formule magique : C. A. H, ou Chaux Argile Humus : pour que le pouvoir absorbant d’un sol s’exerce, il faut qu’il renferme de la chaux (calcium), de l’argile et de l’humus (décomposition des végétaux et animaux, riche en carbone). Par ailleurs, pour se nourrir, les plantes puisent dans le sol – surtout de l’azote, du phosphore et du potassium. Si les feuilles manquent de l’un ou l’autre élément, elles se décolorent ou se nécrosent. Si l’on veut qu’une terre garde toutes ses qualités, il est nécessaire d’alterner les cultures (environ tous les 4 ans).
Mais voilà, pour produire plus, poussé par l’industrie agroalimentaire, le fermier a recours aux engrais chimiques, qui sont, eux, directement assimilables par les plantes, mais qui appauvrissent la terre et dont le surplus s’infiltre dans les nappes phréatiques, ce qui a des conséquences environnementales directes. La façon de retourner la terre contribue aussi à détruire les sols : les engins trop puissants écrasent la terre, qui ne produit plus d’humus. Or sans humus, pas de vie microbienne. Pas de vie.
Contrairement à l’élevage industriel, l’élevage à taille humaine est important pour conserver le carbone dans le sol. Actuellement, beaucoup d’agriculteurs donnent leurs terres directement aux industriels pour des cultures intensives, notamment les grandes surfaces de colza, si belles, si jaunes. Et pour en faire quoi ? Des agro-carburants !
Une autre menace, radicale : l’artificialisation des sols. La Belgique est championne en la matière. De 1985 à 2017, augmentation de 48% de terrains résidentiels et plus de 40% de terrains à usage industriel dans la même période.
Ce que nous appelons « agriculture intensive » n’est guère intensive qu’en profits, sûrement pas en main d’œuvre ou en savoirs. Il s’agit de produire un maximum dans le cadre d’un système agroalimentaire industriel.
Elle génère des dégâts considérables : déchets toxiques et gaz à effet de serre (CH4, et NO2) ; utilisation de 30% de l’énergie mondiale, surtout de l’énergie fossile (elle dépend du pétrole tant pour les machines que pour l’irrigation de serres immenses) ; 70% des prélèvements en eau douce ; 80% des déforestations dans le monde.
Certes, elle permet une production importante, mais elle impose aussi des pressions intenses au niveau des sols, du climat, de la biodiversité et a un effet néfaste sur la santé des agriculteurs.
Elle
se caractérise par une utilisation de variétés hybrides et/ou OGM
(180 millions d’Ha dans le monde), par l’usage intensif de PPP
pour lutter contre les organismes ravageurs qui profitent de ces
écosystèmes simplifiés, par le développement du couple
mécanisation/ monoculture, ceci afin de répondre à la logique de
profit des multinationales.
Elle dépend de la grande
distribution et de transports sur longues distances, des marchés
internationaux, des industries de conditionnement et bien sûr, des
banques.
On comprend donc que ce système agricole détruit la paysannerie : en 1980 la Wallonie comptait 37.843 exploitations agricoles ; elle n’en compte plus que 12.950 en 2016.
Alors, que faire ? Les initiatives viennent du terrain, de certains exploitants qui ont compris qu’en continuant de la sorte, ils et nous, consommateurs, allions dans le mur.
L’agroécologie est un mouvement social international de contestation, centré sur l’autonomie paysanne. C’est un projet de société qui comprend une approche de l’agriculture soutenue par des études scientifiques qui remettent au centre du projet l’humain, et en premier lieu le paysan. Le rapport de l’IAASTD de 2009 prévoit que ce système pourrait nourrir 12 milliard d’humains.
La permaculture est un concept créé dans les années 1970 par deux Australiens, Mollisson et Holmgren. Voici la définition qu’en donne ce dernier : « C’est l’utilisation d’une approche systémique et de principes de conceptions, permettant d’organiser efficacement un cadre pour la mise en place d’une culture permanente ».
Quant à la biodynamie, elle s’est développée à partir de la pensée de Goethe. Son maître à penser s’appelle Rudolf Steiner (anthroposophe, 1861-1925). Mystique et philosophe qui touchait à toutes les disciplines, il voulait développer des techniques pour garantir une alimentation saine. Il accorde une énorme importance aux rythmes de la nature, aux cycles lunaires. Les ‘Fermes Demeter’ s’appuient sur le principe du recyclage de la matière organique vers les sols (éventuellement compostée et transformée par des préparations à bases de plantes médicinales).
D’autres solutions toute simples existent pour ne dénaturer ni l’humain ni l’environnement, à commencer par le bon sens, l’assolement et l’association des cultures pour maintenir la variété nutritionnelle des sols, la transition vers des productions plus respectueuses de l’environnement.
Nous
devons aussi surmonter des
freins :
_le consumérisme ambiant ;
_la recherche
de profit maximum à court terme (ce qui implique une logique
productiviste et les cultures d’exportation);
_la
spéculation sur les denrées agricoles ;
_des
indicateurs économiques distincts du bien-être ;
_des structures économiques et politiques peu favorables à
l’autonomie locale et au développement à petite échelle, dont le
pouvoir exorbitant des multinationales.
Alors, pourrait-on rêver demain d’agriculture respectueuse partout ?
Des principes pour y croire et y réussir :
- collecter et stocker l’énergie ;
- valoriser les ressources et services renouvelables ;
- ne pas produire de déchets ;
- intégrer plutôt que séparer ;
- travailler à petite échelle avec patience ;
- adapter les productions animales ou végétales en fonction du milieu ;
- planter haies, buissons, arbustes (agroforesterie) ;
- dans certaines conditions, favoriser l’agriculture urbaine ;
- encourager les nouvelles techniques, moins lourdes et moins agressives pour les sols.
Ces actions sont à la fois individuelles et collectives, locales et internationales. Près de chez nous se développent des mouvements pour une agriculture durable, initiés par la FUGEA, les « Brigades d’actions Paysannes », « Terre en vue », « Via Campesina », etc., des mouvements soutenus par tous les exploitants qui adhèrent à cette vision de la politique agricole.