Le Val heureux : la monnaie et ses alternatives
Nicolas Franka
Tous les jours ou presque, nous utilisons de la monnaie. Qu’elle soit faite de papier, de pièces, ou encore d’inscriptions numériques sur nos écrans d’ordinateur, elle est omniprésente dans nos sociétés. Mais que cache cette monnaie, pourquoi la comprenons-nous si mal, qui la crée, la gère ? Et pour quels objectifs ? Depuis plusieurs années, des monnaies locales fleurissent avec plus de 5000 initiatives aux quatre coins du globe. Ce mouvement se construit sur plusieurs constats qu’il nous revient de présenter. Alors, découvrons l’origine de la monnaie, son fonctionnement, son impact sur la société avant de nous tourner vers l’outil émancipateur que l’intelligence collective a pu mettre en place pour amorcer la transition économique, écologique et citoyenne.
Un outil utile à tous !
La monnaie est indispensable au fonctionnement de la société dans laquelle nous échangeons des biens et des services. Il s’agit d’une invention qui a participé au développement des civilisations pour faire des échanges, assurer la comptabilité entre les individus et mettre de la valeur de côté, épargner. Premier élément, la monnaie est d’abord un outil qui sert à la société. Elle est nécessaire comme le sang dans le corps en permettant des échanges rapides et efficaces.
Mais d’où vient cet argent ?
Un principe central étudié dans beaucoup d’universités consiste à dire que la monnaie est avant tout issue du troc. Qu’elle a émergé par son aspect pratique et n’a d’autre utilité que de servir de moyen de transfert. Elle serait donc neutre économiquement. Il n’en est rien. La monnaie est en fait créée par des prêts, par une dette. En effet, c’est lorsque les banques accordent des crédits qu’elles « créent » l’argent. Ces unités de comptes, pour lesquels tant de gens se battent, sont ainsi issues de cette « simple » entrée comptable sans laquelle il n’y aurait quasiment rien comme argent dans notre société si ce n’est les pièces et billets de nos portefeuilles. Prenons maintenant l’ampleur de cette réalité, qui ne suscite par ailleurs plus aucune discussion à ce jour. Les différentes banques centrales ont elles-mêmes admis cet état de fait en plus d’une large littérature académique et d’innombrables chercheurs.
Un monopole privé !
On connait notre société libérale de « libre » marché concurrentiel, n’est-ce pas ? Mais étonnement, quand le secteur privé ne peut s’en sortir seul, il se repose sur des avantages octroyés par la loi ou simplement capturés au secteur public pour faire valoir ses intérêts. C’est le cas du monopole de création monétaire. En procédant de la sorte, par extension du crédit et création monétaire, les banques privées émettent entre 85 et 97 % de la masse monétaire en circulation dans le monde. Le reste, ce sont les billets et les pièces des banques centrales. La production de la monnaie est donc le fait d’un organisme privé à but de lucre, sans intérêt social. Qui plus est, le seul intérêt économique du secteur bancaire est bien la rentabilité, le profit et non le bon fonctionnement de l’économie marchande dans son ensemble. En augmentant leur bilan, les banques cherchent à maximiser les dividendes. Les règles prudentielles en place n’ont en rien empêché l’instabilité du secteur bancaire et l’avarice de ses acteurs de nous conduire à la crise de 2008.
Le système monnaie-dette !
Comme expliqué plus haut, la monnaie est créée par une dette endossée par des agents économiques : entreprises, particuliers et États. Il en résulte qu’en bout de chaine, il y a toujours quelqu’un qui est en train de payer des intérêts sur cette monnaie en circulation. Celle que vous avez sur votre compte en ligne par exemple. En somme, cet outil indispensable à nos vies modernes est donc loué à l’ensemble de la société. On parle ici d’une rente généralisée qui fonctionne comme un immense aspirateur à richesse. Cette richesse durement acquise par le temps et l’énergie des êtres humains d’hier et d’aujourd’hui.
Des conséquences désastreuses
Les conséquences ont été, sont et resteront encore désastreuses pour nos sociétés : spéculation, endettement massif et généralisé des États comme des particuliers, décision d’investissement discutable dans l’exploitation des ressources naturelles et des êtres humains. Tout ce qui est rendu possible par le contrôle de la monnaie. Cet outil presque magique, car créé à partir de rien : ex nihilo. Ces savants fous, banquiers du monde, ont été incapables de gérer cet outil sans mettre à mal la survie de nos sociétés. Il appartient donc à la collectivité de trouver des solutions qui, faute d’être parfaites, permettent d’être utilisées dès aujourd’hui et de fournir des pistes de solutions.
D’autres monnaies pour changer tout ça !
Qu’elles soient complémentaires, locales ou citoyennes, une panoplie de monnaies alternatives se sont développées aux quatre coins du monde et celles-ci ont vocation à remplir différents objectifs. Tout d’abord, ces monnaies sont complémentaires, car elles ne visent pas à remplacer entièrement notre système monétaire, mais bien à le suppléer avec des outils adaptés à l’utilisation faite par la population. Comme les globules rouges dans notre sang dont l’organisme détermine la quantité nécessaire ont un rôle précis à jouer (amener l’oxygène à nos organes), des globules blancs tout aussi nécessaires existent pour remplir d’autres tâches. Comme ces derniers, les monnaies complémentaires soutiennent et protègent nos économies. Elles s’inscrivent dans des projets sociaux, environnementaux, et véhiculent des valeurs partagées par leurs utilisateurs. Comme l’explique Bernard Lietaer, éminent économiste belge, la monnaie souffre de monoculture. Pourquoi utiliser la même monnaie pour la spéculation internationale que pour acheter du pain ? La finalité des monnaies est de remplir un objectif social, on ne construit pas un chalet avec un marteau seulement. Augmenter la diversité monétaire, c’est se donner les outils du changement. Des outils pour chaque tâche. Elles sont locales ensuite, car ancrées dans une région, un quartier, ou un bassin de vie afin de favoriser les échanges entre les acteurs de ces communautés et permettre ainsi de conserver la richesse sur le territoire en favorisant l’emploi et la consommation locale. Et enfin, le secteur privé a aujourd’hui un pouvoir de décision important sur la quantité de monnaie en circulation et son allocation dans l’économie. C’est ici que l’aspect citoyen des monnaies locales et complémentaires prend tout son sens en laissant la communauté des utilisateurs décider de sa gestion et de son émission de manière démocratique, transparente et partagée. Une manière de reprendre le contrôle sur un bien que l’on peut considérer comme devant être public. En exploitant ces trois aspects centraux et sans même aborder les bienfaits économiques que cela engendre, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un jeu de Monopoly, d’un délire d’hurluberlus, mais bien d’un véritable acte de fronde sociale, de révolution pacifiste, d’un pied de nez à la société de consommation, aux grands groupes multinationaux et à la rapacité du secteur bancaire. Certes, l’impact aujourd’hui est minime. A l’échelle des géants de la finance : insignifiant. Mais l’espoir nait de petites gouttes et aujourd’hui de petits billets parfois loufoques et de ces milliers d’initiatives qui se joignent à celle des sociétés en transition. Nous ne pouvons laisser la monnaie, cet outil indispensable à la société, dans les mains d’une poignée de gens du secteur privé, en quête de profits perpétuels. La monnaie est louée à la planète entière sans effet positif pour la société, mais charriant dans son sillage des catastrophes, économiques, naturelles et collectives. S’il existe d’autres sujets de griefs envers l’économie mondialisée, il en est un dont nous pouvons reprendre le contrôle petit à petit, entre citoyens. Alors, prenez vos Talents, vos Épis, vos Blés, vos Ropis, vos Voltis, vos Lumsous, vos sous-rires ou vos Val’heureux et changez le monde par vos échanges.