Paru dans Le Soir, samedi 27 août 2011, Dominique Berns

Comment échapper au piège de la dette ?

 

LES DETTES PUBLIQUES des pays industrialisés ont bondi à des niveaux records, qui n’ont jamais été égalés en période de paix. Comment les réduire ?

Par l’austérité, qui risque de miner la croissance ?

Par l’inflation comme on l’entend de plus en plus souvent ?

Ou en copiant l’expérience des Trente Glorieuses?

 

1

Par l’austérité

Tuer la croissance par excès de vertu ?

Rapportées aux produits intérieurs bruts, les dettes publiques des pays industrialisés sont aussi importantes qu’au sortir de la seconde guerre mondiale. Nous aurions vécu au-dessus de nos moyens, en voulant conserver un État-Providence que nous n’avions plus les moyens de financer. Et l’austérité, mélange de réductions de dépenses et de hausses d’impôts, serait la seule manière d’en finir avec les déficits publics.

Précision : si les dettes publiques sont si élevées, c’est aussi parce que les Etats sont intervenus massivement pour éviter une nouvelle Grande Dépression, sauver les banques et soutenir l’économie (en transformant des dettes privées en dettes… publiques). Après avoir, pendant des années, réduit les impôts, au bénéfice des plus aisés (c’est indéniable aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ; c’est vrai, dans une moindre mesure, en Europe continentale). Cela dit, il est exact que les dettes publiques, sont trop élevées. Et que ce n’est pas souhaitable : les charges d’intérêt réduisent la marge de manœuvre des gouvernements, leur capacité à mener des politiques aussi bien sociales ou de santé publique qu’économiques (le soutien de la R&D, ou la transition vers un système économique moins gourmand en énergies fossiles et en matières premières).

Modéré, l’endettement permet d’investir. Excessif, il devient un piège. On touche là le point aveugle, si l’on peut dire, du raisonnement des tenants de l’austérité budgétaire. La conjonction des plans de rigueur, plus ou moins drastiques, dans toute l’Europe aura pour conséquence, au mieux une période de stagnation prolongée, au pire un plongeon en récession. Ce qui rendra d’autant plus difficile l’assainissement des finances publiques.

Certes, une certaine ministre française a voulu nous vendre l’idée de la « ri-lance », la rigueur qui s’accompagnerait d’une relance. Ri-sible ? L’argument avait également été utilisé par le Premier ministre anglais, David Cameron : l’assainissement drastique des finances publiques qu’il a imposé à son pays très vite après son élection allait renforcer la confiance des agents économiques privés : les entreprises allaient investir et embaucher, les ménages allaient consommer. Raté. Et aujourd’hui, l’auteure du néologisme susmentionné, devenue di rectrice-générale du Fonds monétaire intemational, appelle les économies avancées à ne pas tuer la croissance en luttant contre la dette.

 

2 Par la croissance

Relancer la croissance, mais comment ?

N’y a-t-il pas une manière d’accroître le potentiel de croissance de nos économies. Ce serait un peu la pierre philosophale: plus de croissance, c’est plus de gens au travail, plus de recettes fiscales, moins de dépenses (notamment d’allocations sociales) ; et une dette dont le poids se réduit à mesure qu’augmente le P1B. Mais avons-nous la recette ?

Sous la pression de Berlin, l’Europe entend se doter d’un Pacte de compétitivité, dont l’objectif serait de faire de tous les membres de nouvelles « Allemagne ». A priori, quoi de plus sensé ? A l’analyse, peu crédible. Car le modèle allemand n’est pas généralisable. Pendant dix ans, l’Allemagne a comprimé le pouvoir d’achat des salariés, délocalisé une partie de sa production à l’Est (le Mode in Germany est devenu le Made by Germany) et enregistré le taux de croissance pratiquement le plus faible de la zone euro. Si tous les pays avaient fait de même, qui aurait absorbé les exportations allemandes, dont l’essentiel est destiné au marché européen ? Cette stratégie non coopérative a fonctionné parce que seule l’Allemagne (et, dans une moindre mesure, quelques-uns de ses petits voisins) l’a mise en oeuvre.

Reste la Stratégie UE 2020, qui entend promouvoir une « croissance intelligente, durable et inclusive », dans la continuité de la Stratégie de Lisbonne, décidé en 2000, et qui a échoué – mais on nous assure avoir tiré les leçons de cet échec. Et l’on entend un nouveau mot d’ordre : aux Etats-membres, l’austérité; à l’Union, la mise en oeuvre d’une stratégie coopérative de croissance. Mais peut-on y croire quand les États ne parviennent pas à s’entendre pour doper le budget européen ou décider l’émission d’« euro-obligations » qui pourraient financer de grands travaux d’infrastructure (déjà prônés dans un Livre blanc de… 1994) ou une politique de recherche et d’innovation européenne capable de redéployer nos économies vers les industries d’avenir ? Et, alors que la Chine est devenue le premier producteur mondial de panneaux solaires et d’éoliennes (pour ne citer que cet exemple), les autorités européennes ne parviennent pas à se défaire de cette idée fausse avec laquelle elles nous ont bercés durant des années, selon laquelle un cadre macroéconomique stable (entendez par là : un taux d’inflation bas) et plus de flexibilité suffisent à fournir les conditions d’une croissance forte et durable – la main invisible du marché s’occupant du reste.

 

3 Par l’inflation

Une manière « douce » de réduire la dette?

Ces dettes, publiques ou privées, n’y a-t-il pas un moyen simple pour en réduire le poids : la hausse des prix ? Des économistes très sérieux le pensent : 4 à 6 % d’inflation pendant quelques années permettrait d’écourter sensiblement la période de purgatoire. L’idée est peu orthodoxe… Sa mise en oeuvre obligerait la Banque centrale européenne (BCE) à renier sa foi la plus profonde et sa mission la plus sacrée, elle qui a fixé la limite à 2 % l’an. Mais elle semble a priori séduisante. Et simple, dans son principe. Imaginez que vous empruntez 100 euros sur dix ans. Chaque année, vous payerez le taux d’intérêt convenu. Et la dixième année, vous devrez également rendre les 100 euros à votre créancier. Mais quel sera le pouvoir d’achat de ce billet de 100 euros ? Réponse: 83 euros, si la hausse des prix a été limitée à 2 % l’an; mais seulement 60 euros, avec une inflation annuelle moyenne de 6 %. Une manière «douce» de liquider un stock de dettes. Seulement voilà : s’il est un moyen simple, quoique brutal, de dompter la hausse des prix (relever fortement les taux d’intérêt), créer de l’inflation, en revanche, ce n’est simple… qu’en théorie. Ouvrez un manuel : vous y lirez qu’un excès de création monétaire (par rapport au potentiel de croissance de l’économie) se traduit par une accélération de la hausse des prix. Il suffirait donc de faire tourner généreusement la planche à billet. Le hic, c’est que la réalité, parfois, prend plaisir à contredire la théorie.

Et c’est tout particulièrement le cas ces temps-ci. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale (Fed) a déversé des masses de liquidités dans l’économie (ses deux fameuses vagues d’assouplissement quantitatif). L’inflation s’est-elle accélérée ? Oui, un peu; mais la Fed n’y est pour rien; c’est la hausse des prix des matières premières qui a joué le rôle moteur.

Admettons cependant que l’on puisse tenir un objectif d’inflation de 6 % l’an. Croyez-vous que les marchés financiers, qui dictent aujourd’hui la politique budgétaire des États, se laisseraient faire sans réagir ? Bien sûr que non. Les investisseurs n’accepteraient de continuer à financer les dettes publiques qu’à la condition de percevoir des taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Ce qui serait gagné d’un côté serait (en plus ou moins grande partie) perdu de l’autre…

 

4 Par la régulation

Le retour de la « répression financière »?

Au terme de ce tour d’horizon un peu déprimant, il y a tout de même une question qui vient à l’esprit : comment nos pays ont-ils fait, entre 1945 et 1975, pour réduire considérablement le poids des dettes publiques qu’ils avaient héritées de la guerre ?

Réponse standard: nos économies étaient dynamiques, la croissance était élevée. De sorte que le « gâteau » s’accroissait chaque année, permettant tout à la fois l’amélioration continue des niveaux de vie du plus grand nombre, le développement des systèmes sociaux et le remboursement des dettes publiques. C’était ça, les Trente Glorieuses. Vrai. Mais cela n’explique pas tout.

Un autre facteur a joué un rôle clef dans la liquidation des dettes publiques durant cette période : la réglementation très stricte des systèmes et marchés financiers. En l’espèce: le plafonnement explicite ou implicite des taux d’intérêt, le contrôle des mouvements internationaux de capitaux, l’existence d’une épargne nationale et d’investisseurs « captifs »…

Car, cette époque, celle de Bretton Woods (du nom de cette station de sports d’hiver du New Hampshire, où furent fixées, en 1944, les règles du système monétaire et financier de l’après-guerre), la finance était très, très régulée. « Réprimée », commencera-t-on à dire au début des années 70, quand les milieux financiers réclameront des États une libéralisation toujours plus poussée.

Du coup, les taux d’intérêt étaient bas. Et, de temps en temps, négatifs. Car il y avait également de l’inflation. Et c’est ce mélange de « répression financière » et d’une hausse régulière des prix, qui a permis la liquidation des dettes publiques – ainsi que les économistes américains, Carmen Reinhart et Belen Sbrancia l’expliquent dans un récent document de travail du National Bureau of Economic Research (1).

Et on ajoutera que le maintien de taux d’intérêt (réels) très bas, sans doute peu favorable aux rentiers, a favorisé les investissements dans l’économie réelle et, partant la croissance. C’était, au fond, l’essence du keynésianisme. Et la solution à nos problèmes ?

 

(1) The Liquidation of Government Debt, disponible à l’adresse www.nber.org/papers/w16893.

 


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