La progressivité de l’impôt

L’économie politique et le droit fiscal assignent, traditionnellement, trois fonctions à la fiscalité :

  • une fonction budgétaire, plus précisément, le financement des dépenses publiques ;
  • une fonction économique ; l’Etat entend, par les mesures fiscales introduites dans la législation fiscale, encourager certains comportements (exemples : les économies d’énergie ou les avantages fiscaux liés à la petite enfance) ;
  • une fonction redistributive de la richesse par laquelle l’Etat entend limiter ou réduire les inégalités de revenus ou de patrimoines (lutte contre les inégalités sociales).

La redistribution des revenus et des patrimoines par la fiscalité est réalisée par la progressivité de l’impôt.

L’impôt progressif peut se définir comme suit : « Plus le revenu est élevé, plus la proportion acquittée sous forme d’impôt est grande ».

L’impôt progressif diffère fondamentalement d’un impôt proportionnel où le taux de prélèvement est identique quelle que la base sur laquelle il est calculé (ou base imposable). La TVA est un impôt proportionnel à la dépense faite par le consommateur (prélèvement de 21 % sur le montant de la dépense, sauf pour certains produits de première nécessité taxés à 6 %). L’impôt des sociétés est un impôt proportionnel sur les bénéfices des sociétés commerciales (33,99 %). Toutefois, il y a lieu de faire remarquer que les intérêts notionnels modifient cette caractéristique de l’impôt dans le sens où plus le capital de la société est important, plus le taux de l’impôt se réduit (voir la fiche et la note relative aux « intérêts notionnels »).

En Belgique, la progressivité de l’impôt concerne deux impôts : l’impôt sur les revenus des personnes physiques (ou IPP dans le jargon fiscal) et les droits de succession. Le Code des Impôts sur les Revenus (CIR) et le Code des droits de succession (impôt régionalisé) comportent chacun un barème progressif de l’impôt.

On s’attachera ici uniquement à la progressivité de l’IPP.

Objectif de la progressivité de l’impôt

La progressivité de l’impôt suit le principe selon lequel les capacités contributives d’une personne sont plus significatives lorsque ses revenus sont supérieurs au montant nécessaire à la satisfaction des besoins primaires et secondaires. Par conséquent, le prélèvement fiscal doit être d’autant plus important que la personne dispose de revenus qui excèdent ceux nécessaires à l’achat de biens et services fondamentaux.

Ce principe est au centre de la redistribution des richesses par l’impôt.

Pour l’impôt sur les revenus des particuliers, le barème progressif est précisé à l’article 130 du Code des impôts sur les revenus. Pour les revenus de 2009, le barème s’établit comme suit :

  • 25 p.c pour la tranche de revenu de 0,01 € à 7.900,00 € ;
  • 30 p.c. pour la tranche de 7.900,00 € à 11.240,00 € ;
  • 40 p.c. pour la tranche de 11.240,00 € à 18.730,00 € ;
  • 45 p.c. pour la tranche de 18.730,00 € à 34.330,00 € ;
  • 50 p.c. pour la tranche supérieure à 34.330,00 €.
  • Revenu non imposable (quotité exemptée d’impôt) : 6.690,00 €.

 

Si, plus que jamais, il est nécessaire de défendre la progressivité de l’impôt, notamment face aux forces libérales qui veulent mettre fin à la redistribution des revenus par la réintroduction d’un impôt proportionnel sur une base imposable élargie (ou « flat tax »), il est tout aussi indispensable d’attirer l’attention sur les inégalités et anomalies engendrées par l’IPP.

1) Inégalités dues à la déglobalisation des revenus financiers.

Depuis le début des années 1980, les revenus financiers ne doivent plus être déclarés dans la déclaration annuelle des revenus s’ils ont été soumis au précompte mobilier (15 % ou 25 %). Ce précompte est dit libératoire.

Aujourd’hui, seuls les revenus immobiliers et les revenus professionnels doivent être déclarés à l’IPP.

Les revenus financiers sont donc faiblement taxés dans notre pays pour les raisons suivantes :

  • les intérêts et les dividendes sont taxés au précompte libératoire et échappent ainsi à la progressivité de l’impôt ;
  • le précompte libératoire est faible (15 % ou 25 %) comparativement à l’impôt moyen payé par les ménages (voir point 3 ci-après) ;
  • les revenus financiers en provenance de l’étranger ne sont pas soumis à la progressivité de l’impôt ; n’ayant pas été soumis au précompte mobilier, ils sont imposables distinctement à l’IPP au même taux que les revenus financiers perçus en Belgique ;
  • les plus-values financières ne sont pas imposables.

Alors que les revenus professionnels sont atteints par la progressivité de l’impôt, la taxation des revenus financiers est légère voire nulle (plus-values).

On pourrait remédier à cette situation en reglobalisant tous les revenus, y compris les revenus du patrimoine financier. Pour éviter de taxer l’épargne populaire, la reglobalisation serait atténuée par une quotité exemptée d’impôt sur les revenus financiers. Mais il convient de préciser qu’un écueil de taille se profile à l’horizon pour concrétiser cette mesure d’équité fiscale. En effet, les revenus financiers ne sont pas connus du fisc. Il convient donc que l’Etat prenne les mesures nécessaires pour collecter et organiser les informations sur le patrimoine financier.

2) Connaissance de tous les revenus. Préalable à toute taxation.

La Belgique procède, dans de bonnes conditions, aux prélèvements fiscaux sur les bâtiments, les voitures, les salaires et les revenus de remplacement (pensions, allocations de chômage ou de maladie, etc.). Cette taxation est, en effet, facilitée par l’existence de répertoires. En d’autres termes, l’Etat a organisé la connaissance des revenus et des patrimoines : cadastre des biens immobiliers, répertoire des voitures (au sein du département de la mobilité), répertoire des salaires et des revenus de remplacement. Ce dernier répertoire est le résultat de l’obligation faite aux employeurs et aux débiteurs de revenus de remplacement d’établir annuellement une liste nominative des revenus (fiche 281 dans le jargon fiscal, celle qui aide le citoyen à compléter sa déclaration fiscale).

En l’absence de ces informations mises à jour périodiquement, les administrations fiscales rencontreraient bien des difficultés à collecter les impôts.

Si la connaissance des salaires et du patrimoine immobilier est une réalité (même s’il ne faut pas négliger certaines difficultés dues à l’économie souterraine et à la fragilisation de l’administration du cadastre), il n’en est pas de même du patrimoine financier et donc de ses revenus. Ainsi, les banques n’ont-elles pas l’obligation d’établir annuellement une liste des bénéficiaires de revenus financiers émargée du montant des ces revenus (intérêts, dividendes et plus-values). Aujourd’hui, la taxation libératoire sur les intérêts et dividendes est opérée dans l’anonymat. Sans la levée du secret bancaire fiscal et l’établissement d’un cadastre du patrimoine financier, la globalisation des revenus financiers risque donc d’être très inefficace. Cette inefficacité sera générée par l’absence d’un outil de contrôle des déclarations dans leur aspect « revenus financiers ».

3) Progressivité trop rapide sur les revenus faibles et moyens.

L’examen du barème de l’IPP montre que la progressivité de l’impôt est très forte pour des revenus très moyens et qu’elle se réduit fortement pour les revenus élevés. En effet, pour les revenus 2009 le taux de 40 % est déjà atteint pour les revenus imposables du contribuable qui dépassent 11.240 euros ; 45 % pour les revenus dépassant 18.730 euros et le maximum du barème pour les revenus supérieurs à 34.330 euros. D’emblée, il apparaît ainsi que la progressivité est très rapide pour des revenus en réalité peu élevés ou moyens. Toutefois, il faut tenir compte de la quotité exemptée d’impôt, qui atténue le taux moyen de l’impôt sur les revenus.

Il serait possible de remédier à cette situation peu redistributive en prenant les mesures suivantes :

  • augmenter la quotité exemptée d’impôt, ce qui profiterait surtout aux revenus faibles et moyens ;
  • rehausser les tranches intermédiaires du barème de l’IPP, en vue d’alléger les revenus moyens ;
  • réintroduire, dans le barème de l’IPP, les taux les plus élevés qui existaient dans le passé ( 52,5 % et 55 % supprimés progressivement, entre 2002 et 2004, par la réforme Reynders, voire 57,5 %, 60 % et 62,5 % supprimés dans les années 1980 sous le gouvernement Martens-Gol).

 

Par le RJF (Réseau pour la justice fiscale)

 


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