Lorsque l’économie traverse une période de crise, tous les moyens sont bons. Nous connaissons par exemple depuis quelques années une amnistie fiscale, également appelée régularisation fiscale ou déclaration libératoire unique. L’objectif est que l’argent « noir » qui se trouve à l’étranger soit réinjecté dans l’économie belge moyennant une légère amende. Autrement dit : les fraudeurs ne sont plus des pécheurs, ils deviennent les sauveurs de la patrie !
Un petit rappel historique s’impose avant d’expliquer en quoi consiste l’amnistie fiscale. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2004, les Belges pouvaient rapatrier l’argent placé à l’étranger tout en étant libérés de certaines obligations fiscales. Une amende de 6 à 9% était prélevée sur les capitaux rapatriés en Belgique. L’amende n’était que de 6% pour les épargnants qui réinvestissaient leur capital, alors qu’elle était de 9% pour ceux qui le plaçaient sur un compte. Les banques qui recevaient les capitaux rapatriés prélevaient l’amende et délivraient une attestation de régularisation.
Quels impôts étaient concernés par l’amnistie fiscale ?
Les revenus mobiliers font l’objet d’un précompte mobilier. Ce précompte est de 15 % pour les actifs à revenu fixe et de 25% pour les actions. Suite à l’amnistie fiscale, l’obligation de payer le précompte a été supprimée. La mesure a été étendue aux droit de succession, de sorte que les Belges qui disposaient d’héritages placés à l’étranger pouvaient les rapatrier sans crainte. Les particuliers ou les indépendants qui avaient éludé l’impôt sur le revenu de « l’argent noir » pouvaient aussi en obtenir la régularisation, mais pas pour les revenus des années 2002, 2003 en 2004.
Soucieux d’éviter que cette amnistie contribue à “blanchir” l’argent du crime, le gouvernement a souhaité obliger les banques à communiquer des dossiers ‘suspects’ à la Cellule d’Information Financière (CIF) ou ‘cellule blanchiment’. A cette époque déjà, des experts et des banquiers se demandaient si les banques étaient capables d’établir cette distinction. D’autre part, les banques devaient remettre aux autorités une liste de toutes les attestations qu’elles avaient délivrées, mais le gouvernement promit aux personnes concernées que le fisc n’obtiendrait jamais ces listes.
Quand la mesure unique devient permanente
Une procédure permanente a été mise en place à partir de 2006. La régularisation s’opère au taux normal. A partir de 2007, une amende de 10% s’ajoute pour les revenus mobiliers et immobiliers – mais pas pour la TVA ni les revenus professionnels. Cette procédure, qui ne s’applique pas au non-paiement des cotisations sociales, à la fraude fiscale organisée, aux revenus pour lesquels le fisc a déjà entamé une enquête, aux opérations de blanchiment ni aux abus de biens de sociétés, ne peut être utilisée qu’une seule fois.
Pourquoi amnistier les fraudeurs ?
Pour le gouvernement, l’amnistie fiscale vise notamment à revitaliser l’économie belge. Il espère en particulier augmenter la quantité de capital à risque qui existe dans notre pays. Un autre objectif est que les capitaux rapatriés contribuent à résorber le déficit budgétaire. Le passé a montré qu’il est incompréhensible de faire croire qu’une amnistie fiscale fasse rentrer beaucoup d’argent dans les caisses de l’Etat. En quatre ans, ce sont 581,2 millions d’euros qui ont été rapatriés. L’opération a rapporté 145,2 millions à l’Etat belge (voir encadré). Pour donner une idée des montants placés dans les paradis fiscaux : l’OCDE évalue à quelque 5000 à 7000 milliards de dollars les dépôts personnels dans les paradis fiscaux du monde entier. Selon les derniers rapports, les comptes dans les banques suisses affichent à eux seuls un montant de 2200 milliards de dollars. La perte de recettes fiscales que les Etats subissent en raison des placements dans les paradis fiscaux représente environ 250 milliards de dollars, soit 5 fois plus que le montant total de l’aide publique au développement.
Fraude: Régularisation de l’argent noir
Année fiscale |
Nombre de dossiers |
Montants rapatriés (millions d’euro) |
Versements au trésor (millions d’euro) |
Taux d’imposition |
2006 |
594 |
124,4 |
24,5 |
19,68 |
2007 |
1.179 |
218,9 |
53,5 |
24,45 |
2008 |
465 |
137,8 |
36,1 |
26,22 |
2009 |
333 |
100,8 |
31,0 |
30,80 |
Totaal |
2.571 |
581,8 |
145,2 |
|
Source : DM / 14.01.2010 /P.9 / Source : Cabinet des Finances
La comparaison est parfois faite avec la réussite de l’amnistie fiscale décidée en Italie. L’amende pour le « blanchiment » d’argent “noir” était fixée à 5%. Résultat, 95 milliards d’euros qui sont rentrés dans les caisses, mais l’Etat n’a touché que 5 milliards d’euros. Dans ces conditions, peut-on réellement parler d’un succès?
L’amnistie fiscale est-elle éthiquement et socialement responsable ?
La réponse est clairement non ! Face aux effets pervers en matière éthique et sociale, les arguments économiques et budgétaires ne tiennent pas. Dans le cas d’une amnistie fiscale, les amendes sont en général moindres que l’impôt normalement dû. Les contribuables honnêtes peuvent à juste titre s’estimer victimes d’une discrimination. Ne sont-ils pas en droit de se demander comment les dirigeants politiques peuvent avoir politiquement la conscience tranquille face à une amnistie fiscale, qui récompense des gens qui refusent d’être solidaires avec leurs concitoyens et de contribuer au financement de projets sociaux et de société ? Nous pouvons ajouter à leur indignation la violation du principe d’égalité pourtant inscrit dans notre Constitution.
L’amnistie ou la régularisation fiscale peut certainement être ajoutée à la liste des avantages dont bénéficie le capital. Ainsi, les revenus du capital ont été exonérés de l’impôt des personnes physiques en 1984. Il ne faut pas croire pour autant qu’ils n’ont plus été ajoutés aux autres revenus (revenus professionnels, immobiliers et divers) et qu’à ce titre ils ne sont plus assujettis au taux progressif. Aujourd’hui, un précompte de 15% est dû sur le produit de toutes sortes de produits d’épargne financière et un précompte de 25% sur les dividendes d’actions. Comme autres avantages, citons l’absence d’un impôt sur les plus-values, l’absence d’un impôt sur la fortune, le secret bancaire, l’absence d’un cadastre des fortunes, l’évasion fiscale, etc.
La régularisation permanente est-elle plus éthique qu’une amnistie unique ?
Elle pourrait être plus éthique mais la procédure permanente introduite en 2006 n’a certainement pas d’effet dissuasif sur les fraudeurs. Il n’est par exemple pas question de régularisation permanente en cas de “fraude fiscale organisée”. Problème : il n’existe aucune définition de ce concept, ni du montant à partir duquel une fraude fiscale est considérée comme “grave”. Un contribuable peut éluder l’impôt pendant des années jusqu’à ce qu’il ne se sente plus à l’aise. Ceux qui déclarent leur argent après avoir fraudé gagnent de l’argent, c’est vraiment un comble ! La régularisation fiscale n’est pas à l’abri de l’argent du crime : une simple déclaration sur l’honneur suffit à démontrer que les montants déclarés ne proviennent pas d’activités criminelles.
Conclusion
Si vous avez poursuivi votre lecture jusqu’ici, une conclusion s’impose tout naturellement : il faut cesser de choyer les fraudeurs en leur proposant l’amnistie fiscale et d’avantageux arrangements à l’amiable. Il faut organiser l’échange automatique d’informations entre les Etats sur les opérations financières réalisées dans les paradis fiscaux. Quant aux sanctions, le taux des amendes dues en plus de l’impôt doit être fixé en fonction de l’impôt éludé.
Pour le FAN (Financieel Aktie Netwerk)
Guido Deckers
Collaborateur Equipe animation flamande CSC