Version adoptée par Attac en AG le 11 février 2009

Ce texte a été adopté par ATTAC Bruxelles 1 lors de son assemblée générale du 11 février 2009. Il a été soumis à discussion au sein d’Attac Wallonie-Bruxelles sous une forme synthétisée lors de l’assemblée du 25 avril 2009. Il a été voté à cette occasion. On peut le consulter à cette adresse : Résolution Attac Wallonie-Bruxelles sur la crise. Le texte présent a été adapté pour tenir compte des remarques et ajouts proposés lors de cette assemblée, vu qu’ils amélioraient le texte initial.

Néanmoins, d’autres remarques, avis et critiques sont toujours les bienvenus s’ils sont exprimés dans un esprit constructif.

La crise n’est pas simplement financière : elle est beaucoup plus profonde et plus générale que ce qu’en disent les médias. Systémique et globale, elle trouve sa source même dans l’économie réelle. Et cela, depuis 35 ans !

En effet, l’origine de la récession ne réside pas dans l’éclatement d’une bulle sur le marché immobilier ou dans les dérives de la finance spéculative. Ce sont là des éléments déclencheurs, non la cause.

En fait, il est difficile de comprendre la situation actuelle sans remonter à 1973. Sans faire un cours d’économie, la crise de l’époque présente déjà des caractéristiques de surproduction, particulièrement aux Etats-Unis et en Europe. La surproduction se résout généralement par la destruction de capacités productives pour les ajuster au niveau de la demande solvable : fermeture des départements, restructurations drastiques, élimination de concurrents, concentrations, licenciements…

Seulement, à partir de la fin des années 70, la classe dominante américaine va opter pour une autre issue : la création d’une demande supplémentaire [1] fondée à la fois sur l’enrichissement des plus fortunés [2] et sur l’endettement [3] ; la hausse des revenus des plus fortunés, d’une part, et les facilités de crédit permettent aux Américains, de façon générale, de consommer davantage.

Mais il faut des garanties : des biens immobiliers ou des titres dont la valeur croît en permanence [4] . En d’autres termes, il faut des marchés financiers permettant une hausse des actifs financiers offrant une garantie à la désépargne et à l’endettement croissant. Et même chose sur les marchés hypothécaires. D’où l’importance de la déréglementation qui favorise la spéculation, mais qui permet ces augmentations qui sous-tendent le développement de l’endettement.

En clair, sur le plan traditionnel de la crise de surproduction et de la manière de la résoudre, ce n’est pas la production qui s’adapte à la consommation. C’est l’inverse. Et le monde a tenu ainsi durant une trentaine d’années [5]. Avec des soubresauts et des crises plus ou moins forte, mais surmontées jusqu’à aujourd’hui.

Seulement, cette solution comporte ses propres limites. Le développement de la demande supplémentaire s’effectue sur base de la création d’un capital à caractère financier, donc fictif [6], car sa croissance ne repose pas sur une augmentation dans l’économie réelle. En outre, l’essor américain dépend de plus en plus de l’étranger en capital et en marchandises [7] – ce que l’on appelle la globalisation néolibérale, qui est en grande partie une situation créée par les Etats-Unis pour servir ses intérêts.

Autrement dit, c’est une expansion extrêmement fragile et les différentes crises qui se succèdent depuis 1973 le montrent. La crise asiatique en 1997 menace une source importante de marchandises pour les consommateurs américains et de revenus pour les investisseurs qui y profitaient d’une zone de prospérité économique sans précédent. Le krach des Bourses en 2000 et 2001 porte un risque encore plus grand puisqu’il abaisse fortement la valeur des titres américains, garantie de l’endettement et donc de la consommation privée. Les autorités monétaires n’auront de cesse de créer un nouveau marché spéculatif : celui de l’immobilier. Pendant que le cours des avoirs financiers baisse, le prix des maisons s’envole, compensant dans le patrimoine des ménages la diminution des premiers. Ainsi, la consommation est sauve…

Sauf que, cette fois, la bulle éclate dans le crédit hypothécaire, entraînant dans le précipice les actifs non seulement financiers mais aussi immobiliers. Il n’y a donc plus de base pour la progression de l’endettement. La crise actuelle n’est donc pas simplement le problème d’un marché financier déréglementé, d’une dérive de prêts immodérés dans le subprime, de banques qui ne se prêtent plus les unes les autres, d’escrocs qui se sont enrichis sur le dos des populations. C’est la fin de la stratégie de l’endettement. L’économie mondiale est à terre. C’est donc tout un système qui est en cause. De ce fait, se pose la question plus fondamentale de la société alternative que nous voulons.

C’est pourquoi les revendications d’Attac ne peuvent se limiter à demander davantage de régulations ou une refonte du système financier. Il faut certainement des nouvelles dispositions réglementaires. Mais il faut plus. C’est pourquoi nous établissons nos exigences en quatre groupes en élargissant chaque fois le champ sur lequel nous aimerions porter notre intervention : 1. les réglementations nécessaires ; 2. la banque publique ; 3. les mesures de relance économique ; 4. les questions systémiques.

1. De nouvelles réglementations financières

C’est le stade le plus immédiat, le plus facilement réalisable. Là où l’accord pour agir est le plus large et où il y a le plus de propositions, même si elles peuvent diverger d’auteur à auteur ou d’organisation à organisation.

Selon nous, ces revendications sont d’abord indispensables d’un point de vue démocratique. Mais, contrairement à ce que pensent ou affirment certains, elles ne nous aideront pas, pour la plupart, à sortir de la crise. Ce n’est pas pour autant que nous les abandonnons. L’aspect « catalogue » signifie à la fois que nous ne les considérons pas comme principales à l’heure actuelle, mais que nous n’y renonçons pas non plus. En voici l’essentiel :

1. La publicité et la transparence obligatoires des sociétés financières : celles-ci doivent à la fois préciser à l’avance l’objet fondamental de la firme, sa stratégie, et détailler ses comptes ainsi que les principales transactions sur une base mensuelle.

2. L’interdiction des sociétés développées sur base de capitaux strictement privés et qui ont pour but et objet la spéculation ou la simple valorisation financière d’actifs ou d’autres entreprises comme les hedge funds [8] ou les private equity funds [9].

3. L’interdiction des opérations de titrisation [10]. Les contrats d’assurances ou de crédit lient deux agents sur une base personnelle et sur l’appréciation d’un risque que les parties peuvent estimer. En les titrisant, on dissémine le risque non vers ceux qui peuvent l’assumer, mais vers ceux qui n’en ont pas pleinement conscience et qui ne peuvent plus réellement l’évaluer.

4. L’interdiction des ventes à découvert. Ce sont des opérations où un spéculateur vend un actif financier ou une marchandise avant même de l’avoir acheté. Le dicton populaire dit : « tu ne vendras pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». Mais les marchés financiers pratiquent l’inverse. Ce sont des manoeuvres purement spéculatives. En ce cas, il n’y a aucune raison de les maintenir.

5. L’interdiction des produits dérivés [11] de gré à gré. Les produits dérivés se sont développés de façon exponentielle. Définir un produit dérivé de gré à gré consiste à s’arranger entre parties signataires sur les modalités du contrat. Cela ne passe pas par un marché organisé (la Bourse). C’est cette forme qui s’est développée surtout ces dernières années [12] Passer par un marché organisé permet d’avoir au moins des produits standardisés, les mêmes pour tous, qu’un organe de contrôle peut surveiller et agréer. Et empêcher le développement exponentiel.

6. La limitation stricte, contrôlée et agréée des engagements hors bilan des sociétés financières [13]. Ces dernières années, ces engagements concernent surtout des crédits placés dans des filiales de titrisation et des montants en jeu dans les produits dérivés. Certes, en limitant ou en interdisant une partie de ces activités, on réduit le risque d’un développement des engagements hors bilan comme on en a connu ces derniers temps. Il n’empêche que le « hors bilan » a permis de contourner les réglementations concernant l’obligation d’avoir un montant minimal de fonds propres pour accorder des prêts ainsi que de cacher des risques pris et non assumés ou d’améliorer la présentation du bilan pour recevoir une bonne note des marchés financiers et boursiers. Ce qui est au minimum de la manipulation comptable. Dans le cadre de la transparence et de la nécessité d’une surveillance accrue, il s’agit de prévenir toute augmentation future de ces engagements hors bilan.

7. Dans le même cadre, l’obligation d’avoir un montant minimum de fonds propres, de sorte à garantir le non-remboursement de prêts qui seraient moins performants que prévus à l’origine. Dans le cadre actuel, il semble que les fonds propres devraient se monter à 10% minimum du total des actifs (et donc des prêts effectués).

8. Le caractère public des agences de notation. Ces sociétés actuellement privées (essentiellement Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch) accordent des notes à tous les crédits internationaux effectués. En même temps, ce sont des firmes de conseil. Le minimum serait de séparer les deux activités, ce qui éviterait d’avoir une répétition de ce qui s’est passé où les agences de notation conseillaient aux banques de titriser les crédits hypothécaires et donnaient une notation favorable (qui s’est révélée fausse) à ce type d’obligations. Mais ce serait encore plus logique d’accorder l’exclusivité de l’évaluation du risque du crédit à un organe totalement indépendant à caractère public. Comme une partie non négligeable des prêts sont internationaux, il faudrait une agence de notation publique, soit composée de différents Etats (mais en évitant de privilégier la triade, Etats-Unis, Union européenne et Japon), soit dépendant d’institutions internationales (mais, pour l’instant, la seule qui soit organisée quelque peu de façon représentative est l’ONU).

9. De la même façon, le caractère public des sociétés d’audit comptable. Même problème : actuellement, ce sont des firmes privées, accordant des conseils, puis avalisant les comptes et bilans des entreprises au nom des organes régulateurs. Aux Etats-Unis, suite à l’affaire Enron et à l’implication de la société d’audit Arthur Andersen dans cette banqueroute frauduleuse, la loi Sarbanes-Oxley (votée en 2002) oblige à la séparation stricte des deux activités. Il serait, néanmoins, préférable de laisser exercer l’opération de contrôle des bilans par l’autorité publique. Ce qui permettrait en outre de pouvoir aussi surveiller cette activité démocratiquement.

10. L’application d’une taxe Tobin, au minimum dans la zone de l’euro. C’est la vieille revendication d’Attac que nous voulons toujours voir réaliser. Il s’agit de pratiquer une imposition faible sur tous les échanges de devises : 0,1% par acteur sur le montant de la transaction. On peut exonérer les 5.000 premiers euros d’échange pour les personnes, de sorte à ne pas pénaliser ceux qui séjournent à l’étranger pour toute raison que ce soit. Le produit de cette taxe qui peut se monter à 100 milliards d’euros doit servir à des projets de développement liés à des besoins élémentaires dans le tiers-monde.

11. La suppression des paradis fiscaux au sein de l’Union européenne. Attac est favorable à une uniformisation des impositions au sein de l’Europe et donc dénonce la compétition fiscale qui se joue entre Etats membres à l’heure actuelle. La première mesure à prendre dans ce cadre, permettant également d’éviter que des sociétés ou des personnes essaient d’échapper à leurs devoirs fiscaux, est l’élimination des facilités qu’ont obtenus certains territoires dans l’Union pour avoir des taxes extrêmement basses, voire nulles, comme les îles anglo-normandes, l’île Saint-Barthélemy, Monaco (qui a une relation privilégiée avec la France), le Luxembourg ou des formules d’avantages fiscaux comme les intérêts notionnels en Belgique, les possibilités d’enregistrement des sociétés holdings aux Pays-Bas, les taux d’impôt des sociétés très bas en Irlande, les flat tax (un taux d’imposition des revenus uniforme et non progressif) comme en Lituanie, en Lettonie, en Estonie ou en Slovaquie.

12. L’interdiction de transactions avec les paradis fiscaux en dehors de l’Union européenne. On peut établir une double règle. Pour les pays qui n’acceptent pas le jeu de la transparence, de la communication d’informations nécessaires à la régulation ou qui érigent l’opacité en principe absolu, tout échange doit être aboli. En revanche, avec ceux qui communiquent les informations demandées, on peut avoir des échanges, mais les personnes et sociétés qui y traitent sont soumises aux lois d’imposition européennes, de sorte à éviter le transfert de domiciliation pour raison fiscale. On peut pratiquer un taux d’imposition compensatoire entre ce qui est pratiqué dans le paradis fiscal et ce qui est demandé dans le pays où s’effectue l’opération ou l’activité, de sorte à rendre l’intérêt d’utiliser le territoire offshore quasiment nul.

13. La levée du secret bancaire. Ce qui permettrait de réaliser pleinement les revendications précédentes, étant donné qu’une partie non négligeable des transactions financières passe par les établissements financiers. De ce point de vue, des sociétés comme Euroclear et Cleartream, créées à l’initiative des banques et des marchés financiers, recueillent les informations nécessaires. La première est située à Bruxelles, l’autre à Luxembourg, c’est-à-dire au coeur de l’Union européenne.

14. L’établissement d’un cadastre des fortunes financières et immobilières en Europe. Dans le but de connaître et faire connaître qui détient quoi et sur quelle base. Ainsi, les familles aisées peuvent être imposées et donner leur écot aux besoins collectifs.

15. La création d’un organisme public de contrôle financier à l’échelle européenne respectant les principes suivants :

c’est l’ensemble des sociétés financières qui sont contrôlées, pas uniquement les banques ;

cet organisme est doté en suffisance de moyens et d’inspecteurs pour mener efficacement de réelles enquêtes ;

les auditeurs sont totalement indépendants des sociétés financières : pas de banquier qui contrôle les banquiers ;

un comité de surveillance dans l’organe public est instauré (comme cela devrait être le cas dans toute société publique), de sorte à vérifier que les missions fixées à celui-ci sont bien remplies ; ce comité devrait être composé de représentants syndicaux et d’associations de citoyens (ou de citoyens pouvant être élus), à nouveau indépendants des sociétés financières.

16. Abrogation de l’indépendance de la Banque centrale européenne. Celle-ci doit retourner sous le contrôle des pouvoirs publics : d’abord de la responsabilité de l’Eurogroupe ; ensuite d’un contrôle citoyen à organiser.

2. Pour une banque publique

Nous revendiquons la création d’une banque publique sur base des actuelles Fortis, Dexia et KBC. Dans le cadre actuel, cela nous semble une revendication essentielle.

Aujourd’hui, la politique du gouvernement belge – mais c’est la même chose aux Etats-Unis, en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne… – est essentiellement de socialiser les pertes. Il prend des parts de capital, parfois sans droit de vote, pour les revendre ensuite, quand une opportunité se présente. Il injecte du capital sans même prendre part à la gestion qu’il laisse au privé. Il affirme le faire au nom des épargnants, mais en réalité c’est la viabilité du système bancaire qui l’inquiète.

C’est pourtant l’occasion d’en revenir à des systèmes de sociétés financières publiques. On assiste à l’effondrement du système bancaire et financier international. On n’a jamais mis autant d’argent et de fonds pour maintenir un malade – un moribond même – sous perfusion.

Pourquoi conserver les équipes dirigeantes en place alors qu’elles ont conduit à l’actuelle catastrophe ? Pourquoi laisser le leadership au privé alors qu’il est responsable des dérives dénoncées par ailleurs ?

Si l’Etat met des capitaux dans les banques, qu’il en prenne la direction et la gestion, qu’il en fasse une institution publique, comme auparavant il y avait la CGER ou le Crédit communal (et d’autres à l’étranger). Certes, la (re)mise sous statut public n’est pas une garantie en soi d’absence de problèmes ou d’excès. Mais, au moins dans ce cas, la spéculation et la participation à toute une série de transactions plus risquées les unes que les autres ne sont pas portées au rang de système, comme c’est le cas depuis une vingtaine d’années avec le privé.

Néanmoins, ce ne serait pas inutile de mettre des garde-fou supplémentaires aux services publics :

priorité des objectifs sociaux dans la définition des missions de l’établissement de crédit ; la rentabilité doit servir à assurer la pérennité de l’activité, non à rémunérer grassement des actionnaires ou des administrateurs ;

pas de mandat dans le privé pour les gestionnaires ; limitation stricte dans le public ; pas de cumul : la direction de la banque est un poste à temps plein ;

rémunérations limitées pour les dirigeants ; pas de parachute doré ;

– pratique des taux d’intérêt bas ou modérés pour les emprunts des particuliers et des petites et moyennes entreprises (parfois inférieurs aux taux du marché) ;

interdiction de participer aux marchés financiers internationaux spéculatifs ;

création d’un département spécial, éventuellement subsidiés, pour les cas sociaux ou difficiles comme les endettés chroniques, les personnes particulièrement dépensières ou celles qui n’ont pas assez de patrimoine ou de garanties pour obtenir des avances alors que socialement elles en ont besoin ;

organisation d’un comité de surveillance constitué des syndicats et d’associations de citoyens et de « clients », ayant un droit de veto sur les décisions stratégiques de la banque.

C’est à ce prix qu’on parviendra à véritablement protéger les déposants et les épargnants. En effet, une telle banque pourrait

être au service des citoyens et de l’économie « réelle » ;

accorder vraiment la garantie publique sur tous les dépôts et livrets d’épargne ainsi que sur les autres aspects de l’activité bancaire ;

pratiquer des taux non usuraires ;

ne pas se jeter dans la spéculation ;

garantir l’emploi avec des contrats à temps plein et à durée indéterminée (sauf exceptions) ;

ne pas devoir rémunérer des actionnaires exigeants ou devoir réaliser un taux minimum de bénéfices.

Pour ce faire, notre proposition est de ne pas indemniser les grands actionnaires, d’accorder le paiement des actions pour les particuliers possédant 5.000 titres au 31 décembre 2007, au cours boursier de ce jour (et qui ne les ont pas vendues avant les chutes boursières). On peut avoir une négociation avec les actionnaires qui ont apporté des capitaux pour essayer de sauver les sociétés par la suite et qui ont perdu leur mise (il s’agit surtout du cas de Fortis). Les filiales étrangères pourraient être cédées. Et si elles se trouvent dans un autre pays européen, elles peuvent servir de base à la création d’une banque publique européenne.

Sur base des données récoltées dans les rapports annuels, on peut établir ce tableau au 31 décembre 2007.

Cours (en euros)

Actions (en unités)

A éliminer (en unités)

Flottant (en unités)

A payer (en milliards d’euros)

KBC

96,20

355.115.321

208.180.166

146.935.155

14.135

Fortis

18,05

2.191.962.000

256.336.636

1.935.625.364

34.938

Dexia

17,22

1.169.609.451

630.493.727

539.115.724

9.284

Total

58.357

Le cours est celui de l’action au 31 décembre 2007. Les actions sont le nombre émis à cette date. On a donc éliminé le capital détenu par des actionnaires institutionnels identifiés. Il reste le flottant, parmi lequel il peut y avoir des actionnaires possédant plus de 5.000 titres ou des sociétés financières que l’on ne rémunérera pas. Le total à payer est donc un montant maximal. Cela représente 58 milliards d’euros, c’est-à-dire pas tellement plus que ce que le gouvernement belge a accordé aux banques pour ne pas prendre la gestion en mains.

Par ailleurs, les banques détiennent une part de la dette publique. Il est possible de renégocier celle-ci d’autant plus facilement qu’elle se trouverait en partie dans les comptes de la banque publique. Il serait absurde de payer des intérêts élevés à une banque qui appartient à la « collectivité ». La dette totale se montait à 337 milliards d’euros fin 2007. Sur ce montant, il y a 27 milliards à court terme, généralement prêté par les banques pour la gestion courante (des certificats de trésorerie). Mais il y a environ 60 milliards détenus à plus long terme. Il serait soit possible d’éliminer une partie de cette dette et ainsi épargner le budget de l’Etat des charges financières plus importantes soit d’abaisser le taux pratiqué.

Notre proposition porte sur la Belgique. Mais elle se pose de la même façon pour la France, où les trois grandes banques (BNP, Société Générale et Crédit Lyonnais – aujourd’hui intégré dans le Crédit Agricole) étaient nationalisées il n’y a pas si longtemps, pour la Grande-Bretagne, où le gouvernement reprend les établissements de crédit à tour de bras, pour l’Allemagne… Et pourquoi pas avoir des banques publiques européennes ? Mais il ne faut pas attendre. On peut commencer en Belgique.

Il faut aussi supprimer les lois européennes sur la concurrence qui à la fois autorise la possibilité d’avoir des entreprises rivales dans le secteur dans les mêmes conditions et interdit les aides publiques. Ces principes sont en contradiction totale avec ce qu’exige la situation sociale.

Les « produits toxiques » doivent être retirés des bilans des sociétés financières et passés en pertes et profits.

Sur ces points qui peuvent augmenter la dette publique (indemnisations partielles, élimination des actifs douteux…), les règles du pacte de stabilité imposant à la fois une dette publique ne dépassant pas les 60% du PIB et un déficit budgétaire de maximum 3% (un excédent dans le cas de la Belgique) doivent être revues. Il doit être possible dans des cas exceptionnels comme lors d’une crise de déroger à ces contraintes.

De la sorte, nous aurions un système bancaire réellement solide et au service de la population. Et les déposants et petits épargnants seraient réellement protégés.

3. Est-ce à la population de payer la crise ?

La crise est d’abord une terrible souffrance pour les populations qui vivent de leur travail. Le risque majeur d’être victime de restructurations ou de faillites est d’autant plus grand et injuste que les salariés ne sont nullement responsables de cette situation.

Avec la diminution des recettes de l’Etat, une autre menace pèse : celle de voir les allocations en tout genre être réduites. Or, un emploi, un salaire, un revenu est ce qui permet au plus grand nombre de vivre. Il faut se poser la question de qui doit payer la récession : les trois millions de familles qui, en Europe, en 2007 selon le World Wealth Report disposent d’une fortune financière cumulée de 10.600 milliards de dollars (soit environ 7.250 milliards d’euros) [14] ou les quelque 500 millions de personnes qui peuplent l’Union et qui vivent (ou ont vécu) sur base de leur travail ? Sans compter les cinq milliards de personnes qui vivent dans le tiers-monde, dont près d’un milliard est sous-alimenté, plus de 800 millions manquent d’eau potable…

Attac estime qu’il faut développer un programme en faveur des salariés, chômeurs, pensionnés et autres personnes vivant d’allocations sociales. Pour cela, il propose :

1. L’arrêt des contrats de flexibilité, à commencer dans la fonction publique. Les temporaires et autres types de statut plus ou moins précaire sont les premiers à être licenciés et à devoir rechercher sans fin un emploi qui n’existe plus.

2. La réduction du temps de travail de façon importante (32 heures par exemple), sans perte de salaire, sans flexibilité et avec embauches compensatoires. La flexibilité est une forme de diminution du temps de travail mais aux frais du salarié. Réalisons une vraie réduction pour tous et payée par ceux qui en ont les moyens.

3. La protection et le renforcement de la sécurité sociale actuelle. Les allocations de chômage doivent être perçues indéfiniment (sans limite de temps). Les autres indemnités doivent permettre aux gens de vivre lorsqu’il s’agit d’un revenu de remplacement. Lors d’une crise, moins encore que toute autre période, la perte d’un emploi n’est la responsabilité du salarié. Ce n’est pas à lui d’en porter les conséquences financières.

4. L’interruption de la chasse aux chômeurs à travers les politiques d’activation. Ce système a pour but d’élever le nombre des demandeurs d’emploi par poste, d’en éliminer certains des allocations et in fine d’abaisser les salaires. Cette politique inique doit être terminée maintenant où de toute façon les emplois se réduisent drastiquement. Le demandeur d’emploi ne doit pas être forcé à signer un contrat de recherche d’un poste qui n’existe plus.

5. La suppression des fonds de pension privés et l’intégration des capitaux dans les caisses publiques de retraite. Les chutes boursières affectant les fonds privés montrent que le financement des pensions de cette manière est dangereux et risqué. Celui-ci dépend, en outre, de décision de restructurations qui amènent le licenciement de certains travailleurs et la réduction des salaires pour d’autres.

6. La hausse des salaires pour tenir compte des élévations des prix énergétiques et alimentaires (ou immobiliers). Les gens, surtout les plus pauvres, ont le sentiment justifié d’avoir perdu du pouvoir d’achat ou du revenu réel, parce que des produits qui leur sont indispensables se sont renchéris. Ils revendiquent des hausses salariales et le maintien de leur pouvoir d’achat. Attac les soutient dans cette demande. Nous demandons également que les salaires soient adaptés à un véritable index, incorporant les produits en fonction de leur utilisation par les ménages et non à un index lissé qui enlève certains produits aux prix volatiles comme l’essence.

7. La mise en place d’un salaire minimum partout en Europe. Ce salaire devrait être égal à 50% du salaire moyen ou à 60% du revenu national par habitant, le montant le plus élevé des deux. Cette disposition permettrait d’assurer à tous un salaire permettant de vivre décemment. En même temps, le revenu minimum devrait être instauré à 40% du revenu national. Personne ne devrait avoir moins.

8. Le développement de services publics (et donc l’arrêt des privatisations en cours). Le service public est un moyen de rendre accessible et disponible des biens et des services pour tous de façon uniforme, indépendamment du niveau de fortune et de la zone géographique habitée. Ce pourquoi le « marché » s’est avéré complètement incompétent. Attac propose d’accorder un monopole public dans les domaines stratégiques suivants, parce que la concurrence privée est ou serait dommageable pour le plus grand nombre : énergie, transport, poste, télécoms, enseignement et formation, santé, eau. Ces services publics devraient être gérés de façon similaire à ce qu’on propose pour la banque publique : pas de mandat dans le privé pour les gestionnaires ; comité de surveillance composé de syndicats et de citoyens…

9. La gestion publique du logement. Il y a à la fois un manque d’habitations à un prix accessible et des augmentations des loyers, pour toute une série de raison. Il est difficile de proposer que tous les immeubles soient propriétés des pouvoirs publics. En revanche, on peut demander une gestion publique pour que des logements décents et non insalubres soient à la disposition de tous. Le développement des SDF doit cesser. C’est indigne d’une société soi-disant développée. Le droit au logement doit être un droit fondamental.

10. Un impôt de 2% sur le patrimoine financier et immobilier des plus fortunés. Toute personne disposant d’avoirs dépassant un million d’euros devrait être soumise à cet impôt. Cela permettrait de financer le maintien d’emplois en temps de crise et le développement des services publics nécessaires au bien-être du plus grand nombre. Cet impôt devrait être généralisé en Europe. Il faut qu’il porte sur le capital, parce qu’en temps de crise c’est ce qui restera de plus stable chez les gens aisés. En revanche, les revenus ou les plus-values boursières, à part pour quelques charognards, risquent de baisser fortement.

11. Un système fiscal plus équitable. Il faut accomplir une réforme fiscale à l’envers : rétablir les taux marginaux sur les revenus les plus élevés, augmenter le niveau où l’on ne paie pas d’impôt et assurer une progressivité plus grande et plus lente des taux, avec indexations des barèmes ; enfin, globaliser les revenus, c’est-à-dire cumuler les revenus du travail et du capital et ne pas exonérer ceux-ci du fait de la retenue à la source. Il faut taxer les plus-values boursières et immobilières. Et l’impôt des sociétés doit être ramené à 40% (de préférence partout en Europe). Il faut également supprimer les avantages fiscaux consentis aux sociétés, non seulement les fameux intérêts notionnels ou l’abaissement des « contributions patronales à la sécurité sociale », mais des avantages moins visibles comme les véhicules de société. Il convient de limiter les taxes indirectes à taux fixes comme la TVA.

4. Pour une autre société

Attac est une organisation pluraliste, accueillant en son sein des militants et des citoyens de divers horizons. Il n’est pas question pour elle de préciser et de détailler les orientations fondamentales de la société idéale du futur.

Attac peut seulement dire à ce stade qu’il faut changer radicalement par rapport à la société actuelle basée sur la rentabilité, la compétitivité, la croissance à tout prix, la marchandisation de tout, l’inégalité et les injustices, les richesses disproportionnées entre le Nord et le Sud, l’élitisme, etc.

Attac est partisan d’une société égalitaire, solidaire, pacifique, tolérante, écologique, démocratique, bref aux antipodes de ce qui existe et se construit aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. Pour cela, elle appelle les citoyens à se mobiliser, participer et lutter pour la société de demain.

A eux de choisir parmi les alternatives globales celles qui leur conviennent. Attac est favorable à ce que ces débats se mènent sur une base sereine et ouverte.

Par ses propositions concrètes, il est clair qu’elle se rapproche des orientations suivantes :

1. Un développement économique fondé sur des services publics permettant d’offrir aux populations des biens et des services de façon accessible et non discriminatoire.

2. La suppression de tous les avantages ou passe-droit accordés sur base de la fortune. L’élimination de tout ce qui permet de développer une société à deux vitesses.

3. Un développement qualitatif au Nord comme au Sud, fondé sur les besoins des gens, à commencer par le niveau le plus fondamental (manger, boire, se loger, se vêtir, se soigner…), qui doit être garanti pour tous.

4. Un développement respectueux de l’environnement, des limites en ressources naturelles, des milieux naturels et des générations futures.

5. Le droit de chaque peuple à définir et construire son propre modèle de développement (ou modèle de société).

6. Une consommation qui, tout en garantissant l’épanouissement individuel, s’appuie sur des biens et services collectifs, traditionnellement plus économes en ressources.

7. Une vraie société de la connaissance à laquelle tout le monde doit pouvoir avoir accès.

8. Une démocratie où la participation de tous est réellement assurée.

A côté de cela, il convient de débattre, d’imaginer et d’expérimenter des pistes de sortie du système capitaliste.

Notes

[1] La part de la consommation dans le PIB (produit intérieur brut qui estime la richesse marchande créée en un an dans un pays) passe aux Etats-Unis de 62% en 1981 à plus de 70% à partir de 2002. En comparaison, la consommation en Europe et au Japon reste aux alentours de 57% du PIB.

[2] De 1979 à 2005, les revenus en termes réels (compte tenu de l’inflation, c’est-à-dire la hausse des prix et donc la dévalorisation de la monnaie) des 90% les plus « pauvres » de la population américaine ont stagné. En revanche, ceux du pour-cent le plus « riche » ont été multipliés par 2,5 environ.

[3] La dette des particuliers aux Etats-Unis dépasse les 100% du PIB en 2007 : les ménages américains ont déjà dépensé ce qu’ils doivent produire l’année prochaine.

[4] Aux Etats-Unis, on peut mettre en gage des actions pour obtenir un prêt.

[5] On peut estimer à 28% la contribution de la consommation des ménages américains et de ce qu’elle induit, à savoir les importations étrangères avec la croissance que celles-ci génèrent dans les pays d’Asie et d’Amérique latine, sur la croissance du PIB mondial de 1980 à 2006.

[6] Le caractère fictif peut être illustré par l’endettement croissant, puisque le crédit est un emprunt sur le futur, pouvant hypothéquer l‘avenir. C’est une création d’un revenu qui n’existe pas encore, mais qui apparaît subitement permettant de stimuler une consommation et, de ce fait, une production. Pas de problème. Néanmoins, si cette dette augmente fortement (la dette américaine passe de 40% du PIB en 1970 à 50% en 1980, 71% en 2000 et plus de 100% en 2007), ce n’est plus une mesure temporaire permettant de résoudre un problème d’adéquation entre des besoins immédiats (l’achat d’une maison, d’une voiture…) et un manque de liquidités. C’est un dispositif structurel qui compense un manque récurrent de revenus. Mais le caractère artificiel est toujours présent. L’illusion disparaît quand le créancier (banque, société financière…) s’inquiète de l’ampleur de la dette par rapport aux revenus effectifs et de ce qu’il pourrait ne pas être remboursé. Exigeant davantage de garanties ou un remboursement immédiat ou raccourcissant les échéances, il provoque alors l’interruption de l’approvisionnement en liquidités. D’où la crise.

[7] Les Etats-Unis ont un déficit commercial de 800 milliards de dollars par an. Pour éviter une chute du dollar, il faut que 800 milliards de capitaux étrangers viennent outre-Atlantique, sous forme d’investissements, de placements ou d’achats de bons du Trésor, compenser cette sortie d’argent.

[8] Le hedge fund est un fonds dont les capitaux proviennent d’investisseurs privés fortunés (il y a un capital minimum important) ou d’autres fonds (fonds de pension, fonds de placement…) et qui pratique comme activité principale l’arbitrage (hedge en anglais), c’est-à-dire l’évaluation sur les marchés financiers des différences de cours entre les produits les plus divers (titres, matières premières, devises…), de sorte à en tirer avantage. Ce sont surtout des opérations de court terme et elles peuvent être financées largement par l’emprunt.

[9] Le private equity fund est un fonds dont les capitaux proviennent aussi d’investisseurs privés fortunés (bien que maintenant certains comme Blackstone soient cotés en Bourse : donc capital « public », compris ici comme disséminés parmi les investisseurs les plus divers). Mais l’activité principale consiste à racheter des firmes (éventuellement à l’aide d’emprunts bancaires), à les restructurer et à les revendre le plus cher possible en entier ou par parties pour générer le maximum de bénéfices.

[10] La titrisation consiste à transformer un contrat d’assurances ou un crédit en un titre qui s’achète et se vend sur un marché financier.

[11] Un produit dérivé est un avoir financier spéculatif. Il se crée à partir d’un autre actif (titre, indice, monnaie, matières premières…), appelé sous-jacent, en jouant soit sur la variation de cours à deux moments différents (futures ou options : acheter le droit d’acquérir une action à tel prix à telle date, par exemple), soit sur l’échange d’avantages obtenus sur des marchés différents (swaps : une banque américaine et une autre européenne s’échangent les taux d’intérêts qu’elles peuvent obtenir sur leur marché national, par exemple).

[12] Les montants en jeu sur les produits dérivés de gré à gré grimpent de 47.500 milliards de dollars en mars 1995 à 100.000 milliards en juin 2001 et à 684.000 milliards en juin 2008 (chiffres de la BRI, « OTC derivatives market activity in the first half of 2008 », novembre 2008 et années précédentes pour les chiffres antérieurs). En comparaison, le PIB mondial est passé de 26.600 milliards de dollars en 1994 à 31.800 milliards en 2000 et 54.300 milliards en 2007 (chiffres du FMI).

[13] On ne peut pas les interdire simplement, car certains peuvent s’avérer nécessaires. Un bilan d’entreprise (ou de banque) comprend deux parties : tout ce que la firme possède ou tout ce qu’elle utilise à un moment donné (ses « actifs ») ; tout ce qu’elle doit soit à elle-même (fonds propres) ou à des tiers (dettes), soit son « passif ». C’est une situation à un instant donné (par exemple, le 31 décembre 2008), une photographie. Un engagement hors bilan est un service ou un bien qui doit être fourni à une date ultérieure de celle à laquelle le bilan est tiré. Il n’est donc ni un actif, ni un passif, puisque l’argent n’a pas encore été déboursé (dans le cas des produits dérivés, il ne le sera peut-être ou sans doute jamais). Mais c’est important de comptabiliser cela quelque part. Le problème est qu’une entreprise réalise globalement un bénéfice au bout d’un an (ou un trimestre) quand ses actifs excèdent son passif. Situation apparemment saine ! Mais si la firme doit dépenser trois mois plus tard une somme colossale à cause de ses engagements hors bilan, sa présentation comptable est trompeuse : elle est potentiellement en faillite. Et l’illusion est encore plus grande avec les produits dérivés qui ne sont peut-être jamais payés… sauf quand tout le monde veut des liquidités.

[14] CapGemini & Merrill Lynch, World Wealth Report, 2008, p.3 : World Wealth Report 2008.


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