Des enseignants payés pour ne rien faire ?
Un titre en une du Soir du mercredi 24 septembre : « Près d’un prof sur dix est rémunéré sans élève devant lui ». Comment ? Quoi ? Quel est ce nouveau scandale ?
Comme souvent le titre, accrocheur, sans être factuellement inexact, peut induire une première réaction qui ne sera corrigée qu’en lisant l’article, consacré ici aux enseignants qui ne sont pas en classe du tout: les détachés dans des cabinets politiques ou des associations, les malades de longue durée ou en « temps partiel thérapeutique ».
Une double page détaille ces vocations parallèles, les différentes missions pour lesquelles il est souvent essentiel que la personne détachée connaisse bien, de l’intérieur, le métier d’enseignant, et ces cas, de plus en plus nombreux, où les enseignants se retrouvent incapables d’assurer leurs cours pour cause de maladies.
Marchés financiers et comité d’experts
Mais Madame Degryse, ministre-présidente de la FWB, est soucieuse. Dès le printemps elle a demandé à un groupe d’une dizaine d’« experts », présidé par le CEO de Dexia (oui, ça existe encore) de dégager des pistes d’économie. Parce que, voyez-vous, nous devons à tout prix éviter que la note de la Fédération soit dégradée et que les marchés financiers refusent d’encore la financer.
…Mais attendez, là, depuis quand et pourquoi le financement de la culture et de l’enseignement dépend-il des marches financiers, c’est-à-dire de l’endettement ? N’y a-t-il rien à examiner dans l’architecture budgétaire ? Les recettes de la Communauté dépendent à 99 % du fédéral.
Laissons cela pour l’instant. Sur papier, les solutions proposées par ces experts sont des plus simples, mais humainement, et budgétairement par ricochet, elles se révèlent désastreuses. Que suggèrent-ils ? D’ajouter deux périodes aux horaires, de mettre un terme aux aménagements de fin de carrière, de limiter le nombre d’enseignants en détachement pour mission…
Charge réelle
Or on sait, ou on ne sait pas suffisamment, que pour chaque heure de cours, un enseignant passe au moins une autre heure, souvent davantage, à la préparer, à corriger des travaux, voire à organiser une activité extra-scolaire. De même, leurs « longues vacances » sont en grande partie consacrées à des préparations, dont celles des examens « de repêchage ». Les enseignants travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles. Il est donc bien compréhensible qu’ils soient heureux du pas de côté que leur offre une mission ponctuelle, et qu’au bout du rouleau, ils aspirent à une fin de carrière allégée. Mais non, c’est tripalium jusqu’à la lie. Le résultat est prévisible : comme dans le domaine des soins de santé, où des restrictions sont aussi annoncées, la pénurie d’enseignants va s’aggraver.
Car en effet, cette pénurie existe déjà. La profession n’attire plus. Il existe bien un plan de revalorisation du métier, sur plusieurs années, avec une réforme des formations initiales, qui ne pourra se faire sans refinancement.
Sous-financement structurel
Ah, le financement de la Communauté. Il est reconnu de longue date comme un sous-financement chronique, tout en étant considéré comme intouchable et inamovible. La sacralisée Réforme de l’État, qui l’a mis en place, prend ici les allures d’un mauvais film, L’État belge contre l’École francophone.
L’enseignement, les soins de santé, la culture, la question environnementale devraient être des priorités budgétaires. Puisque nos impôts et cotisations vont au fédéral, c’est là aussi que doit se jouer l’arbitrage. Là aussi l’argent manque, nous dit-on (sauf pour l’armement…) ? Mais la réponse est connue et répétée depuis plus de trente ans : imposition progressive sur des revenus globalisés, taxe sur toutes les transactions financières, renforcement de la lutte contre toutes les formes de fraude et d’évasion fiscale, fin des cadeaux fiscaux pour les grandes entreprises, impôt sur les très grosses fortunes… Autant de mesures fiscales simples à mettre en œuvre, mais à l’opposé des orientations budgétaires des gouvernements actuels.


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