Crédit image d’illustration : Adobe Stock sur Canopea.be
Contribution extérieure de Martin Neve, économiste chez canopea.be
Une des missions centrales de l’Etat est de travailler, via la fiscalité et l’impôt, à une certaine redistribution des ressources entre les citoyens afin de lisser les disparités de revenus. En prévoyant de plafonner les cotisations patronales pour les très hauts salaires et en prévoyant des exemptions en nombre sur la taxation des plus-values, le gouvernement Arizona fait sensiblement l’inverse. En temps de situation budgétaire tendue, ce cadeau fiscal aux grandes entreprises et aux personnes les plus nanties est particulièrement difficile à entendre pour nombre de nos concitoyens.
Selon la grande enquête sur l’opinion des Belges [PDF – Université d’Anvers / ULB] à propos du gouvernement Arizona, un élément ressort d’emblée auprès de l’opinion publique : 58% de l’échantillon estime que le travail de ce gouvernement avantagera les citoyens les plus riches, tandis que 55% estiment que, par ses réformes, le gouvernement désavantagera surtout les citoyens les plus pauvres (les chômeurs suivent de près avec 54%) !
Il semblerait que l’opinion publique ne se soit pas trompée tant certains ministres, dans leur travail journalier, renforcent ce constat. Le ministre de l’Emploi, par exemple, avec sa traque aux chômeurs et aux malades de longue durée ou à son obsession sur la flexibilité des travailleurs. Le ministre des Finances, ensuite, avec ses réformes qui visent à faire des économies sur le dos des pensionnés, des chômeurs (encore eux…) et des fonctionnaires.
Le gouvernement des 1% les plus riches ?
Loin de s’arrêter à une attaque en règle sur les plus pauvres, le gouvernement a décidé de choyer les plus nantis du pays. Ainsi, à partir de juillet 2025, le gouvernement Arizona a décidé que les cotisations patronales seront plafonnées sur les très hauts salaires. Concrètement, au-delà de 340.000 euros de salaire brut par an (et 270.000 euros à partir de 2027), les plus hauts salaires et les entreprises ne contribueraient plus au financement de la sécurité sociale. Ce cadeau fiscal ne concernera que 1.500 personnes dans le pays, les 0.01% les mieux payés de la population, pour un coût estimé entre 65 millions et 150 millions d’euros par an à charge de la collectivité. Officiellement, les réformes visent à « rester attractif pour les talents » et à « récompenser le travail » …
Sans oublier que la « contribution des épaules les plus larges » promise par le gouvernement (la taxation des plus-values qui est de mise dans la plupart des pays voisins européens mais pas en Belgique) est encore loin d’atterrir et reste dans le flou le plus intense. Les partis de la coalition gouvernementale rivalisent d’ingéniosité pour proposer des exemptions qui visent à « protéger la classe moyenne ». A ce rythme-là, étant donné les positions de chacun, difficile d’imaginer que cette contribution soit mise en place dans les délais promis et surtout qu’elle atteigne les montants inscrits au budget de l’Etat ! Comble de l’indignation, dans sa dernière version, le gouvernement semble même avoir trouvé l’idée géniale de faire de cette contribution un impôt régressif, soit un impôt qui touche moins les épaules les plus larges que celles des plus petits épargnants (voir chronique de Paul De Grauwe sur le sujet).
Le contraire, donc, de la mission de redistribution des revenus qui est attendue d’un gouvernement. Des cadeaux fiscaux pour les plus nantis. Pas grave, la Belgique est déjà un des pays les plus égalitaires au niveau de l’UE ? Pas si vite ! Cette rengaine est plus qu’éculée ! Si elle se vérifie pour les revenus du travail, elle l’est beaucoup moins pour les égalités de patrimoine et des revenus qui en découlent. La preuve avec les derniers chiffres des inégalités publiés par la Banque Nationale de Belgique ou certains universitaires belges : Les 1% les plus riches en Belgique payent deux fois moins d’impôt que la moyenne des Belges. Et ces 1% les plus riches possèdent aujourd’hui autant de richesses que les 75% de Belges les moins riches réunis. Or, ces 1% les plus riches sont ceux qui bénéficient de façon disproportionnée des cadeaux fiscaux du gouvernement. Notre système fiscal repose sur une injustice flagrante : les revenus du capital contribuent bien moins au bien-être commun que les revenus du travail ! Et l’Arizona ne semble pas vouloir profiter du Momentum pour corriger le tir.
En vérité, ces réformes tentent de nourrir un mythe depuis longtemps éculé : celui selon lequel alléger les contributions des plus privilégiés profiterait à toute la société. En réalité, ce sont les contributions qui sont effectivement payées par les plus privilégiés qui profitent à toute la société, pas celles qu’ils ne payent pas. Car moins les riches contribuent, plus le modèle social belge s’affaiblit et plus le poids de son financement est porté exclusivement par les citoyens ordinaires.
Le financement de notre modèle social en danger ?
Diminuer les contributions des plus hauts salaires ou réduire les contributions des détenteurs de capital, c’est autant d’argent en moins pour financer les pensions, les allocations familiales, les congés parentaux ou encore le remboursement des soins de santé. Un financement qui devra donc reposer sur les épaules des citoyens de la classe moyenne, ceux-là mêmes que le gouvernement prétend vouloir protéger. Parce que oui, il ne faut pas oublier non plus que la Belgique prévoit un déficit public de 25 milliards d’euros d’ici la fin de l’année. Or, pour rappel, le gouvernement s’est accordé sur le fait de remettre nos finances à flot, histoire d’éviter un scénario à la grecque… Enfin, ça c’était pour les belles promesses, les prévisions sont bien moins optimistes selon la Cour des Comptes et la Banque Nationale de Belgique.
Il ne reste donc plus qu’à faire des économies ailleurs. Sur le dos des chômeurs, des pensionnés, des fonctionnaires, … Mais aussi et surtout sur les services publics ! Désinvestir dans les transports en commun (les plus hauts revenus bénéficient de toute façon généralement de voitures de société…), dans les soins de santé, la culture ou l’éducation (promotion d’un système privé à l’américaine avec des accès différenciés ?) ou dans la protection de l’environnement et la préservation d’une planète vivable pour les générations futures (de toute façon, les Chinois et les Américains ne bougeront pas …) ? Il s’agit là de choix politiques bien plus que de contraintes imposées par une situation budgétaire qui impose une cure d’austérité. Cure d’austérité qui, rappelons-le, autorise cependant des cadeaux aux plus nantis.
Le gouvernement semble s’entêter dans une voie : il est nécessaire de protéger et choyer les entrepreneurs et les créateurs de richesse qui font pleuvoir tous leurs bienfaits sur la société. Le mythe de la théorie du ruissellement, donc, qui oublie encore et toujours que la création de richesse de ces dernières décennies ne s’est pas traduite dans une réduction des inégalités. Les plus nantis ne seraient-ils intéressés que par un maintien de leurs privilèges et un allègement fiscal conséquent ? Ou seraient-ils également motivés par le fait de vivre dans une société où la pauvreté recule, les soins de santé sont de qualité tout comme le système éducatif, les transports publics sont largement accessibles et efficaces, … ? Il ne faut pas oublier non plus que, s’ils sont arrivés tout en haut de la pyramide des revenus, les plus nantis le doivent en grande partie à la société dans laquelle ils ont grandi et qui, justement, leur a permis de se développer dans une certaine sécurité, avec un système social et de santé qui les a protégés, des écoles qui les ont formés, … Contribuer à la pérennité de cette société, dès lors, ne doit plus être vu comme une charge mais comme un juste retour.
Malheureusement, de jour en jour, le gouvernement montre à quel point sa politique est faible avec les forts et forte avec les faibles. Et ce, au mépris de l’équité, de l’efficacité économique, et surtout de la confiance collective en un projet de société qui rassemble les gens. Il est pourtant encore temps de faire un choix différent : un impôt juste, une sécurité sociale robuste, et une économie où le mérite ne se mesure pas uniquement à la taille du portefeuille.
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Post scriptum:
Voir aussi notre billet invité de Julien Desiderio, Fort avec les faibles, faible avec les forts : l’Arizona abandonne la justice fiscale
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