[Illustration : wikimedia.org]
Le prisme colonial
Plus que pour d’autres questions peut-être, la résonance historique du drame qui se joue à Gaza ne paraît pas séparable de ce qu’il agite et révèle dans le champ des affiliations multiples propre aux consciences d’où qu’elles soient.
Examiner « d’où l’on parle » est un critère pertinent pour juger de tout discours, opinion ou analyse : l’hégémonie culturelle dans laquelle le locuteur s’inscrit, en accord ou en dissidence variable, la position de classe et ses intérêts, la lignée philosophique ou religieuse, les marques de l’Histoire locale, nationale, voire continentale, les aléas de l’histoire personnelle…
L’ahurissante et actuelle colonisation de la Palestine par Israël (Plus jamais ça !, disait-on), génocidaire comme le furent nombre de colonisations du passé, exercée par ce pays « en direct » à notre époque connectée, réactive brutalement l’histoire coloniale mondiale, souvent génocidaire elle aussi et toujours active mentalement et économiquement, telle que l’Occident aime à se la raconter entre euphémisation, banalisation, déni, ignorance cultivée.
Une première fracture très générale divise ainsi les opinions publiques, les médias et les gouvernements des pays qui furent colonisateurs, de celles et ceux des pays qui furent colonisés.
Parmi ces derniers, des gouvernements apparaissent cependant en porte-à-faux avec leurs populations, très notablement dans les pays arabes où les pouvoirs avaient trouvé bon de passer la question palestinienne par pertes et profits, dans une normalisation ou glaciation de leurs rapports avec Israël, bien ancienne en Egypte (1979) et en Jordanie (1994), plus récente au Maroc en 2021 et au Soudan en 2020, ces derniers sur le modèle des accords dits d’Abraham (ancêtre supposé commun aux Arabes et aux Juifs) signés en 2020 par les Émirats arabes unis et Bahreïn.
Comment expliquer en effet l’ébullition irlandaise du spectre politique quant à Gaza, de la droite aux gauches de gauche, sinon par le fait que l’Irlande n’a non seulement jamais colonisé, mais au contraire a connu la colonisation par son voisin anglais pendant huit siècles et ce jusqu’au début du XXe ? La plupart des pays occidentaux furent colonisateurs ou sont des colonies de peuplement devenues indépendantes, en général fondées sur un ou plusieurs génocides. Même dans l’apparente pacifique Nouvelle-Zélande, les Māoris ont perdu 50 % de leur population entre 1840 et 1891.
Tout aussi ahurissante, et qui fera date, est la passivité mêlée de complicité au génocide (oui !) (1) à Gaza par des gouvernements occidentaux qui ne manquent pas de moyens de pression entre livraisons d’armes et accords commerciaux préférentiels. Les éléments qui précèdent sont largement explicatifs : reconnaître le génocide à Gaza implique de raviver la mémoire des génocides commis par les pays colonisateurs. Pour nos amis belges : 10 millions de morts africaines au Congo du seul Léopold II selon Adam Hochschild, auteur du classique et tardif (1998) Les fantômes du roi Léopold – Un holocauste oublié (traduit par Marie-Claude Elsen et Franl Straschitz). Et pour nos voisins néerlandais : les vains efforts de leur gouvernement pour prolonger la colonisation en Indonésie coûtèrent près de 300.000 vies entre 1945 et 1949 : le récent Revolusi de David Van Reybrouck traite de cette période.
Mais ne soyons pas chiches : la guerre israélienne en Palestine divise aussi les familles, les amis, les collègues, les voisins, les partis, les institutions, les associations, …comme toute question historique conflictuelle qui mûrit.
- Amnesty International a présenté le 5 décembre 2024 une enquête de 200 pages concluant à un génocide en cours à Gaza, présentée en français sous les mots « Le génocide n’est plus une crainte, une opinion : c’est un fait. », et on ne compte plus les ONG, politologues, historiens ou auteurs, dont des Israéliens en exil ou pas, qui en sont à la même conclusion.
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