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Typhanie Afschrift

[Illustration : Ted Eytan CC. 4.0 International]

Bonjour,

Connaissez-vous Typhanie Afschrift? À 71 ans, elle vient de mourir après une crise cardiaque et la chute consécutive qui l’ont menée au coma.
La grande presse a parlé d’elle en 2022 quand elle a rendu publique sa transition de genre. Née Thierry, elle a été père et est devenue Typhanie à l’âge mûr.

Les transgenres sont une énigme indéchiffrable par la philosophie ou par la psychanalyse, ils et elles représentent une part du réel réfractaire à notre culture occidentale gréco-rationaliste, acceptée en toute simplicité comme une réalité par un certain nombre, ou un nombre certain, de cultures humaines.
Il y a des peuples premiers nord-américains où ces humains sont très respectés et considérés comme les meilleurs éducateurs de l’enfance. En Thaïlande, des toilettes « Hommes », « Femmes », et « Autres » sont attestées depuis au moins les années 1970. Les Bugis d’Indonésie reconnaissent cinq sexes, tandis que les anthropologues se disputent sur les qualifications pertinentes à donner aux catégories ni-homme/ni-femme rencontrées dans des sociétés américaines, océaniennes ou asiatiques.
Et ainsi de suite.

Revenons à la Belge Typhanie Afschrift. Elle est un exemple, un modèle dans certains cercles sociaux très conservateurs, de la transition de genre. Cette avocate fiscaliste internationale, inscrite aux barreaux de Luxembourg, Genève, Madrid, Hong Kong, Bruxelles et Anvers, était aussi une libertarienne qui a consacré ses talents, qui sont grands, au service de la richesse et des inégalités, une ennemie de l’État social qui serait cause de toutes difficultés économiques en Europe. Mais en tant qu’être humain, elle a longtemps été malheureuse comme se sentant femme dans un corps d’homme, un destin qui n’est pas plus choisi que celui des hétéro- ou homosexuels quels qu’ils et elles soient. Vous êtes un hétérosexuel « dans la masse », un homme cisgenre comme « iels » disent? Vous ne l’avez en rien choisi.

Réfléchissez donc, les genrés suprémacistes des deux sexes, et fichez la paix à celles et ceux qui ne sont pas comme vous. Pourquoi tant de haine? Seule une peur in-nommable fonde votre refus.

Notons que si les polémiques du genre ne nuisent pas au taux de profit, le capitalisme peut accepter sans sourciller une évolution qu’il nomme « culturelle ». Mais si sa crise le mène au fascisme, sans sourciller davantage il s’alignera. « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie », disait Bertolt Brecht, « mais son évolution en temps de crise ».

Au vrai, les hétéros intégristes des deux genres sont des hétérophobes: ils et elles haïssent, et craignent, la différence.

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P.S.

Dans l’article du Soir consacré au décès de Typhanie Afschrift, lectrices et lecteurs pourront apprécier quelques variations dans les hommages.

Laudateur et fier de se déclarer son ami, Amid Faljaoui, qui a longtemps représenté la chronique économiste de la radio de service public (?) francophone belge, s’est affirmé au fil des années comme un doctrinaire néo-libéral de plus en plus militant. Il déclare dans cet article :

C’est une de ces nouvelles qui vous saisissent à la gorge (…). Une de celles qui, en quelques mots, suspendent le temps, parce qu’elles bouleversent à la fois la raison et le cœur. Typhanie Afschrift nous a quittés. Et avec elle s’éteint une voix rare, singulière, profondément libre.

De son côté, l’ex-juge d’instruction et romancier Michel Claise, récemment entré en politique chez DéFI, un autre de ses amis :

Elle avait un côté humaniste, une vision de la société où elle montrait son attachement total à l’Homme avec un ‘grand H’.

Bruno Colmant, économiste et gestionnaire de fortune, salue quant à lui

une femme de conviction, une libertarienne qui se donnait un droit de sécession avec l’Etat. Elle estimait que le fisc belge calcifiait l’esprit d’entreprise et paralysait l’économie.

5 réponses à “Typhanie Afschrift”

  1. Avatar de Christine Pagnoulle
    Christine Pagnoulle

    Typhanie Afschrift illustre peut-être l’ambiguïté de nos réactions, qui sont pourtant claires, mais dissociées. Nous combattons la fiscaliste qui cherche toutes les ficelles permettant de flouer le SPF Finances (donc l’État, donc les contribuables ordinaires).
    Nous soutenons la démarche de changement de sexe.
    Mais ce désir de changer de genre n’est-il pas lui-même conditionné par un regard clivant, propre à notre société ? Sommes-nous d’ailleurs « gréco-rationalistes » ? Y avait-il, dans l’Antiquité, une société grecque, ou des sociétés diverses, selon les cités ? Bon, c’est une autre question, mais il me semble qu’Athènes était bien moins rigide.

  2. Avatar de Guy Leboutte

    > Mais ce désir de changer de genre n’est-il pas lui-même conditionné par un regard clivant, propre à notre société ?

    (Pourquoi « clivant »?)

    C’est ici que l’anthropologie et l’histoire sont intéressantes. Des humains de tous lieux et époques ne se reconnaissent pas dans la binarité masculin-féminin, et des sociétés reconnaissent ce fait. Elles ont donc donné dans leurs institutions symboliques et/ou réelles une place à ces cas non majoritaires.
    « Changer de genre » est propre à notre civilisation, où la chirurgie et les connaissances scientifiques et techniques du corps humain permettent de modifier un corps de femme en corps d’homme ou inversement, et d’opérer ce que l’on a appelé la transition de genre, ce qui n’existe ou n’existait pas dans les civilisations ou cultures observées par ailleurs.

    Si l’on veut être critique ou questionneur : la transition de genre est propre à nos sociétés, où s’applique la formule « Nous pouvons le faire, donc nous le faisons ». L’Occident, disait Levinas en écho, mène à son extrémité toute force dont il dispose.

    Le désir de changer de genre quant à lui, a dans notre culture une possibilité de réalisation, et dès lors d’existence, ce qui ouvre la porte à un questionnement bien sûr, mais est l’horizon de nos contemporain(ne)s, les personnes concernées pouvant choisir ou refuser la transition, tandis que dans d’autres cultures, la reconnaissance de la transidentité mène à une position, voire à des fonctions, dans le corps social, sans modifier le corps individuel.

    Tout cela est assez vertigineux, et quand notre civilisation s’effondrera, comme toute civilisation le fait un jour, on ne sait ce qu’il en restera. En attendant, la transition de genre existe pour nous, comme la parentalité homosexuelle et d’autres sujets connexes.
    Et disons tout de suite que si se produisait un jour la parthénogenèse, ou conception par une femme sans recours à des gamètes masculins, elle ne donnerait par définition naissance qu’à des filles, et qu’aucune Marie n’enfantera dans ce cadre d’un garçon.

    1. Avatar de Christine Pagnoulle
      Christine Pagnoulle

      ‘clivant’ – c’est vrai, désormais il y a place pour des ‘non-binaires’, mais cette appellation elle-même renvoie à un classement binaire, homme ou femme, et donc si l’une ou l’autre naît dans un corps / avec un sexe qui ne lui convient pas, iel – s’iel en a les moyens ! – va changer de sexe, comme tu dis ‘parce que c’est possible’. Dans ce cas, il me semble plus épanouissant, source de moins de souffrance, de devenir qui on est, sur le spectre de toutes les nuances du féminin et du masculin, comme nous l’expliquait un remarquable auteur cri (Cree en anglais), Tomson Highway (qui écrit surtout, mais uniquement en anglais, mais est d’abord un locuteur de sa langue maternelle).

    1. Avatar de Guy Leboutte

      Merci pour l’article de pour.press qu’il faut lire.

      Pour ce qui est de Tomson Highway, si son propos s’attache à dessiner un ordre socio-culturel désirable, il me paraît raisonnable. Mais s’il s’agit de recommander aujourd’hui, dans le monde tel qu’il est, des lignes de conduite à des gens dont nous ne vivons pas l’équation existentielle si problématique, c’est une autre affaire : contester l’ordre capitaliste ne fait pas de nous des directeurs de conscience. Les sociétés où l’on a relevé une acceptation bienveillante de la transidentité sont ou étaient des sociétés en équilibre, ce qui n’est pas tout à fait notre cas.

      La légalité est en évolution, tributaire d’un cadre général inégalitaire et de solutions technoscientifiques propres à un monde de l’illimitation (qui a sans doute commencé sa fin), proposant des réponses non accessibles à toustes, etc. Que faire d’autre que donner une place centrale à la parole des transgenres dans ce débat.

      Et ils ont déjà des porte-paroles éminents comme Paul B. Preciado en France, très loin de Typhanie Afschrift. On attend une contribution marxiste des transsexuels. :))

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