Plusieurs facteurs permettent de savoir ce que mangeaient nos ancêtres : l’étude des traces d’usure en forme de stries sur les dents, si elles sont verticales et longues, elles indiquent une alimentation à base de viande, si elles sont horizontales une alimentation plus végétale. La composition chimique des dents permet aussi de déterminer le type d’aliment en fonction des éléments trouvés, et la forme des dents donne aussi des indications.
La première espèce considérée comme humaine est Homo habilis qui apparaît en Ethiopie vers -2,3 millions d’années. Il sait manier les outils et est probablement omnivore : il mange des plantes, des tubercules, des graines, des racines, des insectes et parfois d’autres animaux mais il a sans doute été plus charognard que chasseur, les recherches ne sont pas unanimes à ce sujet. (Certains outils retrouvés suggèrent cependant une capacité de chasse.)
Au même moment apparaît Homo Ergaster, l’homme artisan, au Kenya. Il bénéficie d’aliments ayant une grande valeur nutritionnelle (diminuant la quantité à ingérer et l’énergie à dépenser pour les digérer i) ce qui permet à ses intestins de diminuer de taille et au cerveau de se développer grâce à l’énergie disponible.
Vers -1.7 millions d’années Homo erectus supplante habilis et est le premier hominidé à migrerii hors d’Afrique. Il se déplace vers l’Asie et vers l’Europe. Pour le paléoantropologue Michel Brunet, « Historiquement nous sommes tous des africains et ce sont des représentants de l’espèce Homo erectus qui ont été les premiers migrants et se sont déployés en Eurasie »iii.
Erectus est chasseur-cueilleur et commence à manger plus de viande. Pour faciliter la mastication de la viande il crée des outils bifaces qui lui permettent de l’écraser. Ce régime alimentaire réduit la taille de ses dents, le visage s’affine ce qui peut avoir favorisé l’émergence d’autres capacités comme le langage selon l’étude de Katherine Zink et Daniel Lieberman.iv Il y a un million d’années, Homo erectus arrive en Chine et rencontre une céréale l’Oryza rufipogon, qui deviendra le riz.
La question de la domestication du feu reste très controversée. Alors que certains la situent vers -550 000 à Zhoukoudian en Chine avec la découverte des restes d’un foyer allumé par « l’homme de Pékin »v, d’autres comme l’anthropologue et primatologue Richard Wrangham avance que nos ancêtres ont commencé à contrôler le feu et à cuire leur nourriture il y a 1.8 millions d’années, soit un million d’années avant ce qu’estiment la plupart de ses collègues.vi Il affirme que c’est la cuisson qui nous a rendu humains et a permis l’émergence d’Homo Sapiens.
Quoi qu’il en soit, la découverte du feu constitue un bouleversement majeur car les aliments deviennent plus facilement assimilables ce qui permet d’augmenter la quantité d’énergie disponible pour le cerveauvii, les viandes sont plus faciles à manger, certains végétaux toxiques auparavant deviennent comestibles car en portant les aliments à haute température la cuisson détruit des éléments pathogènes, la cuisson, notamment des tubercules riches en amidon, des végétaux riches en fibres et de la viande, les rend plus digestes et bien plus énergétiques. Enfin, la cuisson améliore en outre la biodisponibilité de nombreux nutriments bénéfiques pour l’organisme (lycopène de la tomate, bêtacarotène de la carotte, etc.)viii
Pendant des centaines de milliers d’années le régime alimentaire était très diversifié, nous mangions ce que nous trouvions comme animaux petits et grands, fruits, végétaux, graines…La découverte du feu a élargi nos horizons en permettant de cuire des animaux quand les végétaux manquaient, et l’énergie supplémentaire permettait d’aller plus loin chercher de la nourriture.
Qui allait à la chasse ?
Depuis que les savoirs académiques se sont (légèrement) éloignés du patriarcat, de nombreuses études sont venues remettre en question l’idée selon laquelle les hommes chassaient et les femmes faisaient la cueillette. De nombreuses recherchent attestent que ce n’était pas le cas : les femmes chassaient aussi. Il est même probable que les femmes rapportaient plus de calories que les hommes. D’après Linda Owen, « si les femmes de l’âge de glace ramassaient des plantes, des œufs d’oiseaux, des coquillages et des insectes comestibles ; et si elles chassaient ou prenaient au piège du petit gibier et participaient à la chasse au gros gibier elles contribuaient probablement à 70% des calories consommées ».ix
La découverte du feu a modifié l’alimentation mais a aussi contribué à une évolution des rapports sociaux à mesure que l’on s’approchait d’une autre période qui a révolutionné l’histoire : la sédentarisation au néolithique…A suivre…
i Jacques Attali, Histoires de l’alimentation, Fayard, 2019
ii https://www.mnhn.fr/fr/pourquoi-la-cuisson-rend-elle-les-aliments-plus-energetiques-est-ce-vrai-pour-tous-les-aliments
iii Michel Brunet, Un bouquet d’ancêtres, CNRS 2021
iv Katherine D. Zink et Daniel E. Liebermann, ‘Impact of meat and Lower Palaeolithic food processing techniques on chewing in humans’, Nature 9 mars 2016, https://www.nature.com/articles/nature16990
v Attali, op. cit..
vi Catching Fire: How Cooking Made Us Human, Profile Books, 2009
vii Attali, op.cit.
viii https://www.mnhn.fr/fr/pourquoi-la-cuisson-rend-elle-les-aliments-plus-energetiques-est-ce-vrai-pour-tous-les-aliments
ix Linda R.Owen, Distorting the Past ; Gender and Division of Labor in the European Upper Paleolitic, Kerns Verlag, Nov. 2005
Laisser un commentaire