par Josiane Marquet / Christine Pagnoulle 

Le monde déconnecté de l’interconnexion généralisée

Daniel Cohen nous rappelle que les mouvements libertaires, violemment antisystème des années 1960-70 se sont fondus dans la révolution libérale incarnée par Margareth Thatcher et Ronald Reagan : il fallait diminuer l’influence de tous les corps intermédiaires tels les syndicats et créer la compétition de tous contre tous. Aujourd’hui, la révolution numérique, qui s’appuie sur l’Intelligence artificielle, s’inscrit dans un même objectif : réduire les coûts que génèrent les déplacements sur le lieu de travail et les interactions en face à face, y compris dans les relations de service et jusqu’aux relations amoureuses. 

Il s’agit d’une révolution civilisationnelle. De plus en plus, l’homme laisse la place à l’I A pour prendre les décisions : puisque l’I A peut déjà reconnaitre l’ « humain » à son facies mais mieux encore à l’intonation de sa voix, pourquoi ne pas lui laisser l’initiative d’embaucher untel plutôt qu’un autre, classer les émigrés sur des critères reconnus par elle,… Les juges eux-mêmes, après avoir encodé toutes les données d’un procès, risquent d’être dépassés en précision et en vitesse par un algorithme. 

Après un très rapide aperçu de différentes formes d’organisation sociale, l’auteur conclut que le numérique donne la possibilité d’une société horizontale et laïque. Mais il s’agit d’une horizontalité de strates imperméables les unes aux autres et d’un appauvrissement de l’imaginaire dans ces croyances polarisées favorisées par les réseaux ‘sociaux’. Le capitalisme s’en sert pour exacerber la compétition, encourager le travail solitaire des pseudo-auto-entrepreneurs ainsi que le télétravail. En amenant les citoyens à faire eux-mêmes ce qu’exécutaient des employés et en automatisant des tâches, le système peut également procéder à des licenciements. 

L’isolement des individus, qui est paradoxalement renforcé par l’omniprésence des réseaux sociaux, mène à une perte de sens, à un sentiment d’abandon, ce qui entraîne dépressions et suicides et explique l’émergence et le renforcement de partis identitaires, prétendument antisystème. 

Une partie de l’ouvrage est consacrée à la menace (en cours de concrétisation) que représentent le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Curieusement, Cohen ne mentionne pas les quantités faramineuses d’énergie que requiert le recours généralisé au numérique.

Dans sa conclusion, il veut croire en un véritable brassage social au sein des universités et en la possibilité de politiques inclusives et de politiciens intègres. C’est ce qui s’appelle l’optimisme de la volonté. 

Daniel Cohen, Homo numerus : La “civilisation” qui vient, Albin Michel, 2022


  • Publié : 1 an ago on 8 février 2023
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  • Dernière modification : février 8, 2023 @ 12:08 pm
  • Catégorie : Livres

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