[Une analyse de Michel VERBIEST]

La Belgique est reconnue comme un état démocratique par comparaison avec d’autres pays soumis aux dictatures. Mais ce label de qualité démocratique traduit-il vraiment la réalité de notre fonctionnement politique ?

Partie 1 : Les citoyens désabusés

Les gens ne se reconnaissent plus dans ceux qui sont censé les représenter et dans les décisions prises par les dirigeants politiques. Les majorités qui se mettent en place pour gouverner sont de moins en moins l’image du résultat des élections. Cette distorsion répétée de scrutin en scrutin démobilise toujours plus de citoyens. A tel point que le parti réellement majoritaire est devenu celui des abstentionnistes. Tout aussi grave, cette situation en arrive à décourager ceux qui auraient vocation à s’engager sincèrement en politique. Et quand les dégoûtés s’en vont, …

Comment en sommes-nous arrivés là ?

1. Le scrutin proportionnel

Ce mode de scrutin rend pratiquement impossible la constitution d’une majorité par un seul parti. Les alliances obligées exigent des compromis qui amènent chaque parti concerné à laisser tomber une part de son programme. C’est normal.

Cela devient malsain quand le compromis devient compromission, quand un parti est prêt à abandonner ses valeurs fondamentales pour rester au pouvoir ou y accéder. Alors, l’électeur se sent bafoué, méprisé. Il devient un décrocheur électoral.

2. La particratie

A l’issue des élections, ce sont les présidents de parti qui négocient la formation des futures majorités. Ensuite, ils procèdent au casting des éventuels membres des exécutifs et des chefs de groupe au sein des assemblées législatives. Ils dictent les grandes lignes politiques à suivre. Les chefs de groupe des assemblées n’ont plus qu’à informer leurs collègues (parlementaires, conseillers provinciaux ou communaux) des instructions de votes. Ceux-ci, qui sont en fait les vrais élus directs, sont pratiquement réduits au rang de presse-boutons, les récalcitrants courant le risque d’une exclusion. Il est assez symptomatique de constater que, pour les votes relatifs à certaines questions éthiques, les parlementaires ont la liberté de s’exprimer en âme et conscience. Que peut-on en déduire quand il s’agit d’autres questions ?

Ce mode de fonctionnement s’appelle la discipline de parti. Elle peut se comprendre quand les prises de position sont décidées démocratiquement au sein de chaque parti. Mais quand une seule personne en arrive à détenir les pleins pouvoirs et à les imposer à tous, il y a danger. Or, c’est de plus en plus souvent le cas.

3. La perméabilité entre les mondes politique et financier

Nous voyons de plus en plus de personnalités politiques rejoindre le milieu des affaires, particulièrement au sein des banques, en descendant de charge. Et tout autant de dirigeants du monde financier occuper des fonctions politiques en tant qu’élus ou non, leur expertise étant censée les exempter de demander l’avis des citoyens.

On ne peut s’empêcher, au regard de ces aimables échanges, de se poser des questions quant aux réglementations permettant d’alléchantes opérations d’optimisation fiscale, peu éthiques, certes, mais parfaitement légales. Mais évitons de sombrer dans le populisme, cette manie indécente des classes populaires de crier à l’injustice à tout propos. Au fond, tout le monde a le droit d’utiliser l’optimisation fiscale : puisqu’elle est légale, ce n’est pas un privilège. Et si la fraude sociale est plus pourchassée que la fraude fiscale, c’est tout bonnement parce qu’on ne peut chasser plusieurs lièvres à la fois et qu’il faut prioriser les gibiers les plus visibles.

4. Les intrications partis – syndicats

Nous y reviendrons dans le chapitre suivant (L’indispensable indépendance syndicale). Cela dit, on se souviendra qu’une des raisons évoquées pour expliquer le mouvement des Gilets jaunes est la disparition progressive de l’action réelle des corps intermédiaires structurés (particulièrement, les pouvoirs législatifs aux différents niveaux politiques d’une part, et les syndicats, d’autre part). Les syndicats sont la seule organisation où les travailleurs peuvent être à la fois décideurs et acteurs de leurs décisions pourvu qu’ils fonctionnent démocratiquement. Ils sont la force des citoyens dans le combat pour la justice sociale. Le néolibéralisme l’a bien compris en s’attaquant au droit de grève et en cherchant à rendre impopulaires les actions de revendication.

5. Les calculs électoralistes

A peine une élection se termine-t-elle (ce qui ne signifie pas la constitution rapide d’une majorité, on l’aura remarqué) qu’il est déjà question de la suivante, peu après, à un autre niveau. Et les niveaux ne manquent pas : fédéral, communautaire et régional, provincial et communal, qui dit mieux ?

Dès lors, il n’est pas toujours facile de jouer pleinement un rôle dans l’opposition parce qu’il ne faut pas fermer les portes à de possibles futures alliances dans un univers où les ennemis d’aujourd’hui peuvent être les amis de demain (et vice-versa, bien entendu).

6. Attentisme et incompétence

Nous passerons sous silence la façon dont la crise sanitaire COVID aura été gérée par une classe politique aussi surpeuplée qu’inefficace et cacophonique. Accordons-lui la circonstance atténuante (pour eux, mais exténuante pour les citoyens) de l’immédiateté des réponses à apporter sans pouvoir présager des effets qu’auront les décisions prises.

Mais penchons-nous plutôt sur des situations qui se sont étalées sur des décennies sans trouver de solution positive. La fin du charbon puis de l’acier ont été traitées de façon lamentable, sans vraie stratégie de reconversion économique. Et en 2020, nous retrouvons le même scénario avec la sortie du nucléaire, programmée depuis 2003, et des questions sans réponse réelle sur l’avenir énergétique du pays. La Belgique, les Pays-Bas autruchiens ?

Devant cet engluement du politique à l’égard des problèmes essentiels, les citoyens ont tendance à se tourner vers les organisations non-gouvernementales qui proposent de réaliser ce que les politiques sont censés faire. Au début des années 2000, l’historien Tony Judt relevait déjà cette désaffection des citoyens à l’égard de la chose politique pour laquelle ils ne se faisaient plus d’illusions. Il craignait que leur engagement, par compensation, dans des organismes extra-politiques n’accélère le divorce entre la classe politique et les citoyens.

7. Le carriérisme politique

En principe, la politique n’est pas – ou, tout au moins, ne devrait pas être – un métier. C’est un contrat à durée déterminée entre un élu et les électeurs. A l’issue de ce mandat (voir éventuellement d’un second en cas d’évaluation satisfaisante), il serait normal que l’élu retourne à ses occupations professionnelles précédentes (encore faudrait-il qu’il en ait).

Nous sommes bien loin de ce scénario. Il n’est pas rare de voir des gens exercer des activités politiques durant des décennies, parfois même jusqu’à atteindre l’état de zombies cacochymes. Ces indéboulonnables passent au travers de tous les obstacles. N’obtiennent-ils que peu de voix aux élections ? Pas grave, ils continueront à faire partie de la troupe. Pire, ont-ils des démêlés judiciaires qu’une immunité salvatrice suivie de reports allant jusqu’à la prescription rendent risibles ? Peu importe. D’élection en élection, ils reviennent, la bouche en cœur, briguer un nouveau poste, parés de l’innocente candeur du nouveau-né.

8. Quand la politique devient une affaire de famille dérivant vers le népotisme

Bien sûr, il est fréquent que les membres d’une même famille exercent des professions relevant de domaines semblables. Mais, une fois encore, la politique n’est pas un métier. Si au carriérisme s’ajoute le népotisme, nous risquons bien, dans une ou deux générations, de ne plus voter pour des partis politiques mais pour des noms de famille. Cela fera peut-être l’affaire des humoristes. On imagine la scène :

Séance à la Chambre des Députés : « Monsieur le Président, Cher Tonton, je m’insurge contre les insinuations de l’opposition qui prétend que je suis ministre, avec l’appui de notre papa, pour remplacer mon frère appelé à d’autres fonctions à l’Europe».

Bien sûr, ce serait cocasse. Mais qu’en serait-il de la démocratie ?

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Partie 2 : L’indispensable indépendance syndicale

L’essence même du syndicat est la défense inconditionnelle des travailleurs qui y sont affiliés. Pour cette raison, il n’est pas possible qu’une organisation syndicale soit inféodée à un parti politique quel qu’il soit. C’est d’autant plus vrai dans un pays où le scrutin proportionnel débouche, dans la plupart des cas et aux différents niveaux de pouvoir, sur des majorités formées par des coalitions multipartites. Celles-ci exigent des compromis de la part des partis coalisés.

Or, la totalité des revendications des travailleurs n’est déjà que très rarement rencontrée lors de la concertation sociale patronat – syndicats. L’obligation de se conformer en plus aux compromis politiques acceptés par le parti auquel le syndicat se serait trop étroitement associé ne ferait qu’ajouter un deuxième filtre aux revendications des travailleurs.

Tony Blair a présidé le New Labour de 1994 à 2007 en Grande-Bretagne. Devenu Premier ministre en 1997, il a imposé son concept de « troisième voie », le blairisme, qui « conduit à la constitution d’une social-démocratie domestiquée, complice du capitalisme financier », pour reprendre les mots de Philippe Marlière (La social-démocratie domestiquée, la voie blairiste, Éditions ADEN, Bruxelles, 2008).

Pour développer ce modèle politique, notamment caractérisé par la privatisation de nombreuses entreprises publiques, Blair a dû s’appuyer sur le soutien des syndicats. Il projetait même d’orienter ceux-ci vers une troisième voie, le New Unionism, qui aurait été le pendant syndical du New Labour politique. Mais les relations entre Blair et les syndicats se sont détériorées et cette tentative a avorté.

En Belgique, à partir du début des années 2000, le P.S. s’est engagé sur la voie blairiste. De nombreux secteurs d’activités précédemment aux mains des pouvoirs publics ont été confiés à des entreprises publiques autonomes : poste, transports en commun, audiovisuel, etc. Et, plus récemment, l’enseignement. Ces entreprises hybrides fonctionnent sur deux plans. Elles offrent, pour la plupart, un service de base relativement accessible au plus grand nombre. C’est leur côté service public. Pour le côté service privé, elles proposent des avantages supplémentaires qui augmentent la facture du client. Placées de plus en plus souvent dans un contexte concurrentiel avec des entreprises privées développant des activités similaires, les entreprises publiques autonomes sont entraînées dans la logique de l’économie de marché : compétitivité, réduction des coûts de fonctionnement, management entrepreneurial.

Ces entreprises, dont la gestion est confiée à des dirigeants aux pratiques comparables à celles du privé, sont souvent placées sous l’autorité directe d’un conseil d’administration. La tutelle ministérielle est souvent plus éloignée. On se souviendra de la colère de Charles Michel qui n’avait pas été averti du plan managérial de Proximus et auquel la C.E.O. de l’époque, Dominique Leroy, avait répondu qu’il n’avait pas le droit d’être informé plus vite que les actionnaires privés.

Les entreprises publiques autonomes étant partiellement financées par les pouvoirs publics, ceux-ci sont représentés au sein des conseils d’administration par des élus des différents partis selon une clé de répartition. On y retrouve ainsi des mandataires socialistes (du moins, PS). Ils se retrouvent de fait dans une situation de patrons. Il arrive que certaines décisions auxquelles ils ont pris part soient contraires aux intérêts des travailleurs. Cela a conduit à des affrontements durs entre parti et syndicat.

Peu à peu, une stratégie d’entrisme s’est mise en place pour émousser le combat des travailleurs. Les relations PS – syndicat sont devenues de plus en plus perméables. (par exemple, des responsables syndicaux deviennent mandataires politiques pour terminer leur carrière). L’alliance occasionnelle parti-syndicat qui aurait pu se concrétiser, de manière naturelle dans le cadre de l’action commune portée par une revendication partagée, s’est peu à peu transformée en une espèce de collusion structurelle. L’objectif étant, de plus en plus souvent, de contenir les revendications plutôt que de les soutenir. Les responsables syndicaux, entraînés dans cette spirale, ont progressivement adopté une attitude de dirigeants coupés de leur base et non de représentants de celle-ci.

Cette dérive syndicale, venue se greffer sur l’affaiblissement grave du rôle du Parlement, a supprimé dangereusement les relais institutionnels démocratiques. Ce n’est pas un hasard si cette situation a engendré l’émergence de mouvements populaires, expressions d’une colère devant un manque de reconnaissance de la réalité vécue par des citoyens de plus en plus nombreux.

Or, les travailleurs ont un besoin vital d’une gauche politique et syndicale forte pour remettre en cause l’ultra-capitalisme arrivé au summum de son absurdité.

Après vingt ans de blairisme belge, nous voyons arriver quasi simultanément deux responsables à la tête du PS et de la FGTB. Ils ont des atouts pour faire changer les choses. Ils sont manifestement compétents et ont bonne presse devant une majorité de l’opinion. Il est possible, et même très probable, que les deux hommes s’estiment et manifestent une sympathie réciproque. Pourquoi pas, après tout ?

Pourvu que chacun n’oublie pas quelle est sa place.

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Partie 3 : Les discours démobilisateurs

Les arguments des néolibéraux… mais pas seulement.

Les revendications portées par une grande majorité de citoyens, à savoir une économie soucieuse des gens, une politique sociale solidaire, une justice fiscale, une répartition équitable du financement des politiques publiques, un respect de l’environnement, toutes ces revendications, qui pourtant devraient constituer le fondement d’une réelle démocratie, se heurtent à un argumentaire néo-libéral simpliste et répétitif. Simpliste et répétitif, certes, mais fichtrement efficace à défaut d’être intellectuellement solide. Passons en revue quelques-unes de ces ficelles utilisées comme de vraies armes de conviction.

Ficelle 1 : Les effets pervers des revendications

Vous voulez taxer les grosses fortunes. Elles vont s’en aller ailleurs. Ah bon. Mais pourquoi vouloir garder à tout prix des gens qui font tout pour échapper à un impôt équitable ? Des gens qui préfèrent se délester de leur devoir contributif à la société en les transférant aux autres.

Vous voulez faire payer plus les entreprises. Elles vont délocaliser. Il suffit d’ouvrir les yeux pour constater que les entreprises n’ont pas besoin de cela pour aller voir ailleurs. Même quand elles réalisent des bénéfices substantiels. Même quand l’État leur fait des cadeaux extraordinaires sans même oser demander une contrepartie.

Ficelle 2 : L’inanité des revendications

Faire payer les riches ? Mais, mes pauvres amis, cela ne rapporterait qu’une goutte d’eau. Vous vous réfugiez derrière de grands principes inutiles pour un résultat dérisoire. Le classement du magazine FORBES nous présente des gens qui possèdent des fortunes évaluées en centaines de milliards. Sans atteindre ces couches stratosphériques, la Belgique voit constamment son nombre de millionnaires augmenter (particulièrement durant les périodes de crise). On se demande à quel taux tous ces nantis seraient taxés pour que cela ne représente quasiment rien.

Et quand bien même ce ne serait qu’une question de principes. Ne serait-il pas normal que tous les citoyens soient égaux devant l’impôt ? Imaginerait-on que les contribuables écrivent au fisc que, pour les quelques centaines d’euros qu’ils ont à payer, cela ne vaut pas la peine de venir les embêter ?

Ficelle 3 : Légalité n’est pas moralité

Selon l’avocat spécialiste en fiscalité : « Ce que fait mon client n’est peut-être pas moral à vos yeux mais c’est parfaitement légal ». Il a raison dans l’absolu. L’optimisation fiscale repose sur un arsenal de législations (donc de règles établies par les élus, garants de la démocratie) permettant d’éluder au maximum l’impôt. Il suffit pour cela d’être riche et de bénéficier des conseils d’un bon avocat fiscaliste. Celui-ci expliquera qu’il faut bien distinguer fraude et optimisation. Mais si cela est vrai, pourquoi réduit-on systématiquement le contingent des agents du fisc chargés de traquer la fraude ? Que pourraient-ils donc découvrir de tellement répréhensible si tout cela est légal ? A moins que l’on nous réponde que c’est parce qu’il n’y a justement rien à trouver que l’on n’a pas besoin de tant de personnel. Les Panama papers et autres Frauduloland links n’étant, comme nous le savons tous, qu’une légende urbaine.

Ficelle 4 : Le passéisme des revendications, la ringardise des syndicats

La société a changé. Les clivages gauche-droite sont d’un autre âge. Les syndicats prennent les citoyens en otages pour des combats d’arrière-garde. Nous sommes tous sur un même bateau. La richesse de quelques-uns ruissellera sur tous. On en aurait la larme à l’œil de tant de sollicitude. Nous sommes peut-être dans le même bateau sauf que certains sont dans des cabines de luxe pendant que le plus grand nombre est assis aux bancs des rameurs.

Il est d’ailleurs bizarre que les néo-conservateurs de l’ultra-capitalisme reprochent aux syndicats leur passéisme alors qu’eux-mêmes font tout pour retourner à l’Ancien Régime et au servage, imposant ainsi un recul social de plus de deux siècles. Mais sans doute ne faut-il pas confondre le passéisme vulgaire de la plèbe avec la noble nostalgie de nos élites aristocratiques.

Ficelle 5 : L’amalgame avec des régimes totalitaires se revendiquant du communisme

Au fond, ce que les gauchistes veulent, c’est une dictature à la Staline, à la Mao. Des millions de morts, le goulag, une économie planifiée complètement déjantée.

Bref, la demande d’une société plus juste serait une menace contre les malheureux citoyens. On s’effraie déjà à la perspective de dangereux fous sanguinaires faisant subir à ces victimes d’une gauche anthropophage les affres de décisions aberrantes les condamnant à la misère, à la peur, au désespoir.

Évidemment, ces fabricants de cauchemars passent sous silence les dérapages bancaires, la gestion catastrophique des entreprises (pourtant harmonieusement guidées par la main invisible du marché), les pertes d’emplois, le stress permanent des travailleurs, les suicides, l’augmentation de la misère. Bref, la déliquescence d’un système ultra-capitaliste en pleine errance. Assez curieusement, ces gens ont des livres d’histoire largement documentés sur les exactions des régimes se réclamant d’un communisme qu’ils ont largement dévoyé.

Mais ces livres ne contiennent aucun chapitre relatif à Franco, Pinochet, Videla, ni aux charmants et débonnaires colonels grecs. Des détails de l’histoire, assurément.

Et si tous ces arguments-ficelles ne fonctionnent pas ?

Il peut arriver que le chantre du néo-libéralisme se heurte à l’obstination d’un contradicteur. A court d’arguments, il n’a plus qu’une issue : l’arme fatale. Celle qui doit réduire définitivement au silence l’impudent qui ose s’opposer : il est POPULISTE, honte à lui !

Notez qu’au sens premier (au plan sémantique et non historique), le populisme est une attitude politique consistant à se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa résistance aux divers torts qui lui sont faits. Au fond, ce n’est pas si mal et l’on souhaiterait que les politiciens qui se revendiquent de la démocratie et de la justice sociale adoptent cette attitude. Mais il a fallu que le terme soit détourné de son sens pour désigner un comportement moins louable pour lesquels d’autres mots existaient déjà : démagogie, poujadisme.

Quoi qu’il en soit, il est bien pratique de taxer un interlocuteur de populisme pour couper court à toute discussion et éluder toute question embarrassante.

On se souviendra d’une émission au cours de laquelle Pascal VREBOS (R.T.L.) interviewait Peter TIMMERMANS (administrateur délégué de la F.E.B.). On ne peut pas dire que Pascal VREBOS soit un révolutionnaire d’un rare extrémisme. Il eut cependant l’outrecuidance de poser deux questions indécentes aux oreilles du patron des patrons : « Trouvez-vous normales les sommes colossales que gagnent certains patrons et actionnaires en regard des salaires des travailleurs ? » et « Est-il acceptable de fermer ou délocaliser des entreprises qui font pourtant des bénéfices, uniquement pour accroître les dividendes des actionnaires ? ». Manifestement, TIMMERMANS ne s’attendait pas à ces questions impertinentes (et dans un studio R.T.L., qui plus est !). Il eut alors cette répartie toute dégoulinante de mépris : « Je ne répondrai pas à cela. Ce n’est que du populisme. » Et passez muscade.

Des arguments-ficelles qui ne sont pas l’apanage de la droite néo-libérale

Au fond, faut-il en vouloir aux partisans de l’ultra-capitalisme et de l’idéologie libérale d’utiliser ces arguments-ficelles ? Après tout, ils défendent comme ils le peuvent des idées dont ils sont parfaitement conscients qu’elles sont peu défendables moralement. Mais tous les moyens sont bons, y compris la malhonnêteté intellectuelle.

En revanche, il est infiniment plus troublant d’entendre des gens qui se réclament de la gauche et du socialisme recourir aux mêmes subterfuges.

Comme l’écrit Chantal Mouffe : “…les partis de gauche sont responsables pour une grande part de cette reddition devant l’hégémonie néolibérale. Ils ont accepté l’idée qu’il n’y avait pas d’alternative à la globalisation néolibérale, que tout ce qu’ils pouvaient faire quand ils viendraient au pouvoir serait de conduire, disons “plus humainement”, l’ordre créé par le néolibéralisme, par exemple avec un peu plus de redistribution. Et sans mettre en question l’hégémonie qu’avait établie le néolibéralisme.”


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