Déclaration commune des ATTAC Europe Covid-19 

21 propositions du réseau des ATTAC Europe

Le réseau des ATTAC Europe invite toutes les organisations, tous les mouvements et les militant·e·s à participer à nos débats et à nos actions dans le cadre de la crise multiple liée au Covid19 : comment pouvons-nous empêcher de terribles dégâts sociaux et des atteintes à nos droits démocratiques ?  Comment rendre possible le passage à un autre système, basé sur la solidarité sociale et le respect de l’environnement, pour remplacer le système capitaliste néolibéral ? Nos universités d’été (si elles peuvent avoir lieu en 2020) et l’Université d’été européenne en août 2021 en Allemagne seront autant d’étapes importantes dans cette réflexion urgente.

Le Covid-19 est une maladie virale qui s’est déclarée en Chine. Elle s’est désormais propagée à toute la planète grâce à l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement et aux importants mouvements de population qu’entraîne le tourisme mondial. Toutes les régions du monde sont touchées mais les réactions à cette crise sanitaire varient d’un pays à l’autre. Certains gouvernements ont réagi rapidement alors que d’autres sont restés trop longtemps dans un optimisme béat, sans doute par crainte des conséquences économiques. Les mesures prises varient elles aussi selon les territoires. 

La crise financière de 2008, l’aggravation de la crise climatique et environnementale et la pandémie actuelle de coronavirus nous montrent qu’il s’agit d’une évolution qui fait boule de neige. Le désastre qui en découle représente une menace pour l’humanité dans son ensemble. Ces crises sont la preuve que le système néolibéral est inadapté, tant pour le présent que pour l’avenir. 

Le réseau des ATTAC Europe exige que soient prises les 21 mesures suivantes afin de lutter contre la pandémie de Covid-19 et la crise politique et économique qu’elle a déclenchée.

En ce qui concerne les services publics, qui sont la richesse de ceux qui n’ont rien :

1. Un plan d’urgence pour la santé publique accessible à toutes et tous

Des politiques austéritaires et une logique de profit ont entraîné des coupes dans les dépenses publiques, avec comme conséquence un manque de personnel hospitalier, des carences dans l’équipement, et donc l’incapacité des structures hospitalières à faire face aux nombres de patient·e·s infecté·e·s. Des investissements dans les services publics, et celui des soins en particulier, sont bien la façon dont nos sociétés peuvent s’assurer contre le risque de crises sanitaires extraordinaires – qui pourraient bien s’avérer ne pas être tellement extraordinaires dans les années qui viennent. Les principes d’efficacité économique à court-terme (comme le taux d’occupation maximale des lits) et la gestion des stocks à flux tendu ne peuvent en aucun cas s’appliquer au secteur de la santé. Cette approche néolibérale tue dans des circonstances normales, elle tue encore davantage dans la situation présente. Des soignant·e·s doivent être recruté·e·s en masse et leurs salaires doivent être augmentés. Il faut ouvrir des dizaines de milliers de lits dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Des équipements médicaux doivent être achetés de manière proactive, et produits localement. Il en va de même pour les médicaments ; les grands conglomérats privés de l’industrie pharmaceutique doivent être démantelés et tout brevet sur des vaccins ou médicaments vitaux doit être interdit. 

2. Une recherche publique de qualité 

La santé et la vie humaine doivent passer avant les profits. Il nous faut basculer d’une logique à court-terme à une recherche publique de qualité sur le long-terme si nous voulons être capables de faire face à la prochaine crise sanitaire. Il faut financer la recherche de façon à prévenir des catastrophes sanitaires et à mettre au point les vaccins nécessaires. Des emplois publics doivent être créés dans les universités et centres de recherche, et les fonds nécessaires à mener des recherches dans de bonnes conditions doivent être alloués.

En ce qui concerne la sauvegarde et l’extension de la démocratie :

3. Respect absolu du droit du travail

À l’instar du gouvernement italien, les gouvernements européens doivent convoquer les syndicats pour atteindre des accords collectifs relatifs aux secteurs qui doivent être mis à l’arrêt et ceux qui doivent poursuivre leur activité pour assurer les besoins de base de la population. En attendant un tel accord, les travailleurs·ses doivent faire valoir leur droit de retrait si ils et elles considèrent que les mesures de protection sont insuffisantes. De plus, il ne faut pas que les mesures d’urgence comprennent des régressions en termes de droits économiques et sociaux comme une augmentation du temps de travail.

4. Respect absolu des droits fondamentaux

La crise sanitaire ne peut justifier des mesures qui portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Le respect de la vie privée doit être garanti et les gouvernements se doivent d’être transparents dans leurs prises de décision. Toutes les mesures prises dans un contexte d’urgence doivent être prises dans le but de satisfaire les besoins de toutes et tous et doivent être strictement limitées dans le temps. Nous devons résister à la tentation de la surveillance électronique. La mise en œuvre du confinement ne peut justifier l’utilisation de la force contre les plus vulnérables (les sans-abris et les migrant·e·s).

5. Nos droits civiques doivent être préservés et étendus après la crise 

Les mesures de confinement actuelles ne peuvent pas aboutir à une restriction de nos droits civiques. Après la crise ils doivent au contraire être étendus à la sphère économique afin de décider comment nous voulons vivre et ce que nous voulons produire.

Il est scandaleux qu’Amazon ait pu continuer ses activités alors que les commerces et petites entreprises étaient obligés de fermer. Nous devons mettre un terme à l’impunité des multinationales et répudier les traités dits de libre-échange de dernière génération, et en particulier les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États.

En ce qui concerne l’égalité et la protection des plus vulnérables

6. Garantie de revenus pour tous les travailleur·se·s, avec ou sans emploi, les indépendant·e·s, les petites entreprises et les artistes / intermittent·e·s du spectacle 

La crise du Covid-19 va porter un coup dur à nos économies.  Il va falloir prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher une crise sociale. Tout licenciement doit être interdit et un revenu minimum doit être garanti pour tou·te·s. Les gouvernements devront aider les entreprises qui ont des difficultés de trésorerie (les indépendant·e·s, les petites et moyennes entreprises) et leur permettre de faire face à des horaires réduits ou un arrêt complet de leur activité. Cependant, les aides apportées à des entreprises privées ne peuvent se faire que sous la forme d’un prêt ou d’une participation au capital. 

7. Réquisition immédiate de tous les logements vides

Personne ne doit avoir à se plier aux mesures de confinement dans un logement insalubre ou pire, à la rue. La réquisition de logements vides est depuis toujours une de nos revendications, elle est plus urgente que jamais. Dans le même temps, il faut introduire un moratoire sur le paiement des loyers.

8. Protection des personnes exposées à la violence domestique 

Le confinement, surtout lorsque les logements sont petits, met les personnes confinées en stress continu, ce qui favorise des dépressions mais est aussi bien souvent une source de violences, que subissent le plus souvent enfants et femmes. Dès maintenant il est nécessaire d’y remédier. Protéger contre les violences est essentiel. Des enfants et des femmes sont déjà mort·e·s. La capacité d’accueil des abris et centres doit être augmentée, les possibilités de relogement facilitées.

9. Soutien aux jeunes 

Les retards scolaires détectés par les enseignants doivent être résolus immédiatement par un soutien personnel, en faisant appel à celles et ceux qui sont actuellement sans emploi, comme les artistes, qui doivent être correctement payé·e·s, et en fournissant du matériel informatique et d’autres fournitures nécessaires en ces temps de confinement.

10. Permis de séjour pour les sans-papiers

Les migrant·e·s dont les droits fondamentaux sont bafoués sous prétexte qu’ils sont en séjour illégal ne sont pas en position de respecter les mesures sanitaires. Voilà qui est inacceptable. La décision prise par le gouvernement portugais démontre que l’octroi massif de permis de séjour est possible. Tous les gouvernements devraient s’en inspirer pour s’assurer que chacune et chacun, peu importe sa nationalité, peut prendre les mesures nécessaires à sa protection. Les centres et camps de réfugié·e·s doivent être immédiatement fermés ; à l’instar des touristes, les migrant·e·s devraient être conduit·e·s dans les villes d’Europe qui ont promis de les accueillir (‘villes hospitalières’).

En ce qui concerne la justice fiscale

11. Un système fiscal équitable

La pandémie de Covid-19 montre que nos sociétés ont grand besoin de services publics de qualité. Cela a un prix. Il faut donc repenser notre système fiscal pour que les riches contribuent en fonction de leur fortune. Les cadeaux fiscaux de ces dernières décennies doivent être annulés et le niveau de l’imposition doit redevenir véritablement progressif avec une assiette qui globalise et soumet au même taux les revenus des biens mobiliers et immobiliers et les revenus du travail. Les gouvernements doivent agir de concert et efficacement pour éliminer les paradis fiscaux, appliquer une taxe sur les transactions financières et mettre fin au nivellement par le bas qui consiste à abaisser les taux d’imposition des plus riches et des sociétés transnationales.

12. Taxation des bénéfices et de la fortune

Les mesures qu’il faut prendre pour soutenir les entreprises en difficulté suite au ralentissement ou à l’arrêt de leur activité tout comme la récession qu’implique la crise du Covid-19 représentent une lourde charge pour le trésor public. Or dans le même temps, certaines multinationales font des bénéfices exceptionnels (Amazon, Netflix…). Il faut taxer ces bénéfices pour empêcher que les dépenses publiques n’entraînent un nouvel endettement sur les marchés financiers. Si nous devons tou·te·s être solidaires, cela concerne aussi ces entreprises. 

13. Interdiction de distribuer des dividendes

Le coût de la crise doit être payé par un impôt sur les grandes fortunes et sur les fonds spéculatifs. Les milliards d’euros de dividendes que les entreprises doivent payer à leurs actionnaires sur  base des bénéfices réalisés en 2019 ne doivent pas être distribués, mais utilisés pour faire face à la crise. 

En ce qui concerne les banques et les marchés financiers dans l’UE et en Europe

14. Prêts aux pouvoirs publics par les banques centrales à un taux d’intérêt de zéro

Les banques centrales et les banques publiques doivent prêter directement aux pouvoirs publics pour les aider à financer des plans d’urgence. Ces prêts doivent être consentis à un taux d’intérêt nul ou proche de zéro. Les dettes publiques ne peuvent pas être utilisées à des fins spéculatives sur les marchés financiers comme ce fut le cas après la crise de 2008. Il faut prendre des mesures contre la spéculation sur les dettes publiques. Par ailleurs, il faut abroger le Pacte de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance.

15. Contrôle des flux de capitaux

La pandémie de Covid-19 ne doit pas utilisée par les marchés financiers pour spéculer. Il faut les empêcher de déstabiliser des économies entières rendues déjà plus vulnérables par la crise. Les opérations spéculatives et le shadow banking doivent être interdits. C’est le moment où jamais de mettre en place la taxe sur les transactions financières proposes par dix gouvernements européens ainsi que la taxe sur les transactions en devise qui constitue le point de départ de notre association.

16. Démantèlement et socialisation des grandes banques

Certaines banques représentent un risque systémique pour l’économie : leur faillite déstabiliserait le système bancaire international. Ces banques qui sont ‘trop grosses pour faire faillite’ doivent être démantelées et socialisées. Les banques de dépôt et les banques d’affaire doivent être séparées quoi qu’en dise le lobby bancaire européen.

En ce qui concerne la solidarité internationale

17. Une réaction coordonnée au niveau européen

La solidarité entre pays européens ne peut fonctionner que si la réaction des différents gouvernements n’est pas motivée par les intérêts des pays économiquement les plus forts. Le budget de l’UE doit être augmenté et utilisé pour soutenir les pays les plus durement touchés. De l’argent, mais aussi des équipements médicaux doivent être répartis entre voisins. La  solidarité entre les hôpitaux ne doit pas dépendre de discriminations nationales. Plus généralement, les fondements de l’intégration au sein de l’UE doivent être revus en profondeur pour être établis sur des bases sociales et non sur les idéologies du libre marché, du libre-échange et de la libre concurrence.

18. La solidarité internationale avant tout

Les conséquences humanitaires, sociales et économiques de la pandémie seront particulièrement graves pour les pays les plus pauvres. Il convient de déployer un vaste soutien international pour aider et protéger les populations les plus vulnérables au niveau mondial. L’aide aux pays du Sud devrait prendre la forme d’une aide directe plutôt que de prêts assortis de conditions néolibérales. La dette publique devrait être annulée afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire. Il faut mettre fin aux tribunaux privés protégeant les investisseurs et à d’autres mesures commerciales injustes. 

En ce qui concerne la transformation écologique et sociale de nos économies

19. Réorientation des subventions publiques aux secteurs polluants vers une transition sociale et écologique

Le soutien financier accordé aux entreprises dans les secteurs polluants doit être conditionné à une réelle transition vers un mode de production social et écologique. Il faut envisager la socialisation de ces entreprises et a minima, les droits des travailleurs·ses doivent être garantis. Il faut mettre en œuvre des plans de formation et de reconversion professionnelles. Les gouvernements se précipitant pour colmater les brèches, il ne faut pas qu’après leur intervention tout revienne à la situation antérieure, surtout après les efforts fournis par la population.

20. Des politiques monétaires au service de l’économie réelle et de la transition

La Banque central européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait acheter 750 milliards d’euros en titres bancaires pour soutenir l’économie. Il ne faut pas que les banques et les marchés financiers s’en servent pour continuer à spéculer ou à financer des secteurs polluants et nuisibles. De même que les gouvernements doivent conditionner leur aide à un réel engagement de transformation écologique et sociale, les banques centrales doivent elles aussi imposer des conditions en échange de leur soutien.

21. La relocalisation solidaire de la production

La pandémie de Covid-19 a révélé une carence déplorable dans la production de biens stratégiques comme les médicaments et les aliments. L’internationalisation extrême de la chaîne d’approvisionnement a rendu nos sociétés plus vulnérables dans des situations comme la crise actuelle. La relocalisation de productions essentielles exige que nous abolissions les règles du libre-échange actuellement imposées par l’UE. Nous devons encourager l’agriculture locale et paysanne qui utilise peu de pesticides et d’engrais chimiques, par opposition aux pratiques agro-industrielles actuelles qui non seulement tuent les sols et la biodiversité, mais augmentent la pollution et favorisent ainsi la propagation des maladies.

C’est aux populations de décider comment elles veulent vivre, ce qu’elles veulent produire et échanger de manière équitable et écologiques ainsi que dans le respect des intérêts du plus grand nombre. Ceci s’oppose à la logique de compétition entre pays sur la base du coût du travail et des politiques fiscales et cela entraînerait une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut déployer une stratégie sociale et écologique à l’échelle européenne. 


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