Les arbres en ville

[Jeanine MAYERES]

L’habitat des arbres en ville n’est pas souvent favorable. Souvent ils sont plantés trop près des façades, dans des sols pauvres, parcourus de canalisations et de câbles souterrains ; ils sont privés d’eau par une couche d’asphalte imperméable ou de gravillons collés, aspergés de sel en hiver et en permanence assaillis de gaz toxiques.

Or les arbres sont porteurs d’énormes bienfaits, à commencer par leur beauté. Ils offrent une ombre et une fraîcheur qui sont de plus en plus un enjeu de santé publique vu les périodes de sécheresse, un abri pour de nombreuses espèces végétales et animales. Par évaporation et transpiration, les arbres augmentent l’humidité de l’air. Ils absorbant le gaz carbonique et émettent de l’oxygène. La fonction de filtre assurée par l’arbre inclut d’autres polluants : les métaux lourds, suies, poussières, les polluants gazeux, oxydes d’azote, de soufre, monoxydes de carbone, ozone.

Que constatons-nous un peu partout ?

Des arrachages inutiles et un traitement destructeur infligé aux arbres, soi-disant pour « raisons techniques » (notamment de maladies), supposées trop complexes pour être comprises par le public.

Que répondent les pouvoirs en place ? 

« Ne vous en faites pas : certes on abat des arbres, mais on en replantera davantage ». 

Mais tout le travail d’épuration décrit plus haut n’est pleinement assuré que quand les arbres sont arrivés au stade adulte. Francis Hallé explique que replanter des arbres (promesse : « pour un arbre abattu, on va replanter plusieurs arbres ») est une triple arnaque : une arnaque culturelle et sociale, parce que la valeur patrimoniale (le bien commun) disparaît avec l’abattage des grands arbres ; une arnaque financière, parce qu’alors que le grand et vieil arbre ne coûtait presque rien pour son entretien (juste l’enlèvement du bois sec et des feuilles qui tombent), les jeunes arbres devront être achetés, transportés, plantés, tuteurés, protégés, arrosés et bénéficier d’une taille de formation (pensons aux voir 14 jeunes arbres plantés Place Saint Paul en avril 2018 à la place des 14 cerisiers du Japon : 12 sont déjà morts) ; une arnaque écologique, puisque dix jeunes arbres ne remplacent pas un vieux : un quart de siècle au moins (25 ans) sera nécessaire pour que l’arbre déploie tous ses bienfaits et pour que la dépollution atmosphérique qu’il offrait retrouve son niveau initial.

Les arbres rendent d’autres services appréciables : entourée d’arbres, une maison nécessite 20 à 25% d’énergie en moins que si elle est en terrain nu ; ils freinent le vent (ex. axe Kennedy/Carmes/Destenay/Croisiers, très exposé au vent, où le  ‘brise-vent’ existant a été détruit à partir de 2017) ; ils retiennent les sols en pente malmenés en période de fortes pluies ; modifient l’ambiance sonore notamment en atténuant les bruits de la rue. Sont évoqués ici les bienfaits les plus évidents, il y en a d’autres encore, parfois moins connus comme l’émission d’huiles essentielles et d’ions négatifs bienfaisants.

Comment traiter les arbres en vile pour qu’ils ne présentent aucun danger ? On ne peut nier les dangers qu’ils peuvent parfois présenter : une grosse branche qui tombe, un tronc qui écrase quelqu’un lors d’une tempête. Le problème n’est pas de sauver coûte que coûte un arbre menaçant mais de faire en sorte qu’il ne devienne pas un danger public.

Francis Hallé propose ici trois modes d’actions liés.

1. Laisser à l’arbre la place dont il a besoin : si on veut planter un jeune arbre, il faut déterminer la place dont il aura besoin quand il aura atteint tout son développement ; ça varie selon les espèces : un platane planté dans de bonnes conditions pourra atteindre une hauteur de 30 m avec une cime de 25 m de diamètre (voir ceux qui encadrent l’entrée du Jardin Botanique). Les dimensions aériennes de l’arbre se trouvent aisément dans les ouvrages spécialisés ; invisibles, les racines restent des organes peu connus. On sait que le trajet des racines peut s’étendre jusqu’à plus de 2 fois la hauteur de l’arbre et que toutes, fines ou épaisses, sont vitales : les racines épaisses (ou charpentières) parce qu’elles assurent sa solidité mécanique, et les racines fines parce qu’elles assurent sa nutrition par l’eau et les minéraux. Laisser à l’arbre la place dont il a besoin rend inutiles les tailles ultérieures brutales (ou pire, les suppressions) qu’on peut encore observer un peu partout (cf. Place des Carmes, platanes supprimés en hâte en 2019 le long des terrasses, et platane « charcuté » au coin du café Saga). Note : pour les jeunes arbres replantés en ville, il faut généralement prévoir une (au moins une) taille de formation (la taille de formation de l’arbre urbain vise à obtenir une hauteur de tronc suffisante pour éviter les branches basses qui peuvent gêner la circulation des piétons et des véhicules motorisés ; on parle de 2,5m au moins au-dessus des trottoirs et de 6 à 7 m au-dessus des routes où passent des poids lourds. Il faut réaliser cet élagage sur l’arbre jeune encore en pépinière, ou peu après la plantation, parce que l’arbre jeune est capable de cicatriser rapidement).

2. Laisser à l’arbre le temps qui lui est nécessaire : le temps d’un arbre n’est pas celui d’un mandat politique. Quand les élections approchent on voit parfois les élus annoncer la plantation de grands arbres. Mais souvent ceux-ci ont séjourné trop longtemps en pépinière dans un conteneur trop petit, ils n’ont donc que des racines courtes et déformées qui ne reprendront jamais leurs dimensions normales et donc un ancrage ad hoc dans le sol. Ils vont s’effondrer au premier coup de vent sérieux. Seul le jeune arbre pourra développer des racines suffisamment longues adaptées à la direction des vents dominants et de nature à garantir sa solidité.

3. Respecter le mode de vie des arbres : toute blessure affaiblit l’arbre ; si elle est trop grande et trop profonde, elle peut même le tuer, tout comme c’est le cas chez un humain. C’est pourquoi les tailles de formation doivent se faire sur des arbres jeunes (l’élagage des branches ne leur cause que de petites plaies qui cicatrisent vite). Au contraire, sur un arbre adulte, l’ablation d’une branche laissera une plaie d’un grand diamètre dont la cicatrisation demandera des années, dans laquelle vont proliférer les bactéries, les champignons qui se nourrissent du bois. Comme sur les humains, une plaie est à la fois une altération de la structure vivante et une porte d’entrée pour les pathogènes. En ville on voit des BobCat et des pelleteuses qui utilisent les troncs d’arbres comme butoirs. Cela provoque des plaies à la base des troncs. Quelques années plus tard, l’arbre dépérit et le Service des Plantations l’abat. Cette atteinte à la santé et à la vie des arbres est aussi vraie pour les racines. En cours de chantiers, on creuse des tranchées proches des troncs pour installer des tuyaux et des canalisations, on coupe au passage quelques racines et la pourriture qui s’y loge condamne probablement l’arbre à court terme (cf. Place des Carmes pendant des mois en 2019, le spectacle des racines des platanes, coupées). Il arrive toutefois que l’élagage s’impose : c’est le cas pour le bois mort. Un grand arbre en bonne santé peut avoir quelques branches qui meurent. Ce n’est pas un signe de déclin. Ça fait partie de la vie de l’arbre. Le bois mort risquant de tomber sur les passants, il est justifié de l’enlever sans blesser la partie vivante des branches.

Quelques questions  – A qui appartiennent les arbres en ville ? – Existe-t-il un inventaire des arbres situés sur le territoire communal ? Où les citoyens peuvent-ils le consulter ? – Même question pour les arbres classés, classés arbres remarquables  – Quel enseignement sur l’arbre reçoivent les apprenants des formations Parcs et Jardins ? – Quelle formation sur les arbres pour les travailleurs du Service des Plantations de Liège? – Les citoyens peuvent-ils avoir accès aux comptes du Service des Plantations de Liège ? – Comment le service des Plantations de Liège envisage-t-il de traiter la question des dégâts causés par les castors (cf. les peupliers du Parc de la Boverie) – Comment se présente le commerce du bois à Liège ? (où va le bois des arbres supprimés ?) – Au sujet des arbres urbains : quelle coordination entre le service des Plantations et le service des Travaux Publics? – Pour les arbres abattus « pour cause de maladie », où est le diagnostic ? par qui a-t-il été réalisé ? a-t-on analysé la cause de la « maladie » ? A Liège, où les édiles de tous bords parlent de ‘transition’, ne serait-il pas urgent de replanter des arbres nourriciers, plutôt que des arbres simplement ornementaux ?

Solution à long terme pour les arbres en ville (voir travaux de Christiane Herman). Il faut (re)créer une structure publique stable composée d’agents nommés à vie vouée aux arbres de la Commune. Ce personnel hautement qualifié devra pouvoir transmettre son savoir aux jeunes qui lui succéderont.

Des raisons d’espérer : les nombreux mouvements naissants qui agissent en faveur des arbres, la mise en évidence du rôle des arbres par les mouvements paysans en permaculture et en agroforesterie, les films et les livres largement diffusés comme ceux de Peter Wohlleben.

Références

Francis Hallé, Du bon usage des arbres, un plaidoyer à l’usage des élus et des énarques (Arles, Actes Sud, 2011)

Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres (Paris, Les Arènes, 2017) et Écoute l’arbre parler (Paris, Michel Lafon, 2017)

David G. Haskell, Gardien.ne.s des Communs , Les effondré.es, Asbl Diversifruit


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