[Par Christiane Herman]

Il est un sujet de première importance qui n’est pas suffisamment traité : la couverture végétale. Pourtant, alors qu’elle n’appartient à personne, elle bénéficie à tous.

Un siècle pour un peuplier ou pour un homme, c’est déjà bien, on approche la limite de leur longévité respective. Pendant ce siècle, les arbres verront se succéder au minimum 10 gestionnaires du lieu. Il s’agit donc pour chacun d’eux de continuer l’œuvre du précédent et de préparer le futur pour le suivant.

Dans le livre Arbres remarquables de Belgique, édité en 1978 par le Ministère des Eaux et Forêts, nous trouvons une photo avec comme légende : Damme. Peupliers le long du canal de Damme (Brugge – Sluis), probablement l’ensemble de peupliers du Canada (Populus x canadensis) le plus réputé de notre pays. Sur la rive droite, la rangée de l’avant plan est constituée de peupliers au stade du houppier établi – stade 7 et 8 de Pierre Raimbault. A l’arrière plan, la rangée de remplacement de jeunes peupliers en croissance – stade 4 de Pierre Raimbault. Remarquons que ces derniers sont progressivement élagués sur un tiers de leur hauteur totale. Cette photo suggère l’intervention d’un paysagiste, ou tout le moins d’une personne soucieuse du paysage et donc du remplacement progressif de ces alignements. Pour être tout à fait honnête, le côtoiement de ces deux alignements de générations différentes est probablement dû au hasard car elle n’est pas aussi marquée pour les alignements de la rive gauche et l’exploitation des peupliers peut commencer dès ses 30 ans. Quoiqu’il en soit, Bruges fut un port de mer au XIIIe siècle, nous sommes donc proche du littoral, d’où le rôle primordial de ces peupliers comme frein aux vents qui se fait sentir sur 30 fois la hauteur du brise-vent, donc sur 30 x 35m = 1050 m, (1 km !). A l’abri du vent, on observe une augmentation des rendements des cultures de 5 à 124 % (voir encadré) et 20 à 25 % d’économie d’énergie pour une habitation à l’abri du vent par rapport à une en plein vent. Normal, cela demande plus d’énergie à l’individu quel qu’il soit, sdf ou pied de salade, de vivre dans un courant d’air. Cette photo concerne donc au minimum toutes les zones littorales de par le monde tempéré !

Rappelons que le moteur du climat, c’est le soleil ; la régulatrice du climat c’est l’eau qui couvre 71% de la surface de la Terre ; le vecteur du climat, c’est l’air, le vent qui amène les pluies, déplace les dunes, assèche les champs … et la temporisatrice du climat c’est la couverture végétale qui quand elle est absente on parle de désert.

La couverture végétale – la temporisatrice du climat – définit l’épaisseur  de la biosphère. En effet, quel qu’il soit, l’animal terrestre a besoin d’un support pour vivre. Or l’air n’est pas un habitat, contrairement à l’eau. Sur les continents, l’épaisseur de la biosphère est de zéro sur le béton, 50 cm au dessus d’un champ de pomme de terre, 30 m pour une forêt tempérée, 70 m pour une forêt tropicale[1] . Le continuum-Sol-Plante-Atmosphère, traversé par un flux d’eau douce, devrait être perçu comme le sixième océan qui humidifie l’atmosphère et dont l’élément central est cette « couverture végétale » qui épouse les reliefs, fabrique les sols[2] humifères et de l’eau[3], freine le vent et l’érosion des terres, facilite l’approvisionnement des nappes phréatiques, fait de l’ombre, stocke le CO2 et rejette l’O2, sert de support et d’aliment, donne fruits et fourrage, est autonome, en grande partie autosuffisante, qui se renouvelle et capable de décroitre et de se dupliquer, qui meurt par morceaux et pour les arbres garde leurs morts debout… Cette couverture constitue l’essentiel de la rugosité du paysage et ainsi tempère le climat ! Tempérer, c’est diminuer les valeurs extrêmes (température, précipitations, humidité, réflexion de la lumières et pression atmosphérique, mais aussi ce qu’elle induit, vitesse du vent, sécheresse, inondation, toits arrachés, sols lessivés ou cuits…).  

La coupe ci-dessus montre le chemin du vent, sachant que la consommation d’énergie des véhicules est directement proportionnelle au carré de la vitesse[4]. La suppression de la végétation de la berme centrale augmente la densité de l’air sur les bandes de roulement inverses et par conséquent la consommation d’énergie des véhicules ! Merci, Messieurs les ingénieurs, vous qui êtes dans des bureaux climatisés pour signer les bons de commandes et par conséquent ne verrez même plus vos fautes professionnelles et vous ferez exécuter les massacres par des « moins disant », non responsables et ceci sans compter toute la chaîne de dépenses induites par ces massacres ; privatisation des Ministères oblige ! Je vous suggère la lecture sur le Net de : https://sites.google.com/site/plantearbre/home/mes-derniers-articles/4-la-vegetation-le-long-des-autoroutes-wallonnes-pourquoi-une-gestion-a-la-gengis-khan.

D’autres régions du pays brillaient par la qualité de leurs peupliers. La Hesbaye liégeoise est un plateau très légèrement ondulé à pente vers la mer du Nord : son altitude passe de 180m à 100m. Il est en gros limité par le Geer au nord, la Mehaigne à l’ouest et la Meuse au sud ; 350 km2, d’une biorégion limoneuse, agricole homogène. Elle couvre la seconde nappe phréatique de Wallonie abreuvant actuellement 450.000 personnes ;  l’historique de l’occupation des sols par la phytosphère (prairies, haies, chemins creux, bois, champs …)[5] fut consigné sur les anciennes cartes topographique au 1 : 10 000, par l’Institut géographique nationale qui les mettait régulièrement à jour jusqu’aux remembrements agricoles[6]. Ceux-ci, pour notre malheur, commencèrent en 1961-62. Anciennement, les villages hesbignons, caractérisés comme villages « nucléaires » par rapport aux villages « nébuleuses » du Hainaut, c’est-à-dire noyaux d’habitat/élevage, logés dans une dépression et entourés de vergers haute-tige et prairies complantés de peupliers, eux-mêmes entourés de champs ouverts (c’est-à-dire non clôturés, sans barbelés, ni haies = openfield) et de bois. Comment réussir une mise à blanc d’une telle région ? Par une politique d’Etat d’industrialisation de l’agriculture, mise en place depuis l’après-guerre, sans mesurer la dégradation des milieux qui en découle[7]. Dés les années quatre-vingt, il ne restait comme arbres sur le plateau que les peupliers qui vieillissaient et avaient perdu leur valeur commerciale. 2015, équivalant d’une mise a blanc de la région par achats groupés de futs de peupliers, de quoi remplir des porte-conteneurs en partance pour l’Asie et modification complète de l’écoulement de l’air de la région. Ainsi on augmente la consommation d’énergie dans toutes les habitations de la région, alors que l’on disperse des subsides à l’économie d’énergie dans l’habitat. Cherchez l’erreur ! Jamais une usine n’aurait été capable d’avaler en une fois une telle quantité de futs, mais un porte-conteneurs bien ! Il y a incompatibilité dans l’espace et dans le temps entre, d’une part : l’Arbre, le Sol, le Paysage  – les Communs – et d’autre part la propriété et le commerce.

Augmentation des rendements pour des cultures à l’abri du vent par rapport à celles en plein vent.
Culture Pays %
blé France (Béarn) +15
maïs France (Bretagne) + 5
avoine Allemagne + 9
orge Danemark + 18
trèfles Danemark + 24
luzerne Danemark + 21,5
p. de terre Danemark + 16,9
prairie Roumanie + 24 à 67
pommiers Pays-Bas + 75
poiriers Pays-Bas + 121

Photo 1936 : Mémoire en images : La Hesbaye arrondissement de Waremme, Robert Ruwet, 2007.

Tempus Publishing Limited, The Mill, Brimscombe Port, Stroud, Gloucestershire, GL5 2QG, Angleterre.  www.Tempus-publishing.com  Catalogue complet sur le site : www.tempus-belgium.com


[1] En écologie, toutes mesures sont toujours des moyennes annuelles, donc les 50 cm du champ de pdt incluent l’épaisseur moyenne du sol et de la partie aérienne habitables ! Dans ce cas ci, zéro en hiver pour la partie aérienne. C’est ce qui distingue une plante annuelle d’une plante pérenne. Ramenée à l’épaisseur moyenne annuelle, la vache au milieu de la prairie compte pour zéro quelque soit sa surface habitable, comme le béton. Par contre la surface d’échange et habitable de la couverture végétale est incommensurable que ce soit côtés racines ou tiges et ainsi augmente la surface au sol d’un facteur incommensurable !

[2]  Sol humifère = éponge qui retient l’eau. « Tous les sols agricoles, de par le monde, sont d’origine forestière !», Gille Lemieux et all, Université Laval, Québec, Canada.

[3] Valeurs pondérales de l’équation de la photosynthèse : 1851 kg CO2 + 1082 kg H2O >> 1000 kg de bois + 1392 kg O2 + 541 kg H2O : Ernst Zürcher, Les arbres entre visible et invisible, S’étonner, comprendre, agir. Préface de Francis Hallé, Postface de Bruno Sirven, Actes Sud, 2016.

[4] Un vent de face équivaut à une augmentation de la vitesse du véhicule !

[5]  Le spectre phytosociologique qui se superpose aux spectres topographique, hydrologique et infrastructures.

[6] Pour les conséquences des remembrements agricoles, on se référera à l’indispensable dossier de Marc Mennessier : La France entre inondations et sécheresse. Après moi le déluge. Sciences et Vie, mensuel n° 898, juillet 1992, pp 60-77, téléchargeable sur le site :
http://liege.mpoc.be/pub/divers/Science-et-vie_Amenagement-territoire, juillet-1992.pdf

[7]  Il faut 15 ans pour faire mourir un sol agricole des plus fertile ! Un film de Marie-Monique Robin, Les moissons du futur. Comment l’agroécologie peut nourrir le monde, Arte éditions, 2012.


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