La couverture végétale – la « couette » des continents

Au feu ! Nos forêts partent en fumée !

[Christiane HERMAN]


La couverture végétale, parlons-en ! Elle n’appartient à personne, bénéficie à tous et fait partie de nos Communs1 ; pourtant ses bienfaits, difficilement comptabilisables, sont encore trop souvent ignorés. En fait, dans notre société capitaliste, elle est accaparée comme matière première alors qu’elle est indispensable à tous. Comment nous concerne-t-elle ? Rappelons le contexte général, l’élémentaire du fonctionnement des écosystèmes au niveau Terre, du local au global, de la mare à l’océan, de la bouse au continent.

Le moteur du climat, c’est le soleil, parfois trop chaud ; la régulatrice du climat, c’est l’eau, dont 97% est salée et couvre 71% de la surface de la Terre ; le vecteur du climat, c’est l’air, le vent qui amène les pluies, déplace les dunes, assèche les champs ; enfin la temporisatrice du climat, c’est la couverture végétale, que l’on mesure par le pourcentage de sol qu’elle recouvre, protège et « fabrique », que l’on évalue par le type et le nombre d’espèces de plantes qui la composent. Le climat est la résultante de ces quatre éléments en interaction (et2), dont l’un est vivant et ainsi notre seule voie d’action possible en cette période de changement climatique, et cela du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, de Ouagadougou à Hoûte-si-Plout.

L’animal terrestre, quel qu’il soit, a besoin d’un support pour vivre, ne fût-ce que pour y déposer ses œufs et dans ce sens, l’air n’est pas un habitat, contrairement à l’eau3. C’est donc la couverture végétale qui donne l’épaisseur de la biosphère sur les terres émergées. L’épaisseur de la biosphère est de zéro sur le béton, 50 cm au-dessus d’un champ de pommes de terre4, 30 m pour une forêt tempérée, 60 m pour une forêt tropicale. Le Continuum Sol-Plante-Atmosphère est un flux d’eau douce qui devrait être perçu comme une sorte de « sixième océan suspendu », qui humidifie l’atmosphère et dont l’élément central est vivant. Cette « couverture végétale » épouse les reliefs, fabrique les sols humifères5 et de l’eau6, freine le vent et l’érosion des terres, facilite l’approvisionnement des nappes phréatiques, fait de l’ombre, stocke le CO2 et rejette l’O2, respire comme tous les vivants, sert de support et d’aliment, donne fruits et fourrage, est autonome, en grande partie autosuffisante, capable d’attendre, de décroître, de se renouveler et se dupliquer ; elle est belle, colorée et totalement pacifique. Elle caractérise les milieux (forestiers, prairiaux ou désertiques – c’est-à-dire dominance de l’arbre, de l’herbe ou de «l’absence ») mais elle ne fonctionne jamais seule7 et quand elle est absente, on parle de désert (de sable, de pierre ou de glace8). Cette « couette des continents » constitue l’essentiel de la rugosité du paysage qui tempère le climat ! Tempérer, c’est diminuer les fréquences et/ou les valeurs extrêmes, ici pour les paramètres mesurés en météorologie (température, précipitations, pression atmosphérique…), mais aussi ce qu’ils induisent : vitesse du vent, sécheresse, réflexion de la lumière, humidité, rosée, inondation, toits arrachés, sols lessivés ou cuits ou emportés ou brûlés ou stérilisés ou… Mais d’où viennent les sols arables, seuls cultivables, ces éponges qui retiennent l’eau ? « Les terres agricoles sont d’origine forestière »9. La couverture végétale est la constructrice des milieux terrestres ! Sans elle, ni sols arables, ni mammifères, ni reptiles, ni insectes, ni pollinisation, ni herbivores, ni chants d’oiseaux, ni fleurs,… comme sur la Lune, des cailloux et de la poussière.

Zürcher attire l’attention sur les travaux de climatologues qui constatent « que ce ne sont pas les masses d’air en mouvement qui sont à l’origine du cycle hydrologique (modèle généralement admis jusqu’à ce jour) mais au contraire les changements de phase de l’eau dans l’atmosphère au-dessus des forêts qui provoquent le déplacement des masses d’air. En effet, l’eau nécessite une énergie considérable pour s’évaporer au-dessus de la forêt (600 calories par gramme), énergie qu’elle restitue sous forme de chaleur en haute atmosphère au moment de la condensation et de la formation des pluies. Ainsi l’impact extrême du rayonnement solaire au niveau de l’équateur est absorbé grâce à des écosystèmes riches en eau et en biomasse dans ces zones du globe. Parallèlement à cela la rapidité du processus de condensation par rapport à la lenteur de celui d’évapotranspiration crée une différence de pression avec effet d’aspiration. La forêts amazonienne fonctionne alors comme un gigantesque cœur hydrologique (biotic pump), attirant les masses d’air de l’Atlantique et les enrichissant en eau, pour effectuer une demi-douzaine de cycles d’évapotranspiration-précipitation . . . Dans ce contexte, les chercheurs mettent en évidence un autre phénomène essentiel : si une zone côtière est déforestée sur une largeur de 600 km ou plus, les masses d’air océanique humide ne peuvent plus gagner l’intérieur des terres, condamnant leurs forêts à y dépérir. »(Zürcher, 2016 : 18-20). Ceci montre clairement le rôle central de l’arbre et des forêts dans le fonctionnement de « l’organisme Terre ». De ce fait, à l’échelle humaine, l’arbre représente le levier qui permet d’agir pour le maintien ou même la restauration des fonctions vitales de notre planète.

Le livre de Zürcher est sorti en septembre 2016, l’article de Bunyard (« Without its Rainforest, the Amazon Will Turn to Desert », The Ecologist) en mars 2015. Trois ans plus tard (les Gilets Jaunes et les lycéens sont dans la rue), Marc Dufumier10 dénonce l’implication de l’UE dans le défrichement de l’Amazonie via l’ex gouverneur du Mato Grosso au Brésil devenu ministre de l’Agriculture du gouvernement Temer11 et dénonce également l’association environnementaliste franco-brésilienne, Pro-Natura, le gouvernement français, qui autorise Total à importer 550 000 tonnes d’huile de palme d’Indonésie par an pour fabriquer des agro-carburants à la Mède dans les Bouches-du-Rhône (72-74), le CETA (signé en octobre 2016 et partiellement en vigueur) et ainsi que les tractations de l’UE avec le Mercosur12 – autant de causes de désastres écologiques planétaires pour notre « énergie verte » ! Malgré tout , les responsables politiques, les experts, les technocrates persistent à ne pas voir que, pas plus que le soleil, l’eau et l’air, l’arbre et le sol ne seront jamais « propriété » ou « matière première à exploiter », qu’ils ne supportent plus notre avidité criminelle. Il est grand temps que tous les diplômés payés pour protéger nos Communs cessent de cautionner ces agissements criminels.

1 Nos Communs : sol, air, eau, flore, faune, paysage, patrimoine et liens sociaux.

2 “Et” évoque une interaction et l’impossibilité de peser les rôles des divers acteurs lorsque l’action de chacun est sous l’influence de l’autre. Dans la nature les interactions sont permanentes, les additions rares. Voir Albert Jacquard, L’équation du nénuphar – Les plaisirs de la science, Calmann-Lévy, Le livre de Poche, 1998.

3 Le cycle de vie complet des organismes pélagiques a lieu dans l’eau, indépendamment de tout support, tandis que dans l’air, bactéries photosynthétiques et algues unicellulaires pourraient y vivre en permanence, mais seraient-elles capables de procréation dans l’air, de rencontres ?

4 En écologie, toutes mesures sont toujours des moyennes annuelles, donc les 50 cm du champ de pommes-de-terre incluent l’épaisseur moyenne du sol « vivant » et de la partie aérienne habitable ! Dans ce cas-ci, zéro en hiver pour la partie aérienne. C’est ce qui distingue une plante annuelle d’une plante pérenne. Par contre la surface d’échange et habitable de la couverture végétale est incommensurable que ce soit côtés racines ou tiges et ainsi augmente la surface au sol d’un facteur incommensurable !

5 Sol humifère = éponge qui retient l’eau.

6 Ernst Zürcher, Les arbres entre visible et invisible, S’étonner, comprendre, agir. Préface de Francis Hallé, Postface de Bruno Sirven, Actes Sud, 2016.

7 Marc-André Selosse, Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations. Postface de Francis Hallé. Actes Sud, 2017.

8 Sur les océans, l’épaisseur de la biosphère est limitée à la couche supérieure où pénètre la lumière permettant la photosynthèse mais le facteur limitant la photosynthèse en pleine mer est le manque de sels minéraux et cela, sur 60% de la surface de la Terre. C’est ainsi que 75 % de la surface de notre Terre seraient à ranger dans les écosystèmes désertiques en prenant la productivité très faibles des toundras (1,1 gr m.s. / m2 & an) pour définir ces milieux (voir PBI, 1974).

9 Gilles Lemieux et Céline Caron, « Le bois raméal pour la régénération des sols agricoles et forestiers », L’Écho MO n°19, septembre-octobre 1999, https://echo-mo.pagesperso-orange.fr/article_Echo_mo_19.pdf

10 Marc Dufumier & Olivier Le Naire, L’agroécologie peut nous sauver, Actes Sud, Domaine du possible, mai 2019, p. 69

11 Un outil pour mesurer la perte en couverture végétale : la comparaison de cartes au 10000e tous les dix ans. C’est effrayant !

12À nouveau l’agriculture d’ici servira de variable d’ajustement pour que l’on exporte armes, véhicules et produits de synthèse et que l’on importe des produits agricoles qui entraînent déforestations, pollutions, massacre de populations. (Notons qu’entre-temps l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur a été conclu fin juin 2019.)


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