Overdose de commémorations hypocrites

[Marianne RATHMES]

Le mois de novembre nous aura abreuvés plus qu’il ne faut de commémorations de l’armistice et de la guerre de 1914-1918. Les propagandes aussi bien du vainqueur que du vaincu nous ont été assenées à grande échelle.

Pensons au reportage « Apocalypse » unanimement présenté par les chaînes de télévision comme la vision moderne et objective de l’après conflit (et en partie du conflit) ; on y trouvait pourtant des erreurs historiques et des partis pris inacceptables.

Deux exemples flagrants :

  • « Rosa Luxembourg endoctrinait les soldats revenant du front », alors que ses prises de parole reflétaient simplement ses convictions. Pour cela, elle a été assassinée en janvier 1919.
  • « Après le conflit, les juifs se sont fait massacrer, en Russie, aussi bien par les tsaristes que par les communistes ». Faux : les révolutionnaires communistes s’opposaient à l’antisémitisme.

On sort de ce reportage en se demandant toujours pourquoi cette guerre ? Quelles en sont les raisons profondes ? Les réalisateurs du documentaire en parlent finalement très peu et toujours sur le mode anecdotique.

Bien sûr ce n’est pas l’assassinat du grand-duc d’Autriche, ni la défense de la liberté, de la démocratie, de la patrie, de notre culture et de nos valeurs qui ont provoqué la guerre. Aucun des dirigeants de l’époque (ni d’aujourd’hui d’ailleurs) n’aurait voulu se battre pour ça ! Ils ne rechignaient pas à s’allier avec le tsar de Russie qui n’était pas, comme nous le savons, un grand démocrate. Ils n’envisageaient d’ailleurs pas ,non plus, d’accorder le suffrage universel aux ouvriers.

Les motivations de cette guerre de 1914-1918 étaient avant tout économiques: pour les pays européens, la recherche de nouveaux marchés et de nouvelles ressources à exploiter. Donc, il s’agissait d’obtenir plus de colonies et les richesses qui vont avec. Lors de la Conférence de Berlin (1884-85) organisée par Bismarck, les grandes puissances s’étaient partagé le gâteau. Avant la guerre de 1914-1918, l’Allemagne trouvait que la part du territoire africain qui lui était revenue était largement insuffisante, au vu de leur extraordinaire développement industriel. Les Allemands se sentaient lésés.

Les pays opposés à l’Allemagne voulaient, eux aussi, mettre la main sur les immenses ressources minières et humaines des colonies et souhaitaient que la guerre dure le plus longtemps possible afin de pouvoir y faire un maximum de profit (par exemple, en Belgique les ressources minières du Congo ont permis à notre métallurgie de produire des armes et du matériel militaire à grande échelle).

Depuis la guerre de 1870, l’Allemagne était entrée en possession de l’Alsace et de la Lorraine. La France, elle, réclamait ces régions (en partie françaises depuis le traité de Westphalie en 1648). Ces arguments servaient le nationalisme des uns et des autres, mais en réalité il s’agissait surtout de conserver un territoire où la sidérurgie était florissante.

Qui se souciait des pertes humaines chez nous ou dans les colonies?

Pour cacher à la population les véritables raisons de cette guerre,  la propagande était largement utilisée. Déjà à l’époque, on parlait de races inférieures à propos des ennemis et des atrocités faites par l’autre camp : « on faisait courir le bruit que les Allemands coupaient les mains des bébés , ce qui provoquait la fuite de populations horrifiées. Nos soldats étaient, naturellement des libérateurs, incapables de commettre toutes ces horreurs » (Anne Morelli). Nous étions alors des « migrants » fuyant la guerre.

Pendant que les soldats et la population civile subissaient toutes ces atrocités, les généraux arrogants et cyniques avaient convenu de ne pas bombarder les quartiers généraux des États-Majors adverses. « La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas » (Paul Valéry, Cahiers).

Il s’agissait bien d’une guerre de classe, où pour protéger leurs privilèges, les puissants avaient réussi à ce que les manants s’entretuent.

L’élite au pouvoir encouragera le nationalisme afin, avant tout, de combattre l’internationalisme ouvrier :« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». Position confortée aux yeux de la bourgeoisie industrielle et politique par la révolution russe de 1917.

Quelle fut, alors, l’attitude de la gauche ?

Bien sûr, il y avait eu Jaurès qui défendait l’idée pacifiste mais il fallait qu’il se taise et on l’a assassiné juste avant la déclaration de guerre.

En Belgique, le POB (parti ouvrier belge, ancêtre du parti socialiste), parti réformiste, certainement par crainte d’être dépassé par le parti communiste (révolutionnaire), embraye dans cette idéologie nationaliste. Emile Vandervelde (président du POB) dira : « Il faut mener cette guerre pour défendre la démocratie et la liberté ».

Il s’agit donc d’une trahison de la gauche socialiste, difficilement compréhensible, qui, contre toute attente de la classe ouvrière, appuiera les partisans de la guerre. Ce qui explique, peut-être pourquoi, aujourd’hui, on a tellement de mal à dire la vérité sur les enjeux réels de ce conflit.

Mais ne soyons pas crédules: toutes les guerres, avec leur lot de souffrance et de mort subi par les peuples, n’ont que des buts économiques au profit de la classe dominante (quel que soit le nom qu’on lui donne suivant les époques ; aujourd’hui, ce sont les capitalistes).

On parle peu ou pas du tout des mutins de cette guerre, il y en a eu beaucoup, qui ont été fusillés parce que, désespérés et épuisés, ils essayaient d’échapper aux combats par exemple en se mutilant ou en désertant.

Fusillés aussi parce que simplement, ils fredonnaient une chanson « La chanson de Craonne » dont voici un extrait (vous trouverez la chanson complète facilement sur internet) :

REFRAIN
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau.
Car nous sommes tous des condamnés,
C’est nous les sacrifiés.

COUPLET
Ceux qu’ont l’pognon,
ceux-là r’viendront,
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l’plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !

Cette magnifique chanson, courageusement chantée par des soldats au bout de leurs forces et anéantis qui refuseront d’à nouveau monter au front et se feront, pour une bonne part, fusiller. Chanson longtemps interdite par la classe politique lors des commémorations (jusqu’à récemment).

Je ne sais pas, si on apprend tout cela dans les écoles ?

Toutes les guerres, celles d’hier et d’aujourd’hui n’ont qu’un seul objectif : le profit de capitalistes sans scrupules.

Il faut le dire, le redire et ne plus se laisser endoctriner pour la suivante.

(Sources : Michel Collon ,Denise Vandevogel et Anne Morelli avec la vidéo qui a comme titre la phrase d’Anatole France On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels, 2014) ; Anne Morelli, Principes élémentaires de la propagande de guerre)

 

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