Climat et effondrement : « Seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire »

[Ivan du Roy – 16 octobre 2018 – bastamag.net]

Sommes-nous sous la menace d’un « effondrement » imminent, sous l’effet du réchauffement climatique et de la surexploitation des ressources ? Pour l’historien Christophe Bonneuil, la question n’est déjà plus là : des bouleversements sociaux, économiques et géopolitiques majeurs sont enclenchés et ne vont faire que s’accélérer. Il faut plutôt déplacer la question et produire une « pensée politique » de ce qui est en train de se passer : qui en seront les gagnants et les perdants ? Comment peser sur la nature de ces changements ? Migrations de masse, émergence d’un « capitalisme écofasciste », risque de conflits pour les ressources : malgré un constat brutal sur le monde qui se dessine, l’historien appelle à éviter le piège d’un « romantisme » de l’effondrement. « Une autre fin du monde est possible », affirme-t-il. Il revient aux sociétés civiles d’écrire le scénario final. Entretien.

Basta ! : Comment la situation climatique a-t-elle évolué depuis la signature des accords de Paris – dans le cadre de la Cop 21 –, à la fin de l’année 2015 ?

Christophe Bonneuil [1] : Les émission de gaz à effet de serre continuent d’augmenter partout, y compris en France. Au regard de la trajectoire des émissions mondiales, si nous continuons sans changer, nous prenons la direction d’une augmentation globale des températures d’au moins +3°C, bien avant la fin du siècle. Nous voyons là les limites du caractère facultatif de l’accord signé lors de la Conférence sur le climat de Paris, la COP 21, il y a trois ans. L’accord de Paris ressemble dangereusement aux accords de Munich en 1938 qui, croyant éviter une guerre mondiale, l’ont précipitée. Cet été, la concentration en CO2 de l’atmosphère a dépassé les 411 ppm (partie pour millions), un niveau inégalé depuis 800 000 ans à 4 millions d’années. Il faut être encore plus bête qu’un « munichois » pour croire que cela ne va pas avoir des conséquences d’ampleur géologique, ni provoquer des désastres humains et des bouleversements géopolitiques majeurs.

Quels sont les indicateurs et voyants qui montrent qu’un seuil fatidique, qui ouvrirait la voie à une « Terre étuve », pourrait être franchi dans les décennies à venir ?

Depuis l’ère quaternaire, la Terre oscille environ tous les 100 000 ans entre un état glaciaire et un état interglaciaire, entre deux périodes de glaciation. Ce qui nous menace c’est une sortie des limites de cette oscillation. La probabilité d’un scénario où la Terre basculerait vers un état d’étuve a été accrédité par un article paru en juillet dans la revue de l’Académie des sciences américaines [2]. En Inde, les projections des températures dans dix ou quinze ans montrent que certaines régions connaîtront des pics à plus de 50°C [3], ce qui pourrait arriver en France aussi à la fin du siècle [4]. Les corps ne pourront le supporter, des régions deviendront invivables, et les plus pauvres seront les plus touchés.

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