Déclaration de l’Assemblée des mouvements qui travaillent contre la domination de la dette

Forum Social Mondial – Belém do Pará – Brésil 2009

Un résumé[1] de cette déclaration a été présenté par Camille Chalmers au cours de l’Assemblée des Assemblées, le 1er février 2009

L’Assemblée des mouvements travaillant sur le thème de la dette a eu lieu le 1er février, dans le cadre de la Journée des Alliances du FSM 2009 à Belém.

L’Assemblée s’est déroulée avec la participation de différentes organisations et réseaux, avec une forte présence des organisations membres de Jubilée Sud et du réseau CADTM International. Cependant, les conclusions ici présentées reflètent la position d’une multitude de réseaux et mouvements anti-dette, qui sont dans un processus satisfaisant de convergence concrétisé par la déclaration du FSM de Nairobi de janvier 2007, la publication d’un bulletin commun sur la dette illégitime, l’organisation annuelle d’une Semaine d’Action Globale contre la Dette et les Institutions Financières Internationales (IFIs), la récente réalisation d’un séminaire commun de réflexions et stratégies à Quito en septembre 2008 et la convergence autour du soutien de processus et campagnes concrètes comme le développement de processus d’audits.

 

1) Les défis de la conjoncture internationale

Les mouvements et campagnes anti-dette présents ont caractérisé comme suit la conjoncture actuelle et les défis que nous devons affronter :

1.1 Malgré une propagande massive autour des programmes d’annulation et d’allègement de dette lancés par la Banque Mondiale et le FMI (PPTE I, PPTE II, DSRP), par le G8 (IADM) ou par des banques régionales comme la BID (Banque Interaméricaine de Développement), ou des grands projets de conversion de dette, la dette reste un instrument important de transfert des capitaux du Sud vers le Nord. Le Sud continue d’être saigné à blanc, avec des niveaux de transferts qui avoisinent les 400 milliards de dollars annuels.

1.2 En parallèle de cette hémorragie, nous assistons à une augmentation rapide de la dette publique interne, qui génère un transfert important de ressources publiques, suivant les mêmes mécanismes et généralement contrôlés par les mêmes acteurs qui bénéficient déjà des flux engendrés par le service de la dette publique externe. Ceci aggrave la dépendance financière de nos économies et de nos appareils productifs.

1.3 La diminution rapide des prix des matières premières stratégiques sur le marché mondial qui entraîne une réduction des revenus des Etats et la dégradation des conditions qui ont permis le refinancement de la dette externe des pays du Sud marquées par les facteurs de risques croissants annoncent une nouvelle crise de la dette. Elle menace à court terme des pays comme l’Argentine et l’Equateur, et à moyen et long terme des pays comme le Brésil ou le Venezuela, malgré les hauts niveaux des réserves internationales nettes accumulées par ces deux pays.

1.4 La crise profonde du système capitaliste annonce des périodes de difficultés croissantes pour les pays du Sud et les classes travailleuses du Nord. Comme toujours, des mesures et des mécanismes institutionnels nouveaux seront mis en place pour que les pays du Sud et les pauvres du Nord paient cette crise, générée par la soif illimitée d’accumulation et les processus irresponsables de dérégulation et d’hyper-financiarisation du jeu économique. L’accroissement des flux pour le paiement de la dette et la paupérisation massive, l’augmentation dramatique de la quantité de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition dans nos pays, sont autant de conséquences directes de ces stratégies parmi lesquelles la dette et sa restructuration jouent un rôle fondamental.

1.5 L’abondance scandaleuse de liquidités octroyées par les gouvernements des pays dominants du système contraste avec les ressources plutôt modiques (80 milliards investis chaque année pendant 10 ans selon les Nations Unies) qui sont nécessaires pour que l’humanité avance de façon significative vers la résolution des problèmes sociaux les plus aigus (malnutrition, analphabétisme, déficit des services de santé publique et d’éducation, logement, etc.). Nous ne pouvons pas permettre que continue ce type de gestion absurde et suicidaire des ressources qui proviennent du travail des Peuples.

1.6 La réponse des classes dominantes des pays du Nord face à la grave crise actuelle abonde dans le sens du renforcement du capital financier transnationalisé et de l’augmentation des flux spéculatifs. Par exemple, un nouveau marché spéculatif a été créé à Londres pour permettre la vente des émissions de carbone.

1.7 La récente élection de Barack Obama, qui déchaîne des vagues d’espoir importantes, ne va rien changer de substantiel dans l’orientation de la politique économique des Etats-Unis. Il suffit de regarder la composition du cabinet économique du nouveau président, dominé entre autres par des personnalités telles que Paul Volker, Larry Summers et Robert Rubin, qui ont joué un rôle déterminant dans le montage de la politique économique impérialiste qui débouche sur la grave crise actuelle.

1.8 La création du G20, qui a démontré toute son inutilité au moment de résoudre la crise, est inacceptable pour nos Peuples. Cela constitue une manœuvre pour dissimuler les fondements originaux de la crise et marginaliser un peu plus les Peuples du Sud dans les espaces de décision.

 

2) Les réponses des Peuples et de nos mouvements face à la conjoncture actuelle

 

2.1 Nous soulignons avec satisfaction la convergence croissante entre les mouvements anti-dette qui assument leurs divergences mais sont décidés à consolider une plateforme commune d’actions et de luttes.

2.2 Sur le front de la dette, nos mouvements ont obtenu des avancées très significatives au niveau conceptuel, politique, idéologique et stratégique. Nous sommes passé de la revendication du rééchelonnement de la dette à la bannière de l’illégitimité de la dette, de campagnes qui se concentraient sur la dette financière à des actions et campagnes qui adoptent une vision plus large intégrant les dimensions financières, historiques, sociales et environnementales. En outre, nos campagnes réalisent plus d’échanges et de convergences, et de meilleure qualité, avec les luttes contre le libre-échange, la militarisation, la criminalisation des protestations sociales, les transnationales et les agro-carburants, et pour la défense de la souveraineté alimentaire et de nos territoires.

2.3 En 2006, le gouvernement norvégien a annulé de manière unilatérale une partie de la dette réclamée à des pays d’Amérique Latine et de la Caraïbe (Equateur, Pérou, Jamaïque) ainsi qu’à l’Egypte et la Sierra Leone en reconnaissant son caractère illégitime.

2.4 La ligne de travail pour un audit du processus d’endettement progresse rapidement. Nous applaudissons à la réalisation de l’audit en Equateur. Après un an de travail, la CAIC (Commission pour l’Audit Intégral du Crédit public) a obtenu des résultats probants, démontrant de manière magistrale le caractère frauduleux, illégal, illégitime et criminel de la dette réclamée à l’Equateur. Nous appelons le Gouvernement de Rafael Correa à suivre les recommandations de la CAIC et à lancer un processus de répudiation, qui aura incontestablement valeur d’exemple et d’encouragement pour que les pays du Sud établissent des fronts contre le paiement de la dette externe.

2.5 Nous soutenons la décision du Président Fernando Lugo d’entamer un processus d’audit de la dette entre le Paraguay et le Brésil, afin de créer de nouvelles conditions pour le processus de développement du Paraguay.

2.6 D’autres pays d’Amérique Latine se préparent à lancer des processus d’audits similaires. Ils peuvent compter le soutien déterminé et enthousiaste de nos mouvements pour avancer dans ces processus pour la libération de l’esclavage de la dette. Les audits doivent être entrepris dans une atmosphère de large mobilisation populaire.

2.7 Des processus encourageants sont en cours dans différents pays et instances régionales. Les bonnes nouvelles des résolutions du Parlement Européen, de l’appareil législatif du Zimbabwe et de la Belgique confirment que nous vivons des temps nouveaux, avec un début de reconnaissance de la violence destructrice de la dette.

2.8 Nous soutenons la récente décision prise par la Chambre du Sénat du pouvoir législatif du Brésil de former une Commission Parlementaire d’enquête (CPI) sur le processus d’endettement de ce pays. C’est un pas décisif vers la mise en œuvre de l’audit dans un des nombreux pays ayant payé des montants impressionnants en remboursement anticipé de la dette et pour le service de la dette, en dépit du succès du mouvement citoyen pour l’audit qui a pu démontrer, grâce à un travail continu depuis 1999, les nombreuses violations de la norme constitutionnelle et des conventions internationales dans la gestion de la dette publique brésilienne.

2.9 Nous protestons contre la scandaleuse campagne diffamatoire contre notre compagne María Lucia Fatorelli par les classes dominantes du Brésil à travers les articles parus dans O Globo qui essaient d’entacher la réputation de cette fonctionnaire publique qui a toujours défendu les intérêts du peuple brésilien et a réalisé un travail admirable au sein de la CAIC en Equateur. Nous appelons toutes nos organisations à défendre la réputation de María Lucia Fatorelli et à protéger les compagnons et compagnes internationalistes qui apportent leurs connaissances au profit de la réalisation de ces processus d’audit. La vérité sur les pillages de nos richesses par le processus d’endettement doit être rendue publique.

2.10 Nous applaudissons les nombreux efforts fournis par nos mouvements dans le cadre de l’organisation de cycles de tribunaux populaires qui ont permis des avancées importantes sur le plan de la caractérisation des dettes écologiques. Les récentes éditions des tribunaux des Peuples à Vienne en 2006 (Enlazando Alternativas II), à Lima en avril 2008, lors du troisième Forum Social des Amériques (FSA III) au Guatemala en octobre 2008 et en Colombie ont facilité la collecte d’une documentation impressionnante, qui met en évidence les multiples crimes des entreprises multinationales contre nos Peuples. Ces activités, qui suivent une méthodologie participative intéressante, associées aux récentes luttes des mouvements indigènes pour la défense de la Pacha Mama et de leurs territoires constituent autant d’avancées hautement significatives, annonçant des victoires contre le règne de l’impunité et pour la protection de nos biens communs contre le processus asservissant de marchandisation du capitalisme.

 

3) Nos priorités pour ces prochains mois

 

3.1 Nous appelons tous nos mouvements à entamer un large processus de lutte sous la bannière des réparations, qui constituent un outil stratégique ayant pour objectif d’approfondir la lutte contre l’impunité et d’ouvrir des voies pour augmenter les flux de ressources et de capitaux du Nord vers le Sud de notre planète dans le contexte d’un processus ferme de redistribution de la richesse afin de commencer à corriger les conséquences dramatiques de plus de 527 années de pillage.

3.2 Nous appelons tous nos mouvements à mettre en place une campagne active contre la BID qui fêtera fin mars son 50ème anniversaire à Medellín à la fin du mois de mars 2009. C’est une excellente opportunité pour nous pour affirmer « 50 ans, ça suffit » et pour démasquer les politiques de la BID qui constituent un des piliers du système de domination impérialiste sur notre continent. En effet, elles promeuvent, favorisent et développent des projets, programmes et actions conformes à la logique du consensus de Washington. Nous appelons à lancer un processus de mobilisation contre cet organisme et à réaliser de nombreuses études de cas participatives pour permettre de constituer des dossiers sur les crimes de la BID contre les peuples de notre Abya Yala.

3.3 Nous appelons les gouvernements impliqués dans le projet de la Banque du Sud à accélérer la mise en route de ce nouvel instrument institutionnel qui doit se structurer sur une logique complètement différente des règles de l’actuelle architecture financière mondiale qui est au service des capitaux transnationaux. La Banque du sud doit être un instrument au service du développement de nos pays et d’une intégration solidaire de nos peuples, et doit devenir un instrument stratégique de récupération de notre souveraineté financière. Il est urgent que soient surmontés les obstacles qui empêchent la concrétisation d’un projet aussi important pour le futur de nos Peuples.

3.4 Nous appelons tous nos mouvements à participer à la Semaine d’Action Globale contre la crise, le G20 et l’OTAN et en solidarité avec le peuple palestinien qui se déroulera du 28 mars au 4 avril 2009.

3.5 Nous appelons tous les mouvements d’Amérique Latine et de la Caraïbe à se mobiliser pour participer depuis leurs pays, depuis leur région ou directement à l’important Sommet des Peuples qui se tiendra à Puerto España, à Trinité et Tobago du 16 au 18 avril. Ce sommet doit être un moment de réaffirmation de ce que nous avons conquis lors des élections précédentes de Santiago du Chili en 1998, de Québec en 2001 et de Mar del Plata en novembre 2005. Nous approfondirons nos avancées pour la transformation de nos sociétés (comme cela se produit actuellement dans de nombreux scénarios nationaux) et nous nous opposerons à toute tentative de la part des Etats-Unis et de leurs alliés de ressusciter la Zone de Libre Echange des Amériques (ALCA) avec des habits neufs et des manipulations conceptuelles par des discours autour de la sécurité et de la prospérité hémisphérique.

3.6 Nous appelons tous nos mouvements à participer, comme les années précédentes, à la Semaine d’Action Globale contre la Dette et les IFIs que nous organiserons du 8 au 15 octobre 2009.

3.7 Nous appelons tous nos mouvements à se solidariser dans la lutte pour la défense des droits du Peuple palestinien et à se mobiliser en particulier le 30 mars 2009.

3.8 Nous appelons tous nos mouvements à soutenir la campagne de solidarité avec le Peuple d’Haïti qui lutte pour se libérer de l’occupation militaire, pour obtenir l’annulation de la dette externe illégitime réclamée par les IFI et pour la mise en œuvre d’un projet de reconstruction solidaire. En 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer l’annulation de la dette exigée à Haïti en dépit de la détérioration des conditions de vie de sa population (on estime que plus de 3 millions de personnes y vivent dans une insécurité alimentaire croissante). Haïti continue de payer plus d’un million de dollars par semaine. Nous rappelons également l’importance des luttes pour la souveraineté des pays de la Caraïbe qui vivent toujours sous la colonisation.

3.9 Nous saluons les réussites remarquables de l’ALBA, en particulier dans le domaine de l’alphabétisation, de la santé et de l’éducation publique. Une intégration solidaire par et avec les peuples peut générer, en peu de temps, des résultats qualitatifs impressionnants pour l’amélioration des conditions de vie de nos Peuples. Cependant, certains des accords signés par les pays formellement membres de la zone de l’ALBA avec des pays d’Amérique Centrale et de la Caraïbe sont détournés de leurs objectifs et monopolisés par les bureaucraties corrompues, et les bénéfices accaparés par des groupes issus des oligarchies traditionnelles. C’est pour cela que les Peuples doivent prendre possession de ces instruments qui peuvent être des outils merveilleux pour l’investissement social et les recherches pour changer le modèle énergétique. Dans cette optique et tel qu’il en a été décidé lors de la 4ème Assemblée des Peuples de la Caraïbe à Cuba en juillet 2008, nous appelons à une meilleure appropriation des nouveaux accords par nos mouvements et nous convoquons l’organisation d’un Sommet des Mouvements Sociaux de la Caraïbe et d’Amérique Centrale sur les accords Petrocaribe et la crise énergétique.

 

La période actuelle est décisive pour l’avenir de nos Peuples et de l’humanité. Nous devons impulser des luttes de masse croissantes qui remettent en cause les fondements du système capitaliste. Nous devons combattre la crise du système pour que devienne possible une issue réelle allant vers la concrétisation de nouveaux modèles de société. Nous appelons tous les gouvernements des pays du Sud à constituer rapidement un front large contre le paiement de la dette. Un front qui doit offrir des espaces de résistances et d’offensives. Les gouvernements des pays du Sud ne doivent pas participer à la mascarade du G20 et doivent lutter pour l’émergence d’une nouvelle architecture financière internationale qui réponde aux besoins basiques de nos communautés, peuples, pays et régions.

Vive la lutte des Peuples ! A bas le capitalisme ! Nous ne devons rien, nous ne payerons rien. Nous refusons de payer la crise des riches !

 


[1] Malheureusement, par manque de temps imparti par la modération, il a été impossible lors de l’Assemblée des Assemblées de présenter l’ensemble des conclusions et résolutions développées dans ce texte. Cependant, le rapporteur a présenté oralement l’essentiel de l’esprit de ce document.


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